29 septembre 2013
Elysium
Elysium, lieu de l'harmonie universelle, dont Bach semble consubstantiel
Un film de science-fiction, vraiment ? Accentuer les disparités de richesse en envoyant les beaux quartiers en orbite et rendre spatiaux les vaisseaux qui apportent leur cargaison d'immigrés clandestins suffit à peine à mettre à distance notre société actuelle. En 2154, la science a certes fait des progrès mais celui-ci n'a rien perdu de son ambivalence : pendant que, sur Elysium, il suffit de s'allonger dans un caisson de décompression pour être instantanément guéri d'une fracture ou d'une leucémie, sur Terre, les conditions de travail (à la chaîne) pour créer les robots ont régressé vers la fin du XIXe, début du XXe siècle européen, avec les dangers du XXIe. Le tiers-monde s'est étendu au monde entier, à l'image du Mexique ayant grignoté du terrain jusqu'à installer ses favelas à New-York. La planète bleue n'est plus que terre, sable et crasse – non pas à la manière, très esthétique, d'Oblivion et de ses étendues désertiques ; à celle des décharges à ciel ouvert que l'on peut voir dans tous ces reportages qui donnent immédiatement envie de zapper.
Ce qui fait d'Elysium de la science-fiction n'est donc pas la science. La science n'a pas fait de miracles ; elle n'a aucune influence sur les esprits qui l'emploient à préserver leur corps. Non, ce qui fait d'Elysium de la science-fiction, c'est de croire qu'un homme providentiel peut changer le cours de l'histoire. Un homme qu'une petite sœur des pauvres a remarqué enfant comme un être exceptionnel alors qu'il n'a rien que de très banal : l'intelligence pour monter des coups foireux (mais pas au point de ne pas se faire attraper, puisqu'il sort de taule), des baskets Addidas (fabuleux zoom de placement de produit), un nom simple, Max serait resté un gus paumé parmi d'autres, bien en deçà de son amie d'enfance devenue infirmière, s'il n'avait reçu une dose mortelle de radiations dans un accident de travail. Avec cinq jours à vivre, il ne lui reste plus rien à perdre que l'espoir insensé de s'en sortir en allant sur Elysium. Mais cet espoir, il ne peut pas le perdre car la science-fiction a ceci de commun avec la littérature jeunesse que la désespérance y est interdite. C'est une condition sine qua non : il est possible d'imaginer les pires situations, de monter des hypothèses si catastrophiques que l'on ne s'autoriserait pas à les formuler en d'autres circonstances, du moment qu'il reste de l'espoir, même infime, même fou. Sans cet espoir, aucun spectateur ne se risquerait à affronter l'angoisse, inévitable.
Max n'a donc plus rien à perdre. Son frère l'a très bien compris et pose une condition à lui offrir le ticket (au prix astronomique) pour Elysium : qu'il l'aide sur un coup qui pourrait rapporter gros et qui implique de pirater le cerveau d'un citoyen élyséen. Ah, et de se faire implanter tout un tas de ferraille dans le corps pour disposer de la force nécessaire à la mission – opération (sans anesthésie) à côté de laquelle la crucifixion du Christ est une partie de plaisir. C'est le début de la métamorphose en homme providentiel : la souffrance. Max n'a pourtant rien encore d'un rédempteur ; il assume même si bien son rôle de mercenaire que l'on bascule dans le film de guerre (ellipse de la guerre civile qui aurait fini par éclater en son absence ?). Coups de feu, course-poursuite, chasse à l'homme, coups et blessures le font heureusement atterrir auprès de Frey, son amie d'enfance infirmière, MILF d'une gamine condamnée à court terme si elle n'est pas soignée sur Elysium. Entre désir et altruisme, voilà l'amour du prochain rappelé à notre héros. Pour que le miracle ait lieu, il ne manque plus qu'une étincelle : la frère découvre que les données piratées permettent de reseter tout le système informatique d'Elysium ; et un retournement : les utiliser entraînera la mort du cerveau qui les a illégalement téléchargées. Car il ne doit subsister aucun doute sur la valeur morale du héros : pas de rédemption sans sacrifice, pas de soins pour tous sans la mort d'un homme, auquel on n'accorde que la concrétisation d'un universel (l'amour, la liberté, l'égalité) dans un particulier (la fille de Frey va pouvoir guérir) et non la vie sauve, potentiellement entachée d'égoïsme.
