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21 août 2006

Ce blog va prendre racine

... pour modèle.

      Je sais que je deviens quelque peu ennuyeuse ces derniers temps, mais vous jugeriez de ma liste de lectures obligatoires que vous admettriez qu'on le peut être à moins. Ampoulé n'est-il point ? C'est que je suis noyée plongée dans tout ce qu'a pu produire de plus classique dans la littérature frnaçaise. Là je sors d'Andromaque, mais pas plus tard que ce matin, j'étais chez Molière à disputer avec son misanthrope d'Alceste. Puis il y a eu ces derniers temps quelques visites au Cinna d'Horace et à ce repoussant Bardamu. Amusements et grincements de dent, en somme. 
      
      Mais Racine... ce n'est pas à lui que je ferais la tête au carré.

        Par un mètre qui est parfois jugé pompeux

        Racine émerveille, ce n’est pas dire peu.

        Suite de douze pieds pour une seule main

        De maître qui administre maintes destins,

        Le vers du dramaturge se montre éclatant,

        Révèle pour chacun un dessein transparent.

        A un rythme enlevé s’élèvent les passions

        Qui grondent et s’amplifient avec déraison,

        Qui oscillent et mettent en balance l’honneur,

        Avec les jours, la vie, sans parler du bonheur

        De personnages nobles ou encore courageux.

        Ceux-ci sont à un tempérament orageux

        Par l’éclair d’un regard amoureux condamnés :

        Quand bien même leurs feux sont pour madame nés,

        Ils n’osent aimer celles qu’ils ne veulent haïr,

        Tandis qu’à la honte ils préfèrent périr.

        C’est vous, ô ! Grands dieux ! qu’ils ne cessent 
                                                             [ d’invoquer,

        Que je blâmerais pour ces drames provoqués,

        S’ils n’avaient pas été source pour le génie

        Ainsi que pour mon bon plaisir, je ne le nie.

                       Point, c’est entendu.

 

10 août 2006

Le ciel est bleu Klein ce soir

            Ciel !

           

 Il y a quelques soirs de cela, j’ai ouvert ma fenêtre pour fermer les volets et là, ça m’est venu out of the blue : « Le ciel est bleu Klein ce soir. » Je ne cherchais pas une docte comparaison ou métaphore parnassienne ; je l’ai reçu de plein fouet. Rien de bien grandiose, il est vrai,  mais il est tout de même surprenant que des références « culturelles » s’ancrent à ce point en nous… Surtout une de la sorte que j’assimile à du foutage de gueule. Bien qu’il soit possible que je manque de maturité, je ne vois pas en quoi une toile uniformément enduite avec une couleur –aussi profonde soit-elle- puisse être une œuvre d’art. On l’a décrétée telle et c’est cette assertion même qui l’a consacrée et élevée au rang d’œuvre. A se demander si l’artiste lui-même y croit ou s’il entretient une illusion très rémunératrice.

 

                 C'est gentil tout ça...

          

            Cette réflexion (minime, je suis en vacances tout de même !) fait écho à un article que j’ai lu il y a quelques jours dans Philosophie magazine (Là, après Proust, je crois que je signe l’arrêt de mort de ce blog. Si vous en êtes déjà à l’extrême-onction, may you R.I.P.)
Ouvrez les manuels p.20 pour ceux qui ne regardent pas par la fenêtre (autre que celle de Windows s’entend). Je lis le chapô pour situer rapidement : « En matière de culture, qu’est-ce qui fait événement ? La quantité ou la qualité ? Le battage autour du film Da Vinci Code plaide pour la seconde réponse. Pour Pierre Jourde, il est temps de respecter le public : les médias ne doivent pas fonder le réel mais l’interpréter. »
           Je ne me prononcerai pas sur le film que je n’ai pas vu. Aussi voici le paragraphe qui m’intéresse : « L’événement a cessé de tenir au fait, il est événement parce qu’on le dit. I réside tut entier dans le discours. […] Au moment où m’on dit que le fait est un événement, il le devient. Nous arrivons donc à cette définition : un événement est ce qui est déclaré tel par les médias. Ce qui implique [que] publicité et journalisme sont une seule et même chose [et que] le rapport du réel et du discours s’inverse. »

