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22 novembre 2009

Concours du corps de ballet de l’Opéra, les dames d’abord 2/3

Mercredi 18 novembre, Garnier.

 

Les quadrilles avaient pour variation imposée le Grand pas classique, de Victor Gsovsky (si vous voulez un modèle qui ne vous donnera absolument aucune idée des difficultés, cliquez ici) . Outre l’équilibre et la trajectoire dans le morceau de bravoure final, les différences pouvaient s’apprécier dans les cinquièmes plus ou moins longues avant de relever en attitude devant et les piqués attitude en tournant dans la diagonale du début. Il est difficile d’avoir un souvenir assez précis de chacune quand la même variation est passée dix-neuf fois et que toutes ont défilé dans le tutu blanc de concours, mais je me suis répété comme une incantation les noms de Saint-Martin et Barbeau pour ne pas les oublier (Marine Ganio, il n’y avait pas de risque - Hilaire, Cozette, Moreau… c’est dingue ces dynasties familiales où les danseurs vont par paire !) pour ce qu’elles me paraissaient sortir du lot. Techniquement – c’est d’abord ce qu’on leur demande pour devenir coryphée. Aucune cependant n’avait l’aisance de Mathilde Froustey, dont je me souviens encore quelques quatre ans après (seul autre concours de promotion interne auquel j’ai assisté) ; elle semblait presque nous narguer par son aisance.

 

La variété des libres en facilite le souvenir. Certaines sont appréciables sans pour autant laisser de souvenir impérissables, comme Leïla Dilhac dans Emeraudes, Claire Gandofli dans Giselle ou Sophie Parcen en première Ombre de la Bayadère. Inversement, je me suis parfois demandé si ce n’était pas le choix de la variation qui me plaisait davantage que son interprétation (mais savoir choisir ce qui vous convient est déjà une immense qualité en soi), l’Esméralda de Roland Petit plus que Valentine Cosalante, ou Vaslaw de Neumeier plus que Miho Fuji (choix vraiment personnel au milieu de ses très classiques camarades de classe). Encore que cette dernière variation ayant été à nouveau dansée par la suite, je dois dire que la première version m’a plutôt bien plu. C’est aussi un des grands intérêts du concours : non seulement, on peut voir chaque danseur seul dans des rôles de solistes, mais on peut également découvrir des variations ou avoir le plaisir de revoir celles qui sont tirées de ballets peu souvent donnés.

Certaines tendances se dégagent, comme un amour certain pour Suite en blanc : une splendide Sérénade par Silvia-Christel Saint-Martin (à quoi pensent les parents ? quand on a un nom composé on ne décompose pas aussi le prénom !), une élégante Cigarette par Léonore Baulac et deux Flûtes à la suite (enivrez-vous !) par Gwenaëlle Vauthier et Jennifer Visocchi (c’est malin, du coup, je ne me rappelle plus qui est qui).

Pour tâcher d’achever le passage en revue, ajoutons dans le plus grand désordre une belle et solide Dulcinée par Marine Ganio (je crois que je la préfère à son frère) ; les promesses de Peggy Dussort en Paquita qui a de beaux bras et une certaine présence qui mérite d’être soutenue par une technique plus solide encore ; l’autre Paquita de la très belle Marion Barbeau ; une reine des Dryades catastrophique par Lucie Mateci, dont la technique ne suit absolument pas la belle ligne (il ne suffit pas d’avoir des levés de jambes - sans rire, je l’ai travaillée cette variation et même moi, je passe mieux les fouettés – enfin, je les tiens, quoi) ; la Juliette très dansante (toutes devraient l’être, me direz-vous, mais ce n’est pas toujours aussi fluide) d’Aubane Philbert, et la délicieuse liane qu’est Laure-Adélaïda Boucaud dans une variation d’Apollon de Balanchine. Il en manque, mais c’est que la mémoire me fait défaut.