Récupéré par l'idéologie démocratique, ce messianisme religieux se traduit par la régularisation de tous les habitants de la Terre, reconnus citoyens d'Elysium. Ils ne sont pas rapatriés sur Elysium mais des navettes entières de caissons guérisseurs sont dépêchées sur Terre. Pas le paradis sur terre, donc (conçu pour un petit nombre de privilégiés, Elysium serait perdu si toute la population débarquait), mais comme dans la religion, la promesse d'une autre vie... celle que les privilégiés mènent et que cette mission humanitaire à l'échelle planétaire leur permet de conserver. En donnant à tous une chance d'aller mieux (une égalité de droits dans l'accès aux soins), ils ne créent pas l'égalité (de fait) mais régulent l'inégalité pour qu'au moins il ne se trouve plus personne qui n'ait plus rien à perdre. Les habitants de la Terre ne demandaient finalement pas grand-chose : l'espoir. Et les réalisateurs de science-fiction, magnifiques auteurs de paraboles, ne lésinent généralement pas sur ce point.
Mit Palpatine.
19:01 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, sf, elysium
28 septembre 2013
Pianistes siamoises et violon suspendu
Contrairement aux Animaux de Poulenc, je ne me sens pas l'âme d'une enfant modèle. J'ai encore envie de bavarder avec JoPrincesse quand les musiciens cessent de s'accorder et que le chef rentre en scène. Pas très concentrée, je rate une grande part du safari musical, même si j'entends le nasillement d'un canard du côté des bassons et que j'aperçois un aristochat agiter ses petites pattes blanches au-dessus des percussions, après m'avoir surprise au piano. Le carnaval avance masqué, on dirait un cortège d'animaux non pas costumé mais déguisé en foule urbaine. Renseignements pris, il s'avère que c'est précisément l'intention du compositeur : ne garder que les personnages humains des Fables de la Fontaine, quitte à pratiquer l'anthropomorphisme inversé. Plutôt drôle pour un compositeur qui me fait à chaque fois penser au poulain des tablettes de chocolat. Toujours en train de chercher la petite bête, je sais. Et je l'ai trouvée : c'est une grosse coccinelle qui dirige l'orchestre à coups d'envolées de 30 centimètres sur le côté.
S'avancent ensuite les solistes siamoises pour le Concerto pour deux pianos en ré mineur1. Les sœurs Labèque, décrites par Palpatine comme la terreur des pianos, ne sont pas si redoutables. Si j'étais un piano, j'aurais bien plus peur de Berezovski – même si je m'abandonnerais facilement à ses frappes et caresses alternées. Le toucher des sœurs Labèque est de l'ordre du piquant, avec des doigts-stilettos assortis à leur talons aiguilles. Penchée sur son clavier, Katia en est de temps à autre brusquement éjectée, cheveux électrisés, comme une sorcière ébouillantée par les projections de son chaudron. Sa sœur Marielle, en face, offre une image plus apaisée (moins liftée, surtout, selon @IkAubert) mais l'une comme l'autre surprennent par des instants clairs et légers, perdus au cœur de la vallée orchestrale, comme des lucioles (une fée ?) sous cloche. Il reste quelque chose de la pureté enfantine chez ces sœurs un peu frappadingues, une joyeuse dureté qui les fait taper du talon dans un bis jazzy endiablé – le cliquetis de l'aiguille en guise de métronome (je soupçonne Katia d'y avoir mis des fers à claquettes). Je suis encore émerveillée par la solidité de ces chaussures.
Pendant la cinquième symphonie de Tchaïkovski, ce sont d'autres talons que l'on entend, tandis qu'ils s'esquivent aussi discrètement que possible vers la sortie : une violoniste a fait un malaise, raccompagnée par sa voisine. La place est immédiatement comblée par le collègue de derrière, show must go on, mais le violon est resté suspendu au pupitre par la crosse. Ce violon, c'est exactement mon esprit en concert : suspendu au milieu de l'orchestre, il n'a rien à y faire, mais il est parfaitement à sa place, très content d'être là, parfaitement incongru. On peut bien l'oublier, qu'importe : il est solidement arrimé, on finira par le retrouver à la fin de la pièce, quand il aura été mille fois frôlé par des caresses musicales. Certaines l'auront touché, d'autres n'auront même pas été conscientes, le faisant seulement dériver vers de nouvelles idées, curieusement associées. Et de temps à autre, il se réveille là, un peu vide, un peu sonné par ces drôles de pensées, qu'il essaye d'ajuster à ce qu'il entend, surpris que tout soit déjà si différent.
