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09 décembre 2016

La Claire Chazal du violon

Soirée bookée pour le programme, essentiellement français (minus Mozart). Quand je demande à Palpatine pourquoi il ne l'a pas sélectionnée, il me fait une moue Bordeau Chesnel #NousNAvonsPasLesMêmesValeurs :
Non, mais c'est bien, il faut avoir entendu Anne-Sophie Mutter une fois dans sa vie.

Une fois.
Je retente avec @gohu, qui grimace sitôt le nom prononcé. De mieux en mieux.
Je me plains de la flemme et des garçons auprès de @JoPrincesse qui me secoue aussitôt ; la violoniste l'a fait rêver toute son enfance : obligée j'y vais.
Faudrait savoir.
 
Faudrait savoir, mais voilà, la soirée ne m'avance pas beaucoup. Autant Lambert Orkis, au piano, m'inspire une sympathie naturelle, autant je serais bien en peine de dire si j'apprécie ou non le jeu d'Anne-Sophie Mutter. Sébastien Currier, Clockwork pour violon et piano, puis Sonate pour violon en la majeur de Mozart. J'écoute sans déplaisir, mais sans grand plaisir non plus. Comme pas mal de choses ces derniers temps, j'y suis parce qu'il était prévu que j'y assiste. Je n'attends pas vraiment que cela se passe : je reste consciente à, je fais l'effort de, mais sans trop rien en penser ni ressentir. C'est une persévérance d'habitude : je mime mon moi passé, qui y prenait plaisir, en espérant que cela revienne, que quelque chose se passe, comme pour Bella Figura, pour que s'efface cette morne indifférence. Peur de devenir blasée. Peut-être juste fatiguée. La place que j'occupe n'aide pas : sur le petit nuage noir près de l'orgue, la musique n'enveloppe pas. Dire qu'il faut tendre l'oreille serait sûrement un brin exagéré, et pourtant, il y a quelque chose de cet ordre-là : il faut tendre son attention.
 
En me replaçant à l'orchestre, je gagne de nouveaux voisins, absolument charmants. Austères-chic, un accent que j'aurais pensé d'origine vaguement germanique s'ils ne déploraient l'absence de place pour les pieds en anglais. Surtout, ils sont aussi enthousiastes pour le concert que critiques envers la salle, c'est-à-dire très. Je ne sais pas vous, mais la compagnie de personnes qui apprécient un spectacle me le fait presque systématiquement apprécier davantage. Cela tombe bien, c'est aussi la partie du programme que j'attendais, avec deux sonates pour violon et piano, l'une de Maurice Ravel, l'autre de Francis Poulenc. Sur cette dernière, l'écoute imaginative se remet en place : je me retrouve dans un ascenseur qui débouche dans des couloirs aux allures très différente, hôtel ou polar-parking, ascenseur cage en verre aux arrêtes tranchantes, subrepticement colorées dans le mouvement, dans l'obscurité ; un coup de talon aiguille, le verre se brise toile d'araignée, et la vision brise là. Cela ne reprend pas avec l'Introduction et Rondi capriccioso de Camille Saint-Saëns, virtuose mais sur Stradivarius : cela va à tout crincrin*.
 
Au final, je n'ai pas compris pourquoi la soupe à la grimace quand on prononce le nom d'Anne-Sophie Mutter auprès des mélomanes de mon âge.
Mais je n'ai pas non plus compris pourquoi le public en faisait tout un plat.
Peut-être parce que, contrairement à la question-suggestion de ma voisine, je ne suis pas violoniste, non, non, réponds-je avec un peu trop d'empressement, tant cela me paraît improbable-inatteignable. Je n'ai pas pensé à lui retourner l'interrogation, ni au peu de surprise que j'aurais eu si, lors d'un ballet, on m'avait demandé si j'étais danseuse…
 
* Le jeu de mot hippique vient sûrement de la traîne de sa longue robe verte de sirène, attachée pile au milieu des deux fesses comme une queue de cheval (je ne reluque généralement pas le postérieur des artistes, mais c'était la vision que j'avais depuis ma place initiale).

15 janvier 2016

Requiem de bonne année

Premier concert de l'année et retour à la Philharmonie après deux mois off. Je ne suis pas vraiment sûre d'avoir entendu le Concerto pour piano n° 19 de Mozart ; j'ai surtout senti la musique se glisser dans mon corps et fluidifier ma pensée, passer à vive allure là où je m'attardais, entraînant des idées cent fois parcourues dans son flux, les faisant jaillir et disparaître sans qu'elles aient plus le temps de faire de nœuds. Reposant.