 

 

Les coryphées se sont pris les pieds dans la variation de Louise du deuxième acte de Casse-Noisette, version Neumeier. Il m’a fallu quelques filles pour comprendre la structure de la variation, tellement ça allait dans tous les sens. Mais cette version moins frontale que la Noureev me plaît bien, avec ses petits ports de bras au début (ça donne déjà une idée du style de chacune), ses renversés et son manège. Visiblement, les candidates ont moins aimé. Sans parler de l’arrivée du tour arabesque en dehors ou de la brusquerie des relevés arabesque, les développés et les posés tours du manège ont donné lieu à un florilège de trajectoires déviantes, déséquilibres dangereux, tours finis sur demi-pointes voire à pied plat, arrivées escamotées ou presque de profil, secousses et tressautements en tous genres pour finir coûte que coûte. Seule Eléonore Guérineau a enlevé le tout avec un formidable aplomb. Mais visiblement, son physique (de même que celui de Marine Ganio ?) n’est pas du goût de tout le monde, puisque malgré l’éclat de sa technique dans son totale Casse-Noisette (version Noureev dans sa libre), elle n’a pas été nommée. Passer au milieu d’anorexiques ou assimilées n’aide pas non plus.

 

Nous avons eu le droit en libres à quelques reprises de variations déjà choisies par les quadrilles : après L. D., j’ai vérifié que je commençais à apprécier Emeraudes avec Fanny Gorse. Laurène Lèvy a repris Roméo et Juliette à la suite d’Aubane Philbert, sans que la différence de garde soit flagrante. Sinon, en général, c’est amusant de voir la même variation prendre plus de relief en montant de niveau : Fanny Gorse avait plus de piquant que D., par exemple (enfin, dans l’étroite mesure où Emeraude le permet, puisque le piment rouge, c’est davantage l’affaire des rubis), et la Dulcinée de Pauline Verdusen était plus aboutie que celle de Marine Ganio - qui n’a pas démérité. Charlotte Ranson a donné à sa variation de Vaslaw moins de violence et plus d’épaisseur que sa benjamine (par rapport au grade – je n’ai aucune idée de leur âge) qui avait cependant pour elle une dynamique bienvenue (je continue à préférer sa version de la jambe hissée à la seconde puis passée à en quatrième avec cambré en déséquilibre).

Après avoir raté son imposée, Juliette Gernez a été magnifique dans la variation de Marie de Clavigo (je veux voir ce ballet !). Le costume de Juliane Mathis en Manon a particulièrement traumatisé mes voisines qui l’ont abondamment commenté : trop chargé, lourd, on ne voit pas les jambes… Le cygne d’Amandine Albisson, sans être sujet à aucune flottement, ne m’a pas emballée ; c’est un peu blanc cygne et cygne blanc. Blackout sur Caroline Robert ; j’aime Robbins, mais ses chorégraphies semblent me provoquer des amnésies. Les équilibres de Lucie Clément ont été bien tenus mais ont quelque peu absorbé toute l’attention de sa Nikiya – et le maniement du panier attendu avec des déhanchés avait quelque chose de bizarre. Séverine Westermann s’est surtout fait remarquée par un choix dont l’audace tient avant tout au costume, un académique chair où se trouvent dessinés seins et pubis. Comme tous n’avaient pas remarqué la démarcation autour du cou, j’ai arrêté de regarder aux jumelles cet extrait de la Maison de Bernarda – jamais vu de Mats Ek, il faudrait.

J’ai gardé le meilleur pour la fin (relative, nous n’en sommes qu’aux quadrilles) : j’ai retrouvé la fille au port de tête sublime dont la prestance m’avait frappée dans la rivière des Diamants, il s’agit d’Héloïse Bourdon. Je suis tombée amoureuse de sa danse. Elle peut bien n’être pas la meilleure techniquement –encore que ses deux variations aient montré sa solidité- je suis prête à toute la mauvaise foi du monde pour la soutenir face à d’éventuels détracteurs. Non, mais quelle classe, quoi ! royale en Gamzatti : pas dédaigneuse, mais digne ; pas d’airs hautains, seulement de la hauteur. J’arrête, sinon je vais me mettre à jurer – mais bordel, ce qu’elle est belle !


