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31 octobre 2010

Ainsi jouait-on Strauss et Mozart

 

À la Cité de la musique, vendredi soir. J'ai avalé mon en-cas en regardant le bourgeois délocalisé, visiblement perturbé par les bancs en skaï gris en lieu et place des banquettes de velours rouge. Dans ce gros volume moderne qu'est la cité de la musique, on comprend mieux pourquoi on lui accole toujours l'adjectif de « petit ». Ici, même les ouvreuses ont l'air moins sage et le cheveux plus punk.

On retrouve une certaine décontraction chez le chef-d'orchestre, qui a laissé tombé la veste pour la chemise, débraillée. Il faut dire que la queue de pie aurait été par trop engonçant pour Andris Nelsons qui ne ferait pas un mauvais skieur : toujours en flexion, il est souple sur le genou et a ainsi la détente nécessaire pour sauter les bras en l'air (sauter, oui, avec les deux pieds qui décollent du sol), reculer le buste lorsque les vents l'emportent, les mains ramenées contre lui ou encore se tapir derrière son pupitre pour intimer le silence aux violons. C'est sportif. Heureusement, il n'a pas sauté l'échauffement : l'atmosphère crépusculaire des Métamorphoses de Strauss invite à une certaine retenue ; il revient à la musique seule de s'épancher – hors d'un développement prédictible ou simplement mémorisable. Ainsi que l'indique déjà le titre au pluriel, pas de métamorphose spectaculaire et singulière, mais des métamorphoses innombrables qui jouent sur toutes les cordes sans pour autant finir par dénaturer le morceau initial. Les variations sont continues si bien qu'on n'a paradoxalement pas l'impression que ce soit très varié, sans pour autant jamais s'ennuyer. Ce mouvement perpétuel qui ne se fige jamais vraiment dans une forme qu'il développerait, je me le représente sous formes de volutes, quelque chose qui se reprend sans cesse et dont il est fascinant d'essayer "de savoir enfin clairement,/ ce qu'il est et ce qu'il était" (en effet, si "Personne ne se connaîtra soi-même", Goethe, dans des vers que Strauss devait initialement mettre en musique, nous enjoint d'y travailler chaque jour).

J'aime beaucoup, je flâne avec la musique et découvre ainsi cette salle de concert dans laquelle je n'avais jamais mis les pieds (j'avais seulement fait un tour au musée). Nous sommes dans la galerie supérieure, une unique rangée de sièges qui fait le tour (l'ovale) de la salle, régulièrement interrompue par les piliers. Du coup, de loin, en face, on a l'impression d'avoir à faire à de petites loges d'où quelques figures émergent dans un clair-obscur, aussi lisses que les avant-bras qui les entourent pour la plupart. Il y a une paire d'yeux qui brillent dans le noir aussi – des yeux de hiboux qui appartiennent probablement à une grand-mère avec de petites lunettes toutes rondes qui n'ont pas subit de traitement antireflet.