Revenue à moi, j'ai à peine le temps de chorégraphier un adage que je reste suspendue en grand développé à la seconde, prise de cours par la fin du mouvement – à côté de moi, JoPrincesse a déjà imaginé le ballet en entier. Heureusement, il me reste encore un mouvement pour remarquer le nouveau bassoniste, plutôt mignon malgré des difficultés d'ordonnancement capillaire propres à ce pupitre (petite pensée pour Palpatine avec cette vue dégagée sur Lola, qui a dirigé tout le concerto des sourcils entre deux pom pom), et essayer de déterminer la composition de la baguette du chef. Il faudrait demander confirmation à Ollivander, mais je penche pour un crin de licorne et une carapace de scarabée en poudre. Avec davantage d'expertise, je me lancerais bien dans la rédaction d'un catalogue raisonné de la baguette. Il y aurait sûrement une pince de crabe, une écaille d'hippocampe et un poil de toon dans celle de Paavo Jarvi. Ou bien une dragée de Bertie crochue, allez savoir.
17:49 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, odp, poulenc, labèque
Cygne black : gare à la noyade
La parodie était une bonne idée mais elle ne tient pas la distance : à mi-chemin, Dada Masilo secoue le carcan qu'elle a elle-même mis en place et bascule vers le lyrisme, juste quand on commençait à s'habituer aux cygnes caquetant comme les poules du Moulin Rouge, à leurs pieds en fer à repasser et aux tutus bon marché. J'ai un peu grincé des dents au début : la balletomane n'accepte la parodie que tant que les pointes sont tendues et le sacro-saint en-dehors respecté – en somme, tant que la critique vient du sérail et présuppose une adhésion incontestée à ce dont elle se moque avec la bienveillance de l’auto-dérision.
La justesse de la parodie détend l'atmosphère : le chassé-croisé des solistes, qui se manquent parce qu'ils ne regardent jamais dans la bonne direction, est assimilé au Guignol, tandis que le premier pas des défilés royaux, toujours sur le même accord, est renommé le « Let's get married! step ». Le commentaire est toujours un instrument efficace de mise à distance (cf. Jérôme Bel) mais la parole éloigne de la danse et, en l'absence de recherche théâtrale, la danse risque de ne plus être qu'illustration redondante.
Le Let's get married! step
Curieusement (ou pas), les photos que l'on trouve sont celles, plus structurées, de la partie parodie.
Heureusement, les corps reprennent rapidement leur droit de cité et la parodie laisse place à la relecture : les cygnes se déchaînent sur fond de danses africaines, baignés par les cris d'encouragement du groupe, à l'enthousiasme communicatif. L'humour est toujours là mais ne fait plus obstacle à la beauté du mouvement et des corps : on s'aperçoit soudain que les tutu froufroutants délicieusement décalés sur les bustes lisses et noirs des danseurs les mettent sacrément en valeur (contrairement aux tuniques cheap des danseuses). Le frémissement des cygnes est génialement rendu par les tremblements incessants de la danse africaine – ici, les piétinés ne sont pas un pas académique mais bien le martèlement du sol.
Photo de John Hogg
Un V pas à pas, martelé avec le pied-béquille de derrière. Je n'avais jamais fait gaffe qu'il y avait une sorte de descente des ombres dans le Lac.
Mais alors qu'on commençait franchement à s'amuser, le cygne black apparaît et c'est le début de la fin. La Mort du cygne de Saint-Saëns retentit soudain, comme un cheveu sur la soupe. Si encore elle était interprétée par la jeune fille (l'oie blanche) qui n'a plus qu'à s'effacer devant le beau jeune homme (le cygne black)... mais non, c'est lui qui en hérite, alors qu'il aurait suffi de lui confier la variation d'Odette pour créer une belle ode lyrique à l'homosexualité – laquelle variation se transforme en un interminable appel du pied de la jeune fille, qui n'arrive évidemment pas à capter l'attention de Siegfried. En l'absence d'inversion du genre, le décalage musical continue et connaît son apogée avec un extrait de Tchaïkovski remixé à la flûte de pan – vous avez bien lu, l'équivalent du Lac des cygnes joué par un groupe de Péruviens dans le métro. Ce n'est même pas moche – plutôt planant – mais ça commence à faire beaucoup. Le coup de grâce : Arvo Pärt. Les premières notes de Tabula rasa se détachent dans l'obscurité. Le mouvement affleure sous de longues jupes longues unisexes, buste nu pour tous, et s'amplifie jusqu'à ce que les danseurs s'effondrent un par un. Si l'on n'estampille pas ce final de critique du sida, c'est beau. Un peu dans l'esprit du Sang des étoiles. J'aurais voulu que le spectacle commence à ce moment-là, pour nous dérouler une œuvre contemporaine personnelle et poétique. Ou que la parodie ne se soit jamais arrêtée.