 

Les sujets ont virevolté sur la première variation dOther dances, de Jerome Robbins. Plus on s’éloigne des quadrilles, moins c’est carré. Tout est plus lié, plus ondoyant, plus propre à révéler les personnalités (ou leur absence, parce que du Robbins plat, ça devient aussi exaltant qu’une promenade romantique au clair du sèche-linge). On arrête de se crisper sur sa chaise, il n’y a plus de crainte technique à avoir pour ce niveau, toutes sont solides, même si certaines (Mathilde Froustey, pour ne pas la nommer) sont déconcertantes d’aisance : et que je te rajoute un petit tour, et puis cette jambe, là, elle était vraiment trop basse… Mathilde est fidèle à elle-même, jambes d’acier, bras déliés, fluide, pleine de froufrousteries, ravissante en œuf de pâques (coquetterie – la plupart ont choisi de laisser flotter le ruban avec l’espèce de fleur). Evidemment, c’est un peu démonstratif ( - un peu ?! me reprend le soir une balletomane en loge impératrice ; c’est carrément démonstratif, trop, oui !), mais je ne m’en lasse pas. Tout comme ses équilibres vifs et interminables, un brin provocateurs dans sa variation de la Dulcinée. Cela me rappelle sa variation du grand pas classique où je l’avais vue, il y a quelques années – visiblement, le jury le ressent comme du foutage de gueule. Les gens manquent d’humour, vraiment ; après tout, n’est-ce pas ce que l’on regarde dans un concours ? C’est par leurs rôles au cours de l’année davantage que par deux minutes de variation que l’on peut évaluer une maturité et un potentiel artistique.

Si l’on est un peu moins Mathildecentré, on pourra rapporter l’aplomb de Sarah Kora Dayanova dans la variation de l’étoile d’Etudes –même si elle ne m’emballe pas outre mesure, de même que Charline Giezendanner dans sa Giselle paysanne (oui, bon…) et Christelle Garnier en Manon Lescaut (je ne sais pas si c’est en qualité de plus haute gradée, mais elle a hérité d’un costume moins frange de tapis et pompons de rideau que Juliane Mathis, quoique encore un peu trop chargé). Je n’ai remarqué Ludmila Pagliero que par le choix de sa variation, vu que j’aime bien Roland Petit ; l’interprétation était au service minimum. Alice Renavand nous a permis de revoir la variation de Marie de Clavigo avec plaisir. Caroline Bance a quant à elle émit quelques Signes envers le jury, qui n’a pas du capter l’interprète qu’elle pourrait devenir ; il faut en effet pas mal de présence pour captiver le regard avec des gestes lents, précis, éloignés du spectaculaire. Elle m’a donné envie d’acheter le DVD, tiens, en attendant que la chorégraphie de Carlson soit à nouveau programmée. Il faut dire aussi, pour plus de justesse, que son imposée manquait de relief : tout était nivelé, tant au point de vue de la hauteur de jambe que des accents, gommés. Non, celle qui aurait pu jeter de l’Ombre sur ses concurrentes, c’est Sabrina Mallem dans Mirages. Rien que son doigt ganté pointé… plus un gamin ne parlait dans l’amphithéâtre ; j’ai oublié leur présence jusqu’à ce que l’un d’eux lâche un « wow, ça donne des frissons » (ou quelque chose dans ce goût-là, j’étais en train d’émerger) à la fin.

 

 

Les résultats

 

Coryphées
Mademoiselle Laure-Adélaïde BOUCAUD (20 ans)
Mademoiselle Aubane PHILBERT (21 ans)
Mademoiselle Valentine COLASANTE (20 ans)

 

La dernière ne m’avait pas spécialement marquée (entre elle et la nouvelle première danseuse, Roland Petit s’avère payant), mais j’acquiesce pour les deux premières, bien qu’elles eussent dû être précédées de mademoiselle Saint-Martin, oubli un peu trop évident.

