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30 décembre 2014

Home, bittersweet home

Le premier tiers (quart ?) de Coming home, en pleine Révolution culturelle, suit le point de vue de Dan Dan, jeune fille à l'école de danse qui travaille d'arrache-pied pour obtenir le rôle principal dans le Détachement féminin rouge1. Les mouvements volontaires de la chorégraphie qu'elle répète partout, dans le studio aussi bien que dans son salon, traduisent sa détermination. Autant dire qu'elle n'est pas prête à laisser sa mère tout gâcher en retrouvant son dissident de mari en cavale, pas du tout prête à voir ses efforts réduits à néant pour un père qu'elle n'a jamais connu. Et s'il le faut...

L'album photo que le père, Lu Yanshi, rouvrira des années après que Dan Dan a arrêté la danse, après avoir tenu un rôle mineur lors d'une représentation à laquelle n'a pas voulu assister sa mère, montre la trahison de sa fille comme une erreur de jeunesse, à mi-chemin entre le caprice et la jalousie : absolument toutes les photographies de l'album ont été découpées pour réduire le père à une présence fantomatique – la censure étatique intériorisée dans le cercle familial.

Une fois que cette intransigeance puérile est dépassée, que le père est réhabilité, l'émotion jusqu'alors contenue se déploie lentement. Pas de grande effusions au retour de Lu Yanshi : les retrouvailles n'ont pas lieu ; Feng Wanyu ne reconnaît pas son mari. Elle ne cesse pourtant de l'attendre ; c'est même l'une des rares choses qu'elle n'a pas besoin de confier à l'un des innombrables aide-mémoire placardés un peu partout dans l'appartement.

L'impossibilité de rattraper le temps perdu, que l'on perçoit d'habitude à travers la difficile réadaptation de celui qui a été absent (typiquement, le traumatisme du soldat incapable de retourner à une « vie normale » après les horreurs du combat), est ici abordée du point de vue de celui qui est resté. Car celui qui est resté n'en a pas moins moins changé : la mémoire défaillante de Feng Wany le rend perceptible, matérialisant en quelque sorte le lent passage des années.

Lent et irréversible. Lu Yanshi usera en vain de tous les artefacts qu'il pourra imaginer : mettre en scène une nouvelle arrivée à la gare ; se faire passer pour l'accordeur de piano pour jouer un air qui a marqué leur histoire ; faire témoigner les voisins, la famille ; livrer une malle de ses lettres non postées et venir les lire, pour que Feng Wanyu entende les mots de la bouche de celui qui les a écrit...

Ce que Marx ne dit pas, lorsqu'il écrit que tous les grands événements se passent deux fois, « la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce », c'est que passé ces deux occurrences, lorsque le même échec se reproduit indéfiniment, la tragédie reprend le dessus et l'emporte irrémédiablement. Je soupçonne les quelques rires étranges entendus dans la salle d'avoir été des tentatives (vaine, elles aussi) pour repousser la tristesse qui s'empare du spectateur impuissant.

Car la tristesse va de paire avec la beauté de l'inachevé ; c'en est le prix. Jamais on n'aurait perçu avec autant de force l'amour de Lu Yanshi pour sa femme si elle était tombée dans ses bras. Quand il devient évident que cet amour ne sera plus jamais réciproque, que Feng Wanyu ne recouvrira pas la mémoire, son mari s'arrange pour prendre soin d'elle au mieux : lucide mais pas résigné, il écrit de nouvelles lettres et se fait, camarade lecteur, le messager d'un moi passé qui invite son épouse à bien se couvrir en hiver et à admettre de nouveau sa fille auprès d'elle. Il lui organise ainsi une nouvelle vie, d'où il est lui-même exclu, dans l'ombre de son propre souvenir, mais d'où il peut veiller sur elle – beauté infinie, infiniment triste, d'un amour qui n'exige pas de reconnaissance.