Il y a beaucoup de bonnes choses. Il y en a en réalité beaucoup trop, surtout si l'on considère que parodie et lyrisme sont antinomiques et que l'on passe de l'un à l'autre en une petite heure de temps. J'en ressors avec l'impression que l'on a agité le spectre du Lac, le ballet par excellence, pour attirer le public parisien. Soit, c'est de bonne guerre. J'espère simplement avoir un jour l'occasion de voir l'énergie de la troupe et le talent de la chorégraphe dans une synthèse plus aboutie.
11:59 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, lac des cygnes, dada masilo, théâtre du rond point
25 septembre 2013
Geeks ♥ GNU
La formation palpatinienne pour geekification murine continue et j’y mets du mien. Jugez plutôt : j’ai zappé le déjeuner pour seulement prendre une douche après le cours de danse et filer à la conférence de Richard Stallman à l’autre bout du monde. À 15h, je m’installe dans un amphithéâtre de Paris 8, un sandwich pavot-jambon cru-tomates séchées à la main – enfin ! Après quelques bouchées, alors que je peux enfin m’intéresser à autre chose qu’à mon estomac en détresse, je commence à observer la faune qui m’entoure.
Il y a quelques portables de sortis, couverts de stickers contre les DRM et pour les logiciels libres. Je soupçonne leurs propriétaires de les avoir choisis imposants uniquement pour disposer d’une plus grande surface à recouvrir. Les T-shirts ne sont pas en reste, avec les DRM assimilés à des produits toxiques, sigles à l’appui – la parfaite panoplie du militant gauchiste appliquée au logiciel libre. Tout le monde est sous Linux, pardon, pardon, GNU/Linux, et la conférence n’a pas encore commencé qu’on apprend via Twitter que ça bataille entre diverses distributions. Je m’enfonce dans mon siège et serre mon sac contre moi en priant pour qu’on ne découvre pas qu’il contient un Mac. J’aurais peur qu’on m’exorcise à coups de lignes de commandes Shell, la violence physique n’étant pas a priori le fort de cette assemblée à tendance baba-cool, où les cheveux longs ne sont pas réservés qu’aux filles, de toutes façons minoritaires. L’organisateur, qui a probablement pioché dans les élastiques de sa fille pour attacher sa queue de cheval, me fait penser à mon père. Papa poule annonce le programme des réjouissances et Richard Stallman commence, en chaussettes, cheveux et barbe au vent.
La conférence, sans slides ni notes, prend la forme d’un monologue à bâtons rompus par un verre de Pepsi ou une demande de confirmation sur le genre de tel ou tel mot. Cela cause surveillance, collecte des données personnelles, menottes numériques, logiciel malware et droit des utilisateurs avec un curieux de mélange de pessimisme réaliste (à partir du moment où les données personnelles sont à disposition, elles finiront par être utilisées de manière abusive) et d’engagement utopiste (il faut lutter, on doit changer les choses, on doit refuser d’utiliser les sites qui nous fliquent). Alors que l’on se dresse contre le spectre d’une surveillance généralisée – le rêve de Staline, rendu possible par la technologie –, la liberté revendiquée est paradoxalement, comme dans toutes les utopies volontaristes (communisme compris), très contraignante : il faut, on doit, les impératifs se multiplient. Ce qui préserve ces revendications éthiques (le mot revient sans arrêt) de devenir une morale, dangereuse lorsqu’on veut l’imposer à tous, c’est leur fond kantien. La notion de malware universel (Microsoft, évidemment) m’a mis la puce à l’oreille : tiens, tiens, on dirait fort un impératif catégorique. La filiation, quoique tirée par les cheveux, m’a parue évidente lorsqu’il a ensuite été question du critère de bonne volonté. De fait, la liberté des libristes ressemble beaucoup à l’autonomie : la communauté veut pouvoir se donner ses propres règles.