Le deuxième morceau est plus brillant ; il s'agit du Concerto pour piano n°20. Ce qu'il y a de bien avec Mozart c'est que, même lorsqu'on ne connaît pas, on connaît quand même. Et inversement, on ne connaît jamais assez bien pour ne pas être surpris par une complexité plus grande que l'inscription aisée dans la mémoire nous l'aurait fait croire. C'est réjouissant comme un divertissement bien mené et partagé avec une société raffinée – une fête mesurée et donc pleinement appréciée. On laissera néanmoins la pianiste en reste, comme au fond d'un piano-bar : avec son haut en lamé doré qui semble sortir tout droit de chez Pimkie, la tête complètement rentrée dans les épaules et ses gestes peu gracieux, Milhaela Ursuleasa aurait du mal à jouer la galante. Ivre de musique, elle tangue pour passer les pages de sa partition et s'accoude à son bar piano après avoir d'un geste ample gratifié l'orchestre de son invitation à poursuivre – seulement on hésite entre l'arabesque d'une révérence et le salut autrement urbain d'un gamin peu amène. D'ailleurs elle se lève parfois de son tabouret pour s'y rasseoir en tapant du pied. Mais ce qui me colle limite un fou rire, c'est qu'elle chantonne. J'ai d'abord cru que c'était une vieille femme un peu nostalgique de n'avoir été vraiment mélomane, mais personne pour lui intimer le silence et, malgré le son atténué par la plaque en plexiglas sur laquelle on s'appuie (c'est un peu dommage pour le premier Strauss, mais pas plus mal pour le dernier, qui n'a pas souffert d'être assourdi – enfin on imagine, parce que ce n'est pas précisément l'adjectif qui vient à l'esprit), le chant se fait régulièrement entendre, plus ou moins distinctement ; il n'est pas certain que cela soit dans ses cordes si celles-ci ne sont pas uniquement vocales. Heureusement ses doigts sont plus agiles, même si son attitude laisse planer un soupçon de discrédit sur son jeu. On a beau faire, l'imagination humaine reste la même depuis Pascal et son savant dont les travaux ne sont reconnus qu'une fois présentés en tenue occidentale – la mienne s'est mise en branle et maintenant j'ai l'impression que les mains du chef-d'orchestre, agitées de rotation au niveau du poignet, tournent par a-coups des robinets pour régler le débit de musique. Cela ne m'empêche pas de la boire comme du petit lait et de me réjouir de la note parfaitement salée. Ainsi chantait Ursuleasa.

La trêve de plaisanterie s'établit après l'entracte et sans plus de jeu de mot aucun, c'est Ainsi parlait Zarathoustra. J'a-do-re. Déjà, pour en finir avec cette tentation grandiloquente, cela commence par une apothéose (je connaissais cet extrait, sûrement par l'Odyssée de l'espace, comme le programme me rend encline à le croire, mais j'aurais cru qu'il terminait un morceau ; que nenni, il le commence !). C'est absolument génial, de commencer par une apothéose : l'homme est mort, vive le Surhomme ! Là, tout est dit, il ne reste plus qu'à faire. Là, c'est formidable, tout peut arriver et pendant une demie-heure cela donne ; les six cors et les huit contrebasses donneront une idée de la puissance, celle du volume sonore étant encore bien inférieure à celle de la composition. Il paraît que « musicalement, le compositeur, bien que rompu aux orchestrations les plus subtiles, y « écrit gros » parfois » ; parfois, justement, j'aime cet emportement de l'intelligence qui envoie au diable la délicatesse (raffinement névrosé en puissance), un peu comme un Hugo qui déborde ses rythmes ternaires. Les moments plus posés rayonnent par contrecoup d'une étrange sérénité et cela débouche chez Strauss sur une magnifique fin qui nous sèvre de la musique tout en donnant l'impression de la poursuivre plutôt que l'achever : deux accords alternent sans que l'on perçoive pour autant l'absence d'une réponse concluante comme l'aporie qui doive mettre fin au dialogue. Cela pourrait reprendre (comme des braises) et pourtant cela cesse, mais rien n'est éteint : voilà, il faut poursuivre, persévérer, continuer à écouter l'écho de Zarathoustra. Je vais penser à me mettre à lire Nietzsche.

29 octobre 2010

Lumières d'automne

Il me faut travailler sur des nouvelles françaises du XXème et miss Red m'avait conseillé celles de Charles Juliet. A la bibliothèque, j'ai cru me souvenir du titre mais lorsque le bibliothécaire est revenu de la réserve avec Lumières d'automne, j'ai lu en-dessous « Journal VI ». Je me sentais bête, je n'allais pas le faire repartir d'où il venait, alors j'ai remercié, pris le livre et l'ai feuilleté un peu dépitée.