Mit Palpatine

 

1 Traduit par Section féminine rouge dans les sous-titres.

27 décembre 2014

Marc-Antoine par le bout du nez

Dans l'opéra de Jules Massenet (livret de Louis Payen), c'est Marc-Antoine qui nous introduit à Cléopâtre. La diction de Frédéic Goncalves est si articulée que son chant se fait récitatif ; c'est lui qui nous raconte l'histoire, l'histoire de son personnage tiraillé entre la courtisane et la vierge, la maîtresse et la femme, l'Égypte et Rome... Marc-Antoine endosse si naturellement le rôle de narrateur que l'on est près de renommer l'opéra d'après lui. Seulement, voilà, il y a Cléopâtre (Sophie Koch).

L'Égyptienne n'apparaît pas dans un éblouissement de cors et de cymbales. L'orchestre reste pour ainsi dire sans voix devant la superbe servante qu'est la reine vaincue. Dans un silence entêtant, où seules les cordes vrombissent – tête qui tourne, sombre menace –, elle s'avance vers Marc-Antoine et sa seule présence, vibrante, chasse le spectre de la tragédie cornélienne. Soleil noir, elle éteint le dilemme entre désir et devoir, allume à la place les feux d'une passion qui la consumera en même temps que son amant involontaire (involontaire car Cléopâtre se serait bien passée d'avoir à séduire Marc-Antoine qui, de son côté, se méfie de cette sirène égyptienne comme de la peste). Exeunt Chimène et Rodrigue, place à Tristan et Yseult : deux personnages qui ne se seraient jamais aimés si leur destin n'avait pas été de l'être, et qui, s'aimant, aiment moins l'autre que le sort funeste qu'il lui réserve. Pour qui (ne) veut (pas) le voir, le mythe médiéval se retrouve, transposé, dissimulé, dans l'histoire antique : quoi de mieux que les tombeaux gigantesques des pyramides pour chanter l'élévation par la mort ?

Pour ne pas se l'avouer, Marc-Antoine invoque le triumvirat, sa loyauté, son devoir, et va jusqu'à retourner à Rome pour y épouser la candide Octavie, comme Tristan épousa Yseult la Blanche. Cléopâtre jette alors son dévolu sur l'un de ses affranchis. Pour se persuader d'être libre de toute passion, de ne s'être abandonnée à Marc-Antoine que pour le bien de son royaume. Mais Spakos, affranchi par la reine et esclave de l'amour fou qu'il lui voue, trahit l'étincelle de la passion : en tuant un danseur pour lequel Cléopâtre manifestait un peu trop de goût, il ravive la fascination de la reine pour lui. Comment ne pas être fascinée par la beauté de cette force brute qui peut vous perdre et veut vous sauver ? Qui veut vous sauver et peut vous perdre ? Comment Cléopâtre pourrait-elle résister à cette voix parfaitement séduisante (Benjamin Bernheim), qui dit toute la jalousie qu'elle nourrit ? Résister à l'envie d'exciter cette jalousie – formidable jalousie qui pourrait elle aussi la tuer ?

Avec ses consonnes explosives, Spakos précipite la passion. Bien plus que le serpent que Cléopâtre retournera sur son sein (Nikyia style) en découvrant la mort de Marc-Antoine, c'est lui l'instrument de son suicide. C'est lui qui, sous prétexte de mettre la reine à l'abri, la fait passer pour morte et déclenche un quiproquo à la Roméo et Juliette. Marc-Antoine et Cléopâtre ne resteront pourtant pas unis dans la mort comme les amants shakespeariens. Vertu romaine oblige, l'histoire renverra Marc-Antoine à l'histoire politique de Rome, laissant Cléopâtre, la femme, l'étrangère, briller seule du noir soleil de la passion. Cette leçon vaut bien un opéra, sans doute.

 

Mit Palpatine
À lire : le compte-rendu érudit de Carnet sur sol, qui vous expliquera à coup de glottologie pourquoi le Marc-Antoine de Frédéic Goncalves paraît réciter et le Spakos de Benjamin Bernheim a le chant parfait (j'espère avoir de mon côté montré le pourquoi des revirements et des ellipses narratives, qui isolent les épisodes nécessaires à la passion).

