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06 juillet 2017

La ville anacyclique

Plus fort qu'une anagramme,
moins rigoureux qu'un palindrome.

Avant le Japon, juste avant : Rome. Roma. Alors que les souvenirs nippons menaçaient de s'oxyder rapidement, je sentais que je pouvais attendre pour Rome et que même, plus j'attendrais, plus cela deviendrait lumineux. Un trou noir lumineux. Qui efface peu à peu les souvenirs dans son éblouissement : je ne sais déjà plus exactement ce que nous avons fait, à part nous sentir bien à arpenter-déambuler dans la ville.

Immédiatement, dans la grande avenue de platanes, nous sommes chez nous et nous sommes nous : on se retrouve du bout des doigts, puis à pleines poches. Plaisir du contact de la peau et de l'air chaud. Soulagement des premières chaleurs, quand on est à nouveau surpris par les sensations, jambes nues. Le premier parfum de glace est évident dès que j'aperçois les cônes-cannoli siciliens et tout, en ce premier jour, a l'évidence de la ricotta.

 

 

Dans une lumière bleutée, que je retrouve sur les photos de mes dessins de souris, soudain repris, flotte et s'oublie le désagrément d'un réveil trop matinal, trois mètres sous le plafond. Malgré cela, j'aime l'Haussmannien romain, la cour immense devant laquelle nous buvons le pamplemousse décidément chimique du petit-déjeuner.

Il y a les platanes et les pavés, les volets et leurs jalousies à moulinette, et les crépis surtout : jaunes, ocres, qui tirent sur l'orange ou le rose, grattés, effacés, patinés-pâlis par le soleil. Je pourrais m'y frotter de les retrouver, comme dans les films les citadins égarés enlacent les arbres pour éprouver leur amour oublié de la nature. Ici, l'amour du temps et de la décrépitude heureuse.

 

Crevure

(C'est l'insulte complice de Palpatine quand je lui ai montré la photo sur l'écran de l'appareil : il y a une sorte de pacte de non-agression photographique entre nous, visant à préserver notre non-photogénie mutuelle. Cela nous vaut un nombre ténu de photographies-jalons, et j'ai de plus en plus envie d'en faire fi, mais ce n'était même pas ce qui motivait ici ma prise de vue : je voulais ce mur, il me le fallait vivant, et je persiste à trouver le résultat bizarrement émouvant.)

 

 

ll y a le foulard turquoise noué en turban pour se protéger du soleil, la crème achetée en plein cagnard et l'insolation que l'on cuve au milieu des cris de chauve-souris, installation de la philaharmonie. Dans la boutique attenante, climatisée, Yuja Wang a toujours sa chapka.

Il y a les supplis que l'on contemple extatique et la serveuse qu'on dévore à la dérobée, l'essayage de Palpatine chez le tailleur du pape et les rues dans lesquelles je me perds plus ou moins. Hypothèse à vérifier : je ne parviens pas à me repérer dans les villes traversées par un fleuve nord-sud ; il me faut un axe est-ouest, comme à Londres, comme à Paris. Les bords du Tibre, au cœur et comme en-dehors de la ville. Les rues s'enchaînent néanmoins, sans orientation, dans une habitude parfois fantaisiste, comme si le puzzle de la ville autorisait plusieurs combinaisons. Je me souviens, je concatène : des asyndètes géographiques.

Un prêtre à vélo double une femme en soutien-gorge à dentelle, qui étale ses courbes le long du bus. Et dans toute la ville ses lèvres de bimbo : pas de meilleur marketing pour assurer l'audimat des confessionnels.

Toujours pas d'artichaut, même si nous traversons le quartier juif. Il faut se ménager des prétextes pour revenir.

Palpatine prend un coup de fil pro dans le cloître de la galerie Doria Pamphilj. Irritée tantôt, je suis heureuse là, de rester là, dans le cloître de cette galerie que je n'ai pas envie de visiter parce que j'aime trop sa cour-cloître qui m'alpague chez chaque depuis la rue bruyante et me prend à la gorge avec sa lumière, ses volets fermés. De retour à Paris, à la FNAC, j'ai tiré un petit volume, Terrasse à Rome, du rayonnage et la quatrième de couverture m'a lue, exactement, ce moment-là :

Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le cœur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d'un bout à l'autre du monde et pour ne pas y tomber.

