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13 juillet 2010

Pari d'amour tenu pour Uféras

 

 

Pour moi, Uféras est le photographes des fantômes de l'Opéra, et l'auteur de ce livre :

 

 

Quand j'ai vu que la mairie de Paris lui consacrait une exposition, j'ai foncé sans même prendre la peine de distinguer ce qui se cachait sous le voile de l'affiche. Bien m'en a pris : si j'avais remarqué que c'était une mariée, je n'y serais certainement pas allée ; passer devant Pronuptia en descendant la rue de la Paroisse, par ailleurs bien fournie en boulangeries, suffit à mon compte de meringues indigestes. Et j'aurais eu tort, parce qu'il ne s'agissait pas de photos de mariage mais de photos prises pendant des mariages, ce qui fait une grande différence. Pour ce qui est des photos de mariage, où le couple apprêté plante tout son amour dans l'herbe et la terre d'un beau jardin fleuri, il y a les photographes spécialisés et payés pour l'occasion, qui apparaissent parfois en mise en abyme, dans un coin de l'image. Pour les autres, il y a Uféras. Bien sûr, les photos ne sont pas toutes réussies et certaines tendent vers le cliché ; on n'échappe pas aux mariés portés par l'assistance, aux lancées de pétales de rose à la sortie, et aux petits couples collés qu'il n'y aurait plus qu'à monter sur un gâteau très crémeux.

Dans l'exaltation de la convention sociale, l'institution pèse de tout son poids, s'il est vrai que la mairie de Paris, qui a trouvé très a propos d'organiser cette exposition dans des murs mêmes où l'on prononce les mariages, l'a orientée de manière à vanter les valeurs de l'Etat laïque (parce que Paris, c'est la France, à quelques kilomètres carrés près), et notamment le respect des races et des religions. Du coup, ça suinte de bons sentiments, et l'échantillon de couples modèles comprend un nombre incalculable de mariages mixtes, juifs, musulmans, catholiques, militaires, athés, immigrés, étrangers, parisiens et français, avec quelques pacs pour faire bonne mesure. L'exotisme ma gave, surtout si c'est pour une allégorie de la tolérance, et c'est parmi les mariages des cultures le splus étrangères à la nôtre qu'on trouve, ce me semble, les photos les plus banales, dont beaucoup donnent à voir les gens qui « font la fête » comme d'autres font la tête, par principe. Heureusement, quelque soit la condition sociale des couples, on y rencontre peu la médiocrité (non pas pauvreté, mais beaufitude, entendons-nous bien) qui transpire parfois sous les habits haute couture que les mariés ne savent pas porter, et qui ne m'inspire que dégoût et mépris.

Et c'est là peut-être, étouffée par le chant d'amour et de convention que l'on a voulu faire de l'exposition, qu'est toute la différence entre les photos de mariage que j'exècre et les photos qu'Uféras a prises pendant au cours de mariages : lorsque celles-là sont des clichés qui valent en tant que tels par la reproduction d'une norme sociale, et sont d'autant plus réussis qu'ils moins originaux, celles-là montrent des individus à l'occasion mais surtout en dépit du mariage, témoigne de rencontres et d'histoires sans nécessairement vouloir les réinscrire dans l'Histoire. Au Paris d'amour qui pose la capitale en championne de la tolérance, Uféras oppose le pari d'amour qu'ont formulé ces couples au moment de leurs vœux. Et il ne sera pas dit qu'on n'aura pas ri.

 

 

Tours Eiffel :

souvenirs, comme les photos ;
reproductibles en série, comme les mariages qui font une communauté ;
phalliques, comme les parties de plaisir de la nuit de noce.

 

Autre clin d’œil au mariage prototype, la Barbie qui voit la vie en rose.

 

 

*

Pour ceux qui préfèrent le noir et blanc, majoritaire dans l'exposition, il est toujours possible de voir double, ivresse du moment ou de l'enterrement de la vie de garçon, l'histoire ne le dit pas.

 

 

J'aime la marque de ces préparatifs désordonnés où le même homme n'a pas toujours le temps de changer de casquette, et le regard humoristique du photographe qui lui fait tendrement porter le chapeau.

 

 

Voir double, c'est aussi voir l'unique d'une situation, les gestes qui lui sont propres – comme ici, l'ajustement de la robe par les petites filles.