Pour vous dédomager de la peine que je vous donne avec de tels articles, je voulais vous offrir un extrait de conversation msn concernant le choix de la photo, mais j'ai fermé la fenêtre avant de penser à sauvegarder.
* boulette forever *
Attendez, je me souviens de deux répliques ("réplique" parce qu'on aurait pu croire à du théâtre de l'absurde) :
Dre - C'est plutôt joli cette couleur orange sur le violet [Dre au passage, à quand les lunettes ?]
Moi - Je dois dire que je n'avais jamais remarqué avant. Faut dire que les volets ne sont pas vraiment de nature à m'inspirer des envolées lyriques, vois-tu...
Dre - Sans blague...
Dre - C'est dingue !!!!  [Le niveau de nos conversations aussi... mais que voulez-vous ? Great minds think alike.]

08 août 2006

Du côté de chez Proust

          L'illustration colle bien à la Ière partie, je trouve. Tout à fait le papier-peint de Combray.

               Il ne faut pas vouloir s’attaquer à Proust comme à un pavé échoué sur la plage dans sa migration vers l’île prépa. Lire à grande vitesse, c’est s’exposer à décrocher avant même d’avoir adhérer. Il faut au contraire s’y immerger et de même que nos mouvements sous l’eau semblent freinés et adoucis comme en apesanteur, la lenteur du rythme de lecture amène la rapidité dans la progression.
               Qu’en ai-je pensé ? Je partais avec un gros a priori qui n’était pas pour servir l’auteur, à savoir que ce pavé n’était qu’un amas de longues phrases aussi ennuyeuses qu’Emma Bovary pouvait l’être. A la recherche du temps perdu ? Ne cherchez pas je l'ai trouvé, c’est de passer tant de jours sur ce roman. Ce genre d’idées qui sont aussi pensées que les rappels de mise un jour scandés par l’ordinateur.  
               
Ai-je  aimé alors ? Je n’en sais trop rien. L’histoire n’est pas passionnante en soi. Le narrateur me paraît même un peu geignard au début. Le style, s’il déborde de subordonnées n’est pas mélodieux en lui-même. Non, l’intérêt que j’y ai trouvé (sans prendre à ce que ce soit le seul valable) réside ailleurs. Dans la perception du réel. [Pas d’overdose de Merleau-Ponty, pas d’inquiétude – un certain intérêt –ok, beaucoup plus que pour Kant]. Proust a une façon tout à lui d’aborder le monde. Il ne cherche jamais à en être un observateur spectateur. L’extérieur se déduit de son intériorité, de la résonance qu’il a eue sur lui. Ainsi les descriptions ne sont jamais ennuyeuses puisqu’il n’y a pas de description  comme on l’entend d’habitude. Vous ne feriez pas renter un morceau de Balzac sans que cela détonne, par exemple. Si j’osais mélanger allégrement les époques, je dirais qu’on s’approche des tropismes, ces petits riens qui sont à l’origine de changements quasi imperceptibles en nous (Ca c’est ma définition imprécise, pour quelque chose de plus consistant, rendez vous directement auprès de la principale concernée, c’est-à-dire Nathalie Sarraute, l’inventrice de ce néologisme.) L’ensemble est décousu, pas de fil directeur mais une succession de sensations qui s’imbriquent et finissent à coup de digressions et remarques en apparence anodines à esquisser une ambiance, modeler un caractère, recrée une sensation identique chez le lecteur.