J'ai néanmoins gardé un tel souvenir de Lambeaux que je me suis installée au bout de la file d'attente pour l'exposition Lagerfeld avec le soulagement d'une lecture pour la remonter. Il y avait aussi un roman de Kundera dans mon sac mais cela se prête bien moins à une lecture morcelée, debout, entourée de conversations. Devant moi, deux filles dont l'une a prononcé quelques mots dans une langue étrangère – russe, ai-je supposé à cause de son écharpe Burberry et de sa beauté (une queue de cheval blond cendré pas tirée, un nez qui rebondissait et de grands yeux clairs contrebalancés par du mauve et le balancement des boucles d'oreille). Elle a abandonné son amie quelques instants pour aller s'acheter quelque chose à la boulangerie. Curieusement, ma pomme m'avait calée, j'ai commencé à parcourir mon livre.

Cela commence plutôt mal, guerre en Bosnie. Je retourne le livre, 1993-1996, indique la jaquette, forcément. Je diagonalise, picore une phrase du bout des cils, saute un paragraphe. Puis on s'éloigne des actualités meurtrières d'alors, des notes plus quotidiennes apparaissent, des souvenirs. Je m'attarde sur celui d'un homme qui s'est évadé avec un bouquin et un camembert et a fini par dévorer la pâte de la couverture mêlée au fromage fondu tellement la faim sans cesse repoussée était devenue insurmontable. J'ai oublié la suite, sauf la femme qui l'aime et qui le pousse à l'abandonner pour qu'il rentre auprès des siens, de sa mère, surtout, qui n'a jamais été détrompée de sa mort à laquelle il a fait croire pour ne pas être poursuivi. J'ai oublié le reste et son destin s'est condensé en un camembert et une femme effacée.

La Russe est revenue et répond entre deux bouchées de viennoiserie : « Ce n'est pas pour rien que j'ai pris huit kilos ! ». Elle n'est pas bien épaisse, pourtant, quoique grande. Peut-être seulement robuste sous un manteau dont la coupe évasée laisse quelques doutes sur la carrure de la jeune femme.

Devant moi, des vies apparaissent, se donnent à entendre par bribes et font sentir quelque chose d'humain. Je saute de moins en moins de paragraphes. L'auteur emménage pour quatre mois dans un monastère partiellement reconverti en résidence d'écrivain. Je ne suis pas particulièrement sensible aux montagnes ni aux genêts qui y poussent leur parfum de miel, mais la réclusion dans des lieux clos m'a toujours fascinée. Mon passage préféré des Misérables est indéniablement la vie du couvent où Cozette et Jean Valjean trouvent un temps refuge, parenthèse dans le roman et dans l'anticléricalisme de l'auteur, là où Victor est le moins Hugo.

 

« 'Bruno ', j'aime bien », dit la Russe. C'est vrai qu'à sa façon de prononcer « blllrrru-no », le prénom sonne bien. J'y entends « Brno », la ville où est né Kundera et j'ai comme un doute, soudain, sur sa nationalité. « Mais en français, cela ne sonne pas bien, tout le monde me le dit, que ce n'est pas beau. Je demande des avis ; tu en penses quoi, toi, de Bruno ?
- Je n'aime pas trop, c'est vrai, ça fait un peu vieilli.
- C'est dommage, tu vois, parce qu'en polonais, c'est moderne, ça fait très dynamique. »

La non-Russe polonaise n'avait pas une beauté assez lisse pour être russe. Je repense à Idalia, une fille superbe qui est apparue un temps au cours de danse pour repartir aussi vite qu'elle était venue ; la beauté polonaise a du caractère. Cela plaît. « Bruno » me confirme que le -graphie que j'avais entendu tout à l'heure avait bien écho- pour préfixe. Les huit kilos ne sont plus uniquement imputables à la fréquentation des boulangeries et l'enthousiasme de la shopping-addict s'explique (« J'ai envie de savoir, il me faut la couleur. J'ai envie de faire les magasins ! », trépigne-t-elle joyeusement). Pour une fois, cela ne me dégoûte pas : elle a l'air à la fois trop heureuse et pas assez béate pour cela.