24 décembre 2014

Oratorio de Noël aux Champs-Elysées

S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu.
Cioran

Champs-Élysées. Clemenceau. Impossible de sortir de la station. Un costume gris trop grand de la RATP aboie qu'il faut reprendre le métro jusqu'à Concorde. Le mouton ne prête aucune attention à ce chien de berger mollasson et l'on persiste dans un embouteillage de doudounes et de bonnets jusqu'à trouver, dehors, des militaires qui font le pied de grue avec des fusils d'assauts, prenant bien garde à ne pas se rendre utile en limitant l'accès à la station le temps qu'elle soit évacuée. Là-haut, l'air n'est pas beaucoup plus libre. Le graillon se répand des chalets de Noël en lieu et place de la cannelle annoncée sur les panneaux. Ça grouille de monde. De gens qui n'avancent pas. De gens qui avancent et tapent dans vos talons. De poussettes toujours prêtes à vous rouler sur le pied. L'esprit de Noël, esprit frappeur. On monte vers les Champs. La misanthropie monte.

Théâtre des Champs-Elysées. Bach. Premier balcon, premières notes. Détente. Curiosité pour les curieuses trompettes qui ressemblent à des cors qui auraient oublié de complètement s'entortiller. Exeunt les sapins, les lumières clignotantes, les guirlandes, les bonnets de Noël ; il n'y a pas de places pour tout ce bazar dans la crèche de la Nativité, désert de sable que les notes balayent paisiblement. Ici la lumière est ocre, lumière du soleil sur une terre lointaine, lumière des projecteurs sur les rondeurs boisées des cordes et les reflets cuivrés des vents. Elle tombe, inégale, le long de la colonne striée et dorée qui marque l'avant-scène : ce sont les traits d'or qui rayonnent des têtes des saints sur les peintures de la Renaissance – celle qui ne m'émeuvent jamais et dont j'ai soudain l'impression de comprendre la délicatesse. À chaque modulation, la musique rehausse d'un trait le petit nuage sur lequel on se trouve, comme une divinité, lui apportant la matérialité qu'il faut pour qu'on ne passe pas au travers. Les rebonds moelleux n'en finissent plus, sans que jamais le ciel s'en trouve obscurci : la peinture est toujours assez transparente pour que nous parviennent les voix lumineuses des chanteurs, des voix qui déroulent l'histoire de la naissance du Christ, un Christ tout-puissant, mais qu'il faut protéger, un Christ tout petit qui n'est pas encore bardé de clous, un Christ d'où coule la lumière plutôt que le sang. La croix, l'enfermement dans les églises sombres, le poids du péché à racheter... tout cela viendra plus tard ; tout cela est aussi loin que les sapins, les boules et le gros bonhomme rouge à barbe blanche, qui viendront plus tard encore. Pour l'instant, il n'y a que la joie. Il n'y a que Bach.

21 décembre 2014

Interstellar

Les champs de maïs au milieu desquels commence Interstellar m'ont fait penser à Looper. La station Cooper, à celle d'Elysium. Les vagues montagnes de la première planète visitée, aux paysages d'Oblivion. Ces ressemblances ne signifient pas grand-chose sinon que je me suis mise à regarder de la science-fiction, un peu. J'en arrive toujours à la même conclusion, bêtasse d'un point de vue logique, mais toujours surprenante pour moi qui ne me suis jamais vue comme une amatrice du genre : les bons films de science-fiction me font aimer la science-fiction – les films où les progrès supposés de la science donnent moins lieu à des gadgets technologiques qu'à l'étincelle narrative qui met l'imagination du scénariste en branle1, et ouvre une fenêtre de réflexion sur ce qu'est l'humain aujourd'hui et sur ce qu'il continuera à être demain, en dépit des évolutions de cette science toute puissante – dans nos imaginaires du moins.

Insterstellar commence au milieu des champs de maïs, envahis par une tempête de poussière, comme une préfiguration de ce que deviendra l'homme si les dernières céréales qui poussent encore meurent à leur tour. C'est la famine que choisit Christopher Nolan comme menace pesant sur l'humanité – non pas une menace extérieure, comme une invasion ou une tentative de destruction, mais une menace créée par l'homme, paradoxale pour nous qui vivons dans une société où la nourriture est surabondante, mais parfaitement cohérente avec la surexploitation qui en est à l'origine. Craignant pour sa survie, la communauté délaisse la matière grise pour les pouces verts : elle encourage les vocations de cultivateurs et décourage les explorateurs – les livres scolaires ont même été réécrits pour faire des conquêtes spatiales un leurre tactique de la guerre froide. Forcément, cela n'est pas franchement du goût de Cooper, ancien pilote qui s'ennuie ferme dans son coin de terre, malgré son fils, qui suivrait bien la voie de son père, et sa fille Murphy, qui remonterait volontiers sur ses traces, intelligente et curieuse comme elle est. Du coup, quand il découvre avec la gamine que non seulement la NASA existe encore mais qu'elle est en pleine exploration d'univers à coloniser, ni une ni deux, il embarque, laissant ses enfants pour ainsi dire orphelins.