Là où l’on vire au schématisme, c’est lorsqu’on en déduit que liberté et pouvoir sont antinomiques. L’utopisme des geeks flirte alors avec l’anarchisme – à cet énorme détail près qu’ils ne font violence au capitalisme que sous l’égide du partage, en diffusant au maximum les biens culturels. Cela donne lieu à une excellente saillie : lorsqu’on lui demande ce qu’il pense des pirates, Richard Stallman répond qu’il a beaucoup aimé le premier épisode. Ma blague favorite de la conférence, à égalité avec le Kindle rebaptisé Swindle, c’est-à-dire escroquerie – de livres qui ne nous appartiennent plus. En effet, si le libriste a des velléités communistes, il n’est en aucun cas prêt à renoncer à la propriété privée. Ce n'est pas l'objet de la critique, on ne peut plus clair si l'on considère que le logiciel propriétaire a été renommé privateur – nous voilà en plein travail idéologique de la langue.
L'engagement de Richard Stallman va pourtant au-delà du militantisme ; il est presque vertueux. Il lui en faut, en effet, de la virtu, du courage, pour rester cohérent jusqu'au bout, même lorsque ses convictions le font paraître d’une autre époque : il n’a pas de téléphone portable, nécessairement truffé de logiciels espions, et ne commande pas en ligne sur les sites qui exigent des données personnelles (mais quel site ne le fait pas ?). À voir le nombre de téléphones portables dans la salle, où l’on twitte et surfe sur Google Chrome, on voit bien que c’est là que le bât blesse : peu de gens sont prêts à sacrifier un mode de vie ultra-connecté à des principes éthiques. Contrairement à ce que la popularisation du terme laisse penser, le véritable geek n’est pas l’amateur de gadgets technophile que l’on croit. Bien loin des tablettes, le geek libriste a des airs d’ermite : le PC sous GNU/Linux, rien que le PC sous GNU/Linux, tous les PC sous GNU/Linux. Amen. On vient en pèlerinage assister à la conférence de Richard Stallman, même si on n’écoute que d’une oreille le sermon qu’il prêche à des convaincus, parfois pécheurs (pardonnez-moi, seigneur, d’avoir téléphoné sous Androïd).
Au final, je n’ai pas l’impression d’avoir appris énormément de choses (des faits dont je n’étais pas au courant, oui, mais rien qui débouche sur des idées vraiment nouvelles pour moi, fréquentant depuis quelques années déjà un appartement peuplé de manchots). En revanche, la tambouille idéologique dans laquelle elles baignent est franchement fascinante. Je comprends mieux pourquoi, maintenant, les champions du logiciel libre peuvent paraître effrayants. Et j’ai l’impression de mieux comprendre aussi la conception qu’a Palpatine de la liberté, qui m’a beaucoup surprise au début et qui continue de m’étonner parfois encore. On est habitué à entendre que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Richard Stallman, lui, revendique une liberté d’expression qui va jusqu’à la liberté d’insulter – et je ne suis pas entièrement certaine qu’il s’agisse d’un problème de vocabulaire. Cette liberté radicale ne tient que dans la mesure où l’on ne cherche pas à imposer quoi que ce soit à l’autre. Même si on est convaincu que ce qu’il pense ou fait, c’est de la merde – et qu’on lui dit ! –, on ne cherche pas à le sauver malgré lui, à le libérer de ce que nous considérons comme une dépendance ou un esclavage. On laisse l’autre libre d’être enchaîné si c’est son choix, s’il a fait le choix du non-choix. C’est une conception de la liberté particulièrement dérangeante dans le pays des droits de l’homme et de son universalisme autoproclamé ; cela protège pourtant en politique d’une ingérence à outrance (par exemple, le colonialisme, moyen de propager la bonne parole – pour éviter les exemples à chaud).
Je peux relâcher mon sac : mon Mac et moi n’encourons que le mépris de ne pas adhérer totalement au plaidoyer libriste. Ouf ! La conférence se finit par la vente aux enchères d'une peluche gnou pour la défense du logiciel libre.
write(0, "Philosophie. Acounamatata !n", 28);
23:32 Publié dans D'autres chats à fouetter, Souris de laboratoire | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : conférence, logiciel libre, richard stallman