Dans le ventre de la Polonaise et dans les pages de mon livre, un soupçon de vie, des traces qui s'esquissent ou s'effacent. Je n'ai jamais lu un journal dont l'auteur parle aussi peu de lui. Il voudrait bien n'en pas parler du tout s'il ne craignait pas par là de se couper de la source de toute émotion, de tout ressenti, et de rendre ainsi ses mots exsangues. Les destins qu'il consigne comme un collectionneur méticuleux provoquent toujours un écho en lui et se répètent parfois dans sa propre histoire, des anecdotes qu'il met en regard et prolongent par leur variation ces vies dures, amoindries, parfois finies. Charles Juliet est infiniment sensible à l'humain, en particulier au goût de vivre des gens qui ont souffert. Dans son recueil d'éclopés, un certain apaisement finit par se faire sentir. Ma lecture se ralentit. Même chose qu'avec Lambeaux, j'ai du mal à comprendre comment une écriture si simple peut faire un tel effet. Ce n'est pas une simplicité travaillée, elliptique, obtenue à force de dépouillement stylistique, comme chez Kundera, par exemple ; l'écriture est plutôt anodine et par là s'adresse directement au lecteur, à sa personne autant et même plus qu'à son intellect.

C'est de l'ordre d'une empathie immédiate qui ne demande qu'à se transformer en sympathie. Comme pour la Polonaise, à qui je n'adresserai pourtant qu'un sourire, par-dessus ma lecture. Je n'ai pas l'impression d'être embusquée derrière mon livre, bien au contraire ; c'est comme si ce journal dont la lecture souffre et même encourage des arrêts me rendait plus attentive à ce qui m'entoure, ceux qui m'entourent, à la Polonaise. Je ne l'épie pas plus que je ne survole la parole de Charles Juliet, quand bien même je sauterais parfois un paragraphe. Tout apparaît seulement avec plus d'acuité et je suis étrangement sereine les pieds au froid dans cette file d'attente que j'ai presque remontée en une demie-heure, trois quarts d'heure. Nous arrivons à la porte, qui se ferme sous notre nez ; les jeunes filles sont invitées à reculer et à attendre derrière la porte. L'amie de la Polonaise a l'air plus jeune qu'elle, alors qu'elles doivent avoir sensiblement le même âge. Cela me fait penser à Polaroïd Girl, qui m'effraye justement de ne pas être terrifiée. Les choses ont l'air normales pour ces filles, aisées. Les voir ou les lire est reposant. D'autant qu'elles ne perdent rien de leur allant : « Attends, je vais aller voir le vigile et je vais lui dire que je suis enceinte, comme ça on attendra au chaud. » Elle n'est pas une « femme-enceinte » qui se croit pas tout permis : elle joue une bonne farce de gamine. De l'autre côté de la porte vitrée, je ne les entends plus parler ; je dois sourire, j'ai rangé Charles Juliet et suis tout à fait disposée à tout regarder.

28 octobre 2010

Prends Lagerfeld à toi

Dernière semaine d'exposition et dernière journée de gratuité, forcément, il y avait du monde à la Maison européenne de la photographie. La file d'attente déborde dans une bonne partie de la rue de Fourcy, mais elle avance assez régulièrement et j'ai à la fois le temps et la patience d'attendre. Bien régulée, l'affluence ne gêne ainsi pas trop la visite – même si cela implique d'attendre à nouveau sur le palier du deuxième étage. Une salle de « photographie », sur la ville et l'architecture, complète la salle des photos de mode auxquelles on s'est préparé. Dans la première (par laquelle je finis, en bon mouton de Panurge, qui s'aperçoit bien tard que le « ← début de l'exposition » était masqué par le reste du troupeau), je trouve :

 