Une poignée d'explorateurs sont déjà partis aux quatre coins de la galaxie pour constater ou infirmer la viabilité de la planète qui leur a été assignée, l'idée étant de retrouver celui qui a le terreau le plus favorable pour faire une bouture de la Terre (et laisser ladite Terre respirer un peu, en jachère). Et les autres, les explorateurs qui sont tombés sur une planète hostile ? Hence the bravery, répond le responsable de la mission. D'où la bravoure. De tout le film, c'est la seule phrase dont je me souvienne littéralement. Phrase terrible : sous le coup de cette petite conjonction de coordination, hence, les explorateurs sont déjà morts et enterrés. Hence the bravery suscite chez moi le même effroi que l'histoire de ces mineurs désignés pour aller mourir avec le coup de grisou qu'ils évitaient ainsi à tous leurs camarades. Désignés. Dans le Sacre du printemps, on dit élu. Car c'est un honneur. Il faut que c'en soit un pour supporter l'idée de mourir pour les autres. Pour le supporter et pour le vouloir – et le héros fut, glorifié par le cinéma américain. Sauf que là, avec Nolan, c'est autre chose.

J'ai lu à plusieurs reprises que le sacrifice est une thématique récurrente dans les films du réalisateur. Interstellar n'est que le deuxième que je vois, après Inception, mais cela me semble déjà discutable, tant la notion de sacrifice y est ambiguë. C'est ici que vous devez attacher votre ceinture ou vous éjectez de cette chroniquette, car l'on entre dans une zone de spoilers à tout va – spoilers qui ne vous gâcheront rien si, comme moi, vous aimez voir décortiqués les mécanismes de l'humain.

Un regard sur sa planète de glace suffit à comprendre que le premier explorateur que Cooper et son équipe (réduite à Amelia, la fille du savant qui orchestre la mission) parviennent à retrouver a menti pour qu'on vienne le sauver. La planète n'est pas viable mais lui, en le découvrant, n'a plus consenti à mourir. On n'est plus un héros lorsqu'on est seul, lorsqu'il n'y a plus personne d'autre aux yeux de qui être un héros. On n'est plus lâche non plus. Vouloir vivre n'est lâcheté qu'aux yeux de ceux qui ont vous ont désigné pour les sauver et qui vous condamnent à l'instant où vous laissez votre instinct prendre le dessus sur leur survie. Rien n'est plus touchant que la lâcheté de cet homme qui ne veut pas mourir sans avoir revu un visage humain – quand bien même tout, dans ce visage, l'accusera. D'avoir vu Gravity rend cela plus palpable encore : dans le film d'Alfonso Cuarón, la solitude n'est pas un vague sentiment, c'est l'effroi de n'entendre que sa propre respiration, de se savoir la seule personne vivante dans un espace profondément hostile. Interstellar, préférant la finesse méandreuse de la réflexion à la force du symbole, ne le fait pas sentir avec la même acuité mais le prend intelligemment en compte. Le propos n'est plus de confronter l'instinct de vie à l'instinct de mort, mais à un autre instinct de vie auquel il s'oppose.

L'individu contre l'espèce, aurait-on envie de dire. Sauf que l'instinct auquel se heurte l'individu est toujours celui d'un autre individu. Sous couvert de faire valoir le courage des autres, la lâcheté de l'explorateur nous avertit qu'il n'y a pas de noblesse d'âme héroïque comme il n'y a jamais d'intention pure. Cooper a sacrifié les joies de la paternité pour garantir un avenir à ses enfants ? Il a aussi sauté sur l'occasion, heureux comme un gamin qui ne tenait plus en place, pour laisser libre cours à son tempérament d'explorateur – et abandonné sa fille en pleurs. Le savant a laissé sa fille partir sauver l'humanité en sachant qu'il mourait sûrement avant de la revoir ? Mais c'est encore une manière de tromper la mort que de se donner l'espoir d'une longue descendance. Ne parlons pas d'Amelia qui décide de la planète à visiter (les réserves de carburant ne permettent pas d'explorer toutes les possibilités) pour y retrouver l'homme qu'elle aime : l'espèce ne peut définitivement pas compter sur la rationalité de ses individus pour se perpétuer.