 

 

Voir double, c'est encore redoubler d'attention envers le cliché, s'éloigner du couple photographié. Préférer le bisous au baiser, par exemple (c'est dingue comme cela commence tôt, le comportement imitatif qui finit en mariage).

 

 

Remarquer l'à-côté, l'accessoire, le dérisoire. Deux couples asymétriques, dont l'un est dans la joie, l'autre, à part, dans son bonheur. Qui ne se soucie plus d'un crochet x qui retient la traîne de la robe, comme le détail, l'attention du spectateur.

 

 

Cette photo m'a arrêtée : la femme est radieuse, bien sûr, mais surtout elle est ailleurs. Elle ne joue pas un rôle comme le mari engoncé dans son costume, à qui elle ne donne pas la réplique, et qui paraît un peu ridicule dans son tête à tête avec le photographe. Elle lui a faussé compagnie, son attention va aux gamins sur le côté. Certes, le photographe leur a peut-être demandé d'engager la conversation pour obtenir une pose plus « naturelle » de la mariée, sous son meilleur profil, mais pas le photographe au carré, pas Uféras qui ne la prend de toute façon pas sous l'angle auquel elle pourrait s'attendre. Sa beauté ne ressort pas, elle est volée avant d'avoir pu se figer, saisie de biais sans être tentée de renvoyer un regard du même genre. Peut-être n'existe-t-elle pas autrement, que la véritable beauté est toujours (à l') insu.

*

 

 

Le geste quotidien de l'ajustement du vêtement, fût-il une robe de mariée, et l'insatisfaction du regard ainsi baissé : l'univers d'Uféras n'est pas celui du bonheur obligatoire, et on peut en toute beauté et liberté faire sa tête des mauvais jour le « plus beau jour de sa vie ». Si c'était sa bague qu'elle regardait ainsi ?

 

 

En s'amusant un peu, je suis capable de vous rendre marri : ce Friedrich moderne devant une perspective bouchée par le voile blanc ne pourrait-il pas finir par se pendre au lustre, comme celui-ci, son costume ?

 

 

*

 

 

Coup de foudre au flash pour cette gravure de mode dé-posée là, dans des perspectives grandioses, bras baroques d'être simplement relevés pour ne pas gêner.

*

 

Après le photographe de mode, c'est celui de danse qui fait sentir son cachet, avec des noces au palais Garnier,

 

 

ou, hors de l'opéra, avec un nouveau bal de fantôme,

 

 

où la Wilis semble partir au couvent,

 

où la femme disparaît derrière son costume d'épouse ;

 

ou encore la danse en soirée.

 

 

Et toujours, l'attention portée au geste (comme je suis parfois surprise d'en trouver la description dans un roman), au-delà de la pantomime réglée de la cérémonie : dans un café, la nouvelle mariée tourne autour de son doigt une bague à laquelle elle n'est pas encore accoutumée. (Allez savoir pourquoi, elle me rappelle B#6).

 

 

*

 

Tête penchée pour un « cœur qui chavire » (tant que le mariage ne prend pas l'eau...) ou cadrage de travers pour un regard de pervers – sourire ouvert de la jeune femme que l'on verrait bien prendre le doigt du mari dans sa bouche en guise de préliminaire ?

 

*

Pour finir de semer mes cailloux de petit poucet, la photo qui donne envie de regarder ses pieds sans faire la tête. Les pigeons prolongent le chemin des pétales, et leur alignement fortuit fait naître la poésie du prosaïque plutôt que des confettis à l'eau de rose, tout comme le quotidien devra inventer sa banalité pour que le mariage ne tombe pas dans la médiocrité sitôt les noces célébrées – dérisoire mais pas risible.

 

 

Toutes les photos viennent du site de l'exposition, où les couples racontent leur histoire en quelques lignes. Passés la confession des confessions et l'invention d'augures comme le premier baiser à la station Concorde, on trouve quelques pépites. Ma préférée : "— Tout est allé très vite. Je l’ai invitée à manger des pâtes chez moi. Des pâtes à l’eau." Moi, j'avais eu le droit à des pâtes à la carbonara, mais avec peu de crême et sans lardons, parce que je n'aime pas trop ça. Rassurez-vous, vous pouvez continuer à manger des tagliatelles à la carbonara, et même des spaghettis bolognaises, le mariage n'est pas compris dans le menu.

Commentaires

c'est joli!

Écrit par : louison | 20 juillet 2010

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