 

 

Sujets
Mademoiselle Amandine ALBISSON (20 ans)
Mademoiselle Héloïse BOURDON (18 ans)
Mademoiselle Sévérine WESTERMANN (28 ans)

 

Ma favorite a été promue, je leur passe le reste (d’autant qu’il paraît qu’Albisson est mieux d’habitude), je n’ai pas d’avis que la question. 18 ans seulement… Entre la ressemblance, le prénom et l’âge, je me demande s’il ne s’agirait pas de la nièce de Yannick Stephan, que j’avais croisé à Verneuil-sur-Avre il y a hum quatre ans, je dirais. Si c’est elle, en plus d’être fantastique, elle est d'une extrême gentillesse.

 

 

Première Danseuse
Mademoiselle Ludmila PAGLIERO (26 ans)

 

C’est l’aberration du concours. Et dire qu’elle peut théoriquement être nommée étoile à tout moment - ce dont elle n’a pas du tout la trempe. En loge Impératrice, le soir même :

« - Elle va rester première danseuse, toute sa vie, voilà tout ».

L’interlocutrice émet quelques doutes craintifs par un contre-exemple : « - Enfin, Emilie Cozette… ».

Commentaires

Merci beaucoup pour ton commentaire détaillé ! Je suis également très contente pour H. Bourdon.
Pas regretté de n'être allée en cours ?
Au sujet du "modèle" de Grand Pas, j'en ai un autre à proposer (très coonu aussi) si ça te dit :
http://www.youtube.com/watch?v=y0itBRzTJ1Q

Écrit par : B#2 | 22 novembre 2009

Regretté de n'être pas allée en cours ? Quand de surcroît, c'est de la phonétique (et de la littérature de la Renaissance - un séminaire pré-XIXème obligatoire) qui usurpe ce terme ?

Cet exemple du Grand Pas est peut-être très connu, mais pas de moi, donc merci pour le lien ! (c'est marrant qu'à la fin de sa variation elle enveloppe en dedans pour ensuite développer à la seconde - ça fait moins bourrin que le tour en dehors après le relevé sur pointe, du coup).

Écrit par : mimylasouris | 24 novembre 2009

Vu hier Ludmila Pagliero dans Casse-Noisette. Aucune grâce dans le 1er acte, mais techniquement pas mal dans les variations du 2ème. Un peu anorexique, aussi.
Très riche, ton blog, j'y ai passé un bon moment, merci.
(Une -il a bien longtemps de ça- normalienne et -toujours- danseuse amateur)

Écrit par : Pascale | 18 décembre 2009

Pourriez-vous retirer votre commentaire me concernant.Je vous en remercie.
Et je vous signale aussi que Marc Moreau n'est pas de la famille d'Hervé Moreau.
Cordialement
Leila

Écrit par : dilhac | 05 août 2010

Pascale >> Je viens de m'apercevoir que j'avais laissé passer votre commentaire : toutes mes excuses ; si jamais vous repassez par ici, je tâcherai de réagir plus vite. (Une danseuse normalienne peut-elle avoir un blog ?)

L. D. >> Je vous remercie de votre précision sur l'homonymie trompeuse entre les deux Moreau, mais suis au regret de vous informer de ce que je n'ai pas l'habitude de rétracter mes dires, surtout après avoir vérifié qu'ils ne contenaient rien de diffamatoire et que le ton léger que j'emploie parfois ici ne pouvait en aucun cas être interprété comme injurieux ou grossier. J'ai apprécié votre variation sans en être outre mesure enthousiasmée, j'en suis désolée ; tout ce que je peux vous proposer est de supprimer les autres occurrences de votre nom, qui expliquent probablement le référencement de mon billet en première page google (c'est également pourquoi j'adresse cette réponse à vos seules initiales). Enfin un avis d'amateur vaut ce qu'il vaut ; vos admirateurs trouveront de toutes façons des articles dithyrambiques avant de tomber sur mon blog. Au plaisir de vous revoir sur scène, en espérant m'être trompée sur un échantillon de danse parfois peu représentatif des qualités d'un artiste.

Écrit par : mimylasouris | 10 août 2010

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