Pourtant, le fait que son intuition se trouve justifiée et que la planète de son amant se révèle finalement être la plus viable est aussi significatif que la disqualification par ses coéquipiers d'un choix fait par inclination. Sans céder au discours selon lequel l'Amour (oui, avec une majuscule, le bon sentiment ne lésine pas sur les moyens, se réclamant de la poésie pour mépriser les règles typographiques) est l'alpha et l'oméga de la vie et nous sauvera toujours (la rime, la rime), Nolan souligne que si l'homme est un animal raisonnable, c'est en tant qu'il est capable de raison – parce qu'il est, parce que nous sommes, un animal profondément irrationnel. Quand bien même nous tentons de rationaliser a posteriori cette irrationalité (on trouve toujours des raisons pour rendre compte d'un choix instinctif). À chaque décision des personnages, on pourrait ainsi trouver un pour quoi différent du pourquoi. Dans cet écart entre but et motivation, ce faux dilemme entre l'espèce et l'individu, et ce vrai conflit entre individus, se rejoue l'insociable sociabilité kantienne. Ou, si vous préférez ne pas voir Kant dans les étoiles : la nature trouve toujours son chemin2. Ce n'est pas en abdiquant leurs intérêts au profit d'une cause supérieure que les hommes s'en sortent, mais en confrontant ces intérêts à ceux de leur semblable.

Pour que la friction ne conduise pas uniquement aux disputes et à la guerre, mais aboutisse également au développement des arts et des sciences ; pour que la fille de Cooper puisse lui faire la gueule sans que cela l'empêche de travailler sur la mission et de finir par s'exclamer : Eurêka ! ; pour que l'insociable sociabilité fasse son œuvre, en somme, il faut seulement laisser aux hommes de l'espoir. Le vieux savant l'a bien compris, lui qui a inventé un plan A (modifier dans des équations quelques paramètres comme l'espace, le temps et la gravité pour faire migrer quelques milliards de Terriens sur la planète bouture) uniquement pour faire passer le plan B (embarquer plein d'embryons dans la navette spatiale et laisser sa fille3 incuber le meilleur des mondes). Ce que Cooper et Ameli accusent comme mensonge fonctionne très bien comme illusion, et le réalisateur la reprend à son compte en nous montrant quelques images de la station Cooper (qui atteste de la réussite du plan A), avant de conclure sur l'âpreté de la vie qui attend Amelia (après avoir donné une sépulture à son amant, elle va devoir mettre en place le plan B, seule avec Cooper).

Mais peut-être cette fin heureuse est-elle encore un mensonge et que ce qui nous donne espoir, dans Interstellar, c'est la beauté, la beauté des plans mais surtout l'incroyable beauté, la beauté interstellaire, presque insoutenable, de la gamine (Mackenzie Foy), et l'éloge sous-jacent de la curiosité intellectuelle4, avec ladite gamine qui devient, équation platonicienne du bien et du beau oblige, une brillante scientifique (magnifique Jessica Chastain).


1
 La relativité temporelle, par exemple, fournit ainsi un formidable outil narratif, qui permet de juxtaposer deux fils narratifs évoluant à des rythmes différents, en rendant les ellipses toutes naturelles.
2 Nolan a le bon goût de ne pas personnifier cette nature. La dynamique que les personnages mettent sur le compte d'un they extraterrestre se révèle l'effet d'une boucle temporelle : il n'y avait pas de they, seulement us, seulement Cooper transmettant des messages à sa fille depuis un autre espace-temps.
3 Comme le fait remarquer Palpatine, le repeuplement est rarement laissé à des filles moches...
4 Je laisserai l'homme-grenouille vous parler de la figure centrale de la bibliothèque – et de plein d'autres choses.