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[un grand tirage sur toile,
dans une salle à l'accrochage aéré,
une de mes photos préférées,
peut-être à cause de l'angle inouï d'un lieu qui m'est pourtant familier]

le château de Versailles, qui a implosé sous sa grandeur ; il ne reste plus qu'un fronton déposé comme une couronne en haut des escaliers – coucher du soleil ;

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un bout de château que j'avais déjà péché dans le même bassin (en bas, à gauche) ;

des maillages souples ou géométriques selon que ce sont des poutrelles de Tour Eiffel ou le feuillage d'arbres, qui ont été solarisés ;

une façade d'immeuble new-yorkais pleine de d'escaliers, renversée sur le côté comme une tranche de gâteau qui laisse apercevoir les différentes couches dont il est composé ;

une autre façade semblable qui nous incline un peu plus vers le vertige ;

une statue équestre par l'arrière, floutée comme les feux d'une voiture dans les embouteillages de nuit ;

le Panthéon en décoration d'aquarium, flanqué d'une anguille dessinée d'un trait blanc ;

un coucher de soleil à contre-jour sur la Concorde, savane urbaine avec ses lions statufiés et ses feux de brousse tricolores ; les voitures ne s'interposent pas contre le décor mais en émergent, comme un troupeau du brouillard.

 

« La photographie fait partie de ma vie. Elle ferme le cercle de mes préoccupations artistiques et professionnelles. Je ne vois plus la vie sans sa vision. » Cela me donne des visions, mais je m'en amuse beaucoup et cela me décrasse le cerveau, qui accueille et manie les idées, même curieuses, avec plus de souplesse et de malléabilité.

 

Dans l'autre salle, celle des photos de moooeude, il y a d'abord des accrochages pêle-mêle avec des embryons de séries, dont j'écarte par exemple les clichés pailletés de robots, et dont je garde :

un grand manteau qui marche d'un bon pas dans un parc, mouvement figé dans le tourbillon flou du décor ; je regarde et suis bientôt plantée avec la même netteté au milieu du tourbillon de visiteurs ;

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un visage de femme peint, à la boucle de cheveux en bronze verdi (en haut, au milieu) ; j'imagine son corps potelé comme une statue ;

Aurélia Steiner, parce cette femme à la coupe au carré et aux yeux d'une grande acuité est penchée à une balustrade ; balcon plutôt que bateau, qu'importe, j'y vois l'amante vieillie ;

la confusion des cheveux et des traits à l'encre de tous poils ;

un transfert qui transforme la photo en aquarelle et la séance de pose glamour en peinture italienne de la Rome antique ;

 

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[détail]

une Salomé qui n'est en fait rien qu'une femme avec une couronne de fleurs et des gants verts, c'est l'aspect tableau, qui m'a fait penser à Moreau ; maintenant, ce serait davantage à Klimt : les bras pliés, l'un sur une étoffe dorée posée sur la table, l'autre sur le genoux, elle me fascine ; (avec le fauteuil rouge à côté, et la suite de l'expo, je me demanderais presque : une pute en fleur ?) ; rehaut des petites éclaboussures de couleur par-dessus la couleur de remplissage (j'avais lu quelque chose à ce propos dans un bouquin sur Vermeer, mais on le visualise mieux chez Whistler, par exemple).

 

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une femme débarquée dans un tableau de Hopper (un intérieur feng-shui Fendi, en fait) ;

 

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Lagerfed qui fait son comics.

 

Ensuite, parmi la mosaïque de portraits, j'isole :

une épaule si avancée qu'on la dirait remontée comme un col, et qu'elle cache le cou ; épaule sensuelle par la velléité de se cacher ? - on dirait qu'elle imite le geste de pudeur d'Agnès dans l'Immortalité ;

la pause qui permet de s'arrêter sur la tendresse d'une femme pourtant en tenue de pose ;

une Tour Eiffel – chapeau pointu ;

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une couronne de Tours Eiffel ;

une apparition sur son fond blanc ;

un homme-aigle (nez et pommettes).