              J’en arrive à ce qui m’a littéralement (et  littérairement) fasciné : les comparaisons. Du côté de chez Swann ressemble pour moi à une gigantesque boîte à images, des métaphores en tous sens qui colorent la vision usée que l’on a du quotidien [Je sais, ça sens Bergson d’ici]. Une saynète ou même un moment deviennent un instant magique suspendu dans le temps. Le genre de chose dont on se dit : « C’est tellement juste. C’est exactement ça. Même si je n’y avais jamais pensé. ». Et la madeleine ne me semble pas le morceau le plus savoureux, loin de là. Proust, je l’ai goûté par morceaux, comme on se régale de miettes en oubliant totalement l’aspect de la part que l’on vient d’engloutir. Et là, j’ai envie de reprendre le volume et d’y colorier les passages qui m’ont interpellés pour pouvoir les retrouver à loisir et m’offrir une parenthèse, comme un bonbon que l’on savoure avant de repartir de chez la tante ou la grand-mère. Oui, c’est décidé, je deviens collectionneuse d’images poétiques et impressions fugaces. Première vitrine, au hasard des pages sur lesquelles je suis retombée :

Tailladé dans la phrase… parce que je me sens comme chez mon arrière-grand-mère quand je hume cela :
« et le feu cuisant comme une pâte les appétissantes odeurs dont l’air de la chambre était tout grumeleux et qu’avait déjà fait travailler et «lever» la fraîcheur humide et ensoleillée du matin, il les feuilletait, les dorait, les godait, les boursouflait, en faisant un invisible et palpable gâteau provincial, un immense «chausson» où, à peine goûtés les aromes plus croustillants, plus fins, plus réputés, mais plus secs aussi du placard, de la commode, du papier à ramages, je revenais toujours avec une convoitise inavouée m’engluer dans l’odeur médiane, poisseuse, fade, indigeste et fruitée de couvre-lit à fleurs. » [Combray II ]

« Devant la fenêtre, le balcon était gris. Tout d’un coup, sur sa pierre maussade je ne voyais pas une couleur moins terne, mais je sentais comme un effort vers une couleur moins terne, la pulsation d’un rayon hésitant qui voudrait libérer sa lumière. Un instant après, le balcon était pâle et réfléchissant comme une eau matinale, et mille reflets de la ferronnerie de son treillage étaient venus s’y poser. Un souffle de vent les dispersait, la pierre s’était de nouveau assombrie, mais, comme apprivoisés, ils revenaient; elle recommençait imperceptiblement à blanchir et par un de ces crescendos continus comme ceux qui, en musique, à la fin d’une Ouverture, mènent une seule note jusqu’au fortissimo suprême en la faisant passer rapidement par tous les degrés intermédiaires, je la voyais atteindre à cet or inaltérable et fixe des beaux jours, sur lequel l’ombre découpée de l’appui ouvragé de la balustrade se détachait en noir comme une végétation capricieuse, avec une ténuité dans la délinéation des moindres détails qui semblait trahir une conscience appliquée, une satisfaction d’artiste, et avec un tel relief, un tel velours dans le repos de ses masses sombres et heureuses qu’en vérité ces reflets larges et feuillus qui reposaient sur ce lac de soleil semblaient savoir qu’ils étaient des gages de calme et de bonheur. »  [ Troisième partie du roman : Noms de pays : le nom ]

Aller, un dernier pour la route :
« Et il y eut un jour aussi où elle me dit: «Vous savez, vous pouvez m’appeler Gilberte, en tous cas moi, je vous appellerai par votre nom de baptême. C’est trop gênant.» Pourtant elle continua encore un moment à se contenter de me dire «vous» et comme je le lui faisais remarquer, elle sourit, et composant, construisant une phrase comme celles qui dans les grammaires étrangères n’ont d’autre but que de nous faire employer un mot nouveau, elle la termina par mon petit nom. » [idem]

Pour ceux qui ne seraient pas encore tout à fait morts, la lecture entière se trouve ici.