 

 

Le reste du livre était superflu.
(Pascal Quignard y écrit comme un burin : grave quelques images fortes, trop fortes pour un récit.)

La ville éternelle

(Cette ville est si lumineuse qu'on peut sans problème passer les photos en noir et blanc : non seulement on ne perd pas la chaleur du soleil, mais on perçoit encore mieux son incroyable luminosité…)

18 décembre 2016

Second Story Sunlight

Second story sunlight

J'aurais pu rester un temps infini devant Second Story Sunlight, à baigner dans sa lumière…

Solitude, mystère, nostalgie. Et un bingo Hopper pour l'exposition présentée à Rome, un ! J'aurais mauvais jeu de critiquer une exposition fort bien ficelée, avec un audioguide bien calibré et une scénographie agréable de savoir se faire oublier, mais c'est plus fort que moi : la solitude est une telle tarte à la crème hopperienne que j'ai envie de dessiner des petits bâtons à chaque occurrence de l'audioguide ou des cartels. On prend parfois un peu de distance avec les cadrages cinématographiques, mais la tentation est trop forte de chercher à savoir ce qu'il y a derrière et on revient buter dessus : la solitude, le mystère des silhouettes isolées. Il ne vient manifestement pas à l'idée de grand monde que le mystère ne tient pas ce qu'il y a derrière (derrière les angles morts, derrière les corps barrés de peinture) mais devant (devant nous) : ce qui est, et qui n'est rien d'autre.

Plus ça va, plus je suis persuadée que la peinture de Hopper est contingence pure. On n'y voit même pas quelqu'un : une silhouette ; même pas une silhouette : un bâtiment ; même pas un bâtiment : un pan de mur ; même pas un pan de mur : un pan de mur éclairé.

"an attempt to paint sunlight as white with almost no yellow pigment in the white."

Pas le soleil, juste la lumière. Juste ce qui rend visible ce qui est, et ce miracle : qu'il y ait quelque chose. Et nous, qui tentons de nous y insérer, de nous y mouvoir (trouver sa place). D'où les cadrages, la mise en scène : on tourne autour et on est déjà dedans.

 

OK, la photo souvenir a un petit côté Disneyland, mais c'est ludique et intelligemment fait. Cœur surtout sur la personne qui a eu l'idée de disposer trois tables lumineuses à la sortie, sur lesquelles décalquer une œuvre ; j'ai rapporté chez moi une maison mal crayonnée, mais qui m'a beaucoup amusée. Non, vraiment, sans la climatisation, cela aurait été parfait. Cette exposition valait bien un rhume, sans doute.

*

Maybe I am not very human - what I wanted to do was to paint sunlight on the side of a house.

Ce qui est. La lumière. C'est énorme et c'est tout con. Toute la beauté du truc. Toute la difficulté aussi, parce qu'on a du mal à s'y arrêter. La contingence appelle la genèse ; on a envie de faire parler ce matériau brut, de l'animer, le prolonger (d'où le fort appel narratif de cette peinture). On a beaucoup de mal à se retenir d'y projeter des pensées et des sentiments qui n'y sont pas - pas sous un prisme psychologisant, en tous cas, pas comme ça, même s'ils infusent toute la peinture, la font manifestation d'une intériorité. De voir cette exposition avec Palpatine, je me suis dit que les tableaux de Hopper sont probablement la meilleure illustration-transcription de ce en quoi son profil INTP* peut être difficile à saisir : aussi lisse et intense qu'un mur ensoleillé. Maybe not very human.

* Profil MBTI, nouvelle marotte de Palpatine. J'y reviendrai.

Rome de jour

 

Ombre d'un lampadaire ouvragé sur un mur de briques et feu tricolore

 

Ombres de ppin et cyprès sur le bâtiment du duce

 

Ciel orageux et arbres lumineux

 

 

Reflets des nuages sur l'eau irisée de vaguelettes