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Enfin, je déroule les trois pellicules de campagnes de pub et de photos de mode en tous genres (on ne demande pourquoi Chanel n'est pas sponsor de l'expo), érotiquement chargées pour la plupart :

de trois photos, je me fais un petit film : un profil dense, dans la matière, tient à la main un cercle tracé d'un trait, comme un fil à couper le beurre ; le monocle est mis en place sur le visage, de face, éclairé, pour une vision tranchante ; forcément, ça finit par un œil au beurre blanc, fard clair bien au-delà de la paupière (je suis très bonne spectatrice, je me suis fait rire toute seule de cette séquence incongrue) ;

chez une femme, le saillant des pommettes, souligné par les attaches d'un porte-jarretelle ; chez un homme, les sourcils accent grave-accent aigu repris par les muscles de l'aine ;

le buste d'une femme renversée sur le parquet, cheveux défaits, chemise ouverte sur la plastique qui palpite ; la cadrage qui ne voile ni ne dévoile le sein mais coupe juste au téton, et se retrouve sur une ou deux autres photos ;

un dos nu plongeant (à moins que cela ne soit la main qu'on y imagine ) ;

 

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une mariée et son déshabillage de noce ;

le chignon Bunny d'une femme de dos, tête chapeautée et baissée, le tailleur soulignant sa chute de rein ;

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un mannequin - Ken valsant aux côtés d'une vraie Barbie en plastique ;

une femme en robe fourreau noire, enlacée par les cuisses colossales d'une statue de Titan ;

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une rose à côté d'un piédestal ;


une détresse classe, difficile à imiter. Une visiteuse avait essayé sa propre version, mais, mal chaperonnée, le petit béret rouge tombait comme une soupe au milieu des cheveux. N'est pas classe qui veut.

Le petit ailleurs de Louis Garrel

"- Le Petit tailleur, ça me dirait bien.
- Hum ?
- De Louis Garrel.
- Grumpf.
- Cela ne dure pas bien longtemps...
- Grumpf.
- Y'a Léa Seydoux.
- Il faut que je vois ce film.
- Tu vois qu'on est fait pour s'entendre."

 

 

La Nouvelle Vague à l'âme


Malgré toutes les références aux années 1950-60 que je laisse le soin aux cinéphiles chevronnés de trouver, le moyen métrage de Louis Garrel n'est pas un film d'époque, ni de celle de la Nouvelle Vague, ni vraiment de celle d'aujourd'hui, dont tous les éléments qui permettraient un ancrage par trop agressif ont été gommés. Cela aurait aussi très bien pu se passer ailleurs que dans la capitale, si Paris n'était justement cet endroit fantasmé qui n'existe nulle part. Le temps et le lieu ne relèvent ici que du conte, qui cisèle son histoire dans une fascinante miniature (petit tailleur, quelques quarante-cinq minutes).

 

 

D'ailleurs, l'histoire est surtout histoire de filmer de belles images ; presque juste de belles images, mais justes : des gestes. Ceux du tailleur, les mains rassemblées autour du travail de l'aiguille, qui lui donnent la posture humble d'une vieille personne, comme ceux qu'Arthur, l'apprenti tailleur, porte à Marie-Julie. On prend la mesure de son amour lorsqu'il prend celles de son corps endormi, le drap froissé autour des hanches, une exploration au mètre, sous toutes les couture, avant de confectionner une robe de main de maître. Il l'habille de son regard et de son désir, d'une robe banche avec des bandes noires, graphiques, rendant plus cruel encore qu'un autre la déshabille (Arthur ramasse la robe, reprend son amour).

J'adore la scène où il la détaille ; la caméra filme son visage à elle et il énumère : la bouche, le nez, un œil, un autre œil ; puis la caméra ne donne vie à son blason surréaliste, reproduit chacune de ces parcelles (l’œil, on dirait une photographie de Man Ray) et donne raison à Arthur, il ne peut la voir en entier, quand bien même l'entier serait résumé dans le visage aimé. Pour la voir, il ne lui faut pas la voir, mais la recomposer par l'imagination – perception étrangement juste : il l'imagine.

Il faut dire que la jeune comédienne lui en fournit la matière. On ne la voit jamais jouer et pour cause : sa comédie commence hors-scène, dans la mise en scène tragique de son existence. Car, à y bien regarder, ce n'est pas au film qu'il faut reprocher de poser, mais bien à Marie-Julie, immobilisée de profil, la figure en pleurs, l'essence de la fille triste.

Le cinéaste, lui, se contente de faire une pause sur cette attitude ; tout le film n'est qu'un écrin pour un moment vécu en dehors de la vie - mise en pause-, en dehors de sa course précipitée : l'épisode commence et s'achève par les cavalcades furieuses d'Arthur qui se rend au théâtre, la première fois pour assister au spectacle, la seconde pour y manquer Marie-Julie, repartie avec son fiancé, qui doit l'aimer lui aussi, pour passer outre ses caprices indécis.

Ce n'est donc pas par pur caprice qu'on nous refuse l'accès au théâtre, même si on entend quelque chose de la répartie enfantine dans « Le théâtre, soit on y va, soit... on n'y va pas. » , même si l'expédient de filmer « pendant ce temps » ce qu'il se passe ailleurs, d'errer dans les rues ou les bars, est plein d'humour : il ne faudrait pas croire que Marie-Julie tienne quoi que ce soit de la petite Catherine de Heilbronn (hormis le rôle – à la limite, Arthur serait davantage une petite Catherine défaite). Alors que l'héroïne de Kleist finit, par la force et la pureté de son attachement, par inspirer l'amour à l'homme auquel elle s'est mystérieusement accrochée, celui de Marie-Julie ne peut que rapidement expirer puisque cet amour n'est rien d'autre que celui d'Arthur - elle est tombée amoureuse de son rôle d'amoureuse. La petite Catherine n'impose rien (que sa présence) ; la future grande comédienne exige Arthur à ses côtés, veut l'arracher à sa vocation pour qu'il devienne un miroir parfaitement lisse.

 

 

Dès lors, le choix entre Marie-Julie et Albert, le maître-tailleur, n'est pas un choix entre l'amour et le métier (deux formes de passion, en somme, si le métier est entendu comme vocation), mais entre l'amour-passion et l'amour-relation. Avec Marie-Julie, le présent pour avenir, l'extase de s'arracher à soi-même, le grand jeu ; avec Albert, l'avenir depuis le passé, le respect de ce que l'on veut être, les petits points. Lorsque Arthur essaye ses pensées brouillonnes sur Albert (provoquant la brouille) et tente de trouver un compromis lorsque c'est précisément ce que ne lui autorise pas l'attitude de Marie-Julie (elle lui a passé le mètre autour du cou), sa décision est en réalité déjà prise et ses révoltes velléitaires traduisent la douleur d'un arrachement qui s'est déjà produit. Arthur a choisi : celui qui l'avait choisi (pour reprendre l'atelier) - contre celle qui s'était laissée choisir sans l'élection réciproque qui garantit la relation. C'est un conte très moral, comme aurait pu l'entendre Rohmer. Pas la raison contre le cœur, non : entre la fille et l'homme, Arthur a choisi l'amour – d'où l'inversion des codes lorsque son affection pour le vieil homme le conduit à l'exagération d'un baise-main puis d'un bouquet en signe de réconciliation. « Mais ce n'est pas à moi qu'il faut apporter des fleurs, mon p'ti ! », bougonne le tailleur. Cette note finale est une petite merveille ; elle fournit un contrepoint comique qui interdit de prendre toute l'histoire au tragique. L'épisode est clos mais on se le repasserait bien en boucle.