Cela tombe bien, c'est le sujet. Je ne sais pas si je m'étais jamais fait la réflexion que requiem vient de requies, requietis, le repos en latin. Je mets un temps infini à retrouver ma troisième déclinaison ; quel en est le modèle, déjà ? Grâce au livret récupéré à l'entracte, je fais une heure de petit latin. Six ans après la khâgne, je suis tellement rouillée que même avec du latin de cuisine de messe, je me trompe dans les structures grammaticales. Peu importe. Petite joie de rencontrer olim (autrefois) dans l'offertoire : j'adore ce mot, qui semble nicher tout un monde passé dans une olive. Petite moue adressées aux brebis, oves, qui m'auront coûté un point au bac : je les avais confondues avec des moutons, je crois, ou des chèvres, allez savoir. Petit dédain aussi pour la prononciation des c qui se fait à l'italienne (ss et non k), alors que les v sont bien prononcés comme le w de what (oui, je suis ignare en signes phonétiques) ; je croyais que cela allait de paire. Petite promenade en terrain passé, en somme. Si l'on ne se soucie pas trop d'avoir perdu en maîtrise, il y a un plaisir certain à retrouver ce que l'on a su. Ou dansé. J'avais oublié que le Lacrimosa s'inscrivait dans le Requiem, mais j'en connais chaque souffle, chaque arabesque (plongée), le bras qui balaye le sol au début, le pied qui s'écarte sur le mmm et les bras qui montent en même temps que la demi-pointe sur le en d'Amen. Danser ces pleurs en groupe avait quelque chose de galvanisant, et même de plus fort que le Dies irae. Repris en bis, celui-ci troque le repos promis contre l'intranquilité. Un peu dommage sachant qu'à la Philharmonie, les chœurs bercent davantage qu'ils ne font trembler. La beauté y est toujours exempte de ce grain de voix, de cette vibration, qui, s'insinuant en vous, vous colle des frissons. Et pourtant, c'était l'Orchestre de Paris… Soupir d'aise ou de résignation, tant pis, je ne trancherai pas.

 

26 septembre 2015

Au nom de Mozart, de Bach fils et du Saint Esprit

Reprise de la saison musicale avec Les Vêpres solennelles d'un confesseur – d'un confiseur, dixit @_gohu. Ce morceau de Mozart est effectivement une douceur... qui me laisse sur ma faim. Aurais-je désappris à écouter durant l'été ? L'oreille musicale se rouillerait-elle comme le corps qui n'a pas dansé ? Toujours est-il que la musique entame son travail sur moi et aère mes pensées comme le ferait la marche. Il ne faudrait pas grand-chose pour passer de la torpeur à la méditation.


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Une queue de cheval de côté, comme une couette unique, chez le violon solo, et Laurence Equilbey à la baguette. Cela fait du bien de voir une femme à cet endroit. La seule chose que je n'aime pas dans sa direction, c'est la fin des mouvements : il n'y a pas ce moment de suspend qui donne au son le temps de s'égoutter. On dirait la hampe d'une lettre brutalement arrêtée dans sa calligraphie, sans que le trait, main allégée, se soit affiné.


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Les frissons arrivent avec Le Magnificat de Carl Philipp Emanuel Bach (il faut être fils de pour avoir droit à un prénom). Judith van Wanroij, sa voix, son sourire sont magnifiques, et le choeur d'Accentus trouve alors la voie du mien. La musique se déroule comme le travelling en gros plan d'une peinture pleine de draperies (étrange synthèse d'Intermezzo vu sur la 3scène et de la lumière du jour sur ma couette richement orangée, qui me met toujours le doute – ai-je bien éteint la lumière ?). Travelling lent et inexorable ; on n'en voit pas la fin et on la redoute. « Dans ses Vêpres de 1780, l’écriture chorale de Mozart se tourne parfois vers le passé, tandis que le Magnificat du fils de Bach regarde résolument vers l’avenir. » C'est surtout à celui de mon arrière-grand-mère que je pense, qui à bientôt cent ans, bientôt un siècle, un siècle de mémoire qui ne laisse plus de place à la mémoire immédiate, va devoir quitter sa maison et s'installer en maison de retraite. Bizarre futur qui est à la fois mon passé généalogique et mon futur biologique. Qu'aurai-je eu le temps de faire d'ici là ? Le travelling continue, implacable, adouci par le retour in extremis de la soprano. Aimer, j'entends bien.


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Deux bis dont un où les alléluia sortent comme des spaghettis déjà cuits de leur doseur. Allénouilla.

31 mai 2015

Soirée tchéquo-mozartienne

Jeudi soir, Palpatine et moi avons fait concert à part, lui à la Philharmonie 1, moi à la Philharmonie 2. Et non, rien de rien, je ne regrette rien, car j'ai passé une excellente soirée tchéquo-mozartienne en compagnie de Luce. Dès le début, ça dépote : si solidement campé sur ses deux jambes qu'il me fait penser à Horatius Coclès1, Vladimir Jurowski mène le Chamber Orchestre of Europe à la baguette. Son brushing impeccable, pointes vers l'extérieur, ne bouge pas d'un pli lorsqu'un accord du Double concerto pour cordes, piano et timbales de Martinů lui intime de se rassembler sur la seconde, jambes serrées comme un soldat au garde-à-vous, surpris par l'arrivée de son colonel. Le Czech power, c'est la qualité professionnelle pour vos cheveux oreilles.

Les couleurs tchèques sont également défendues par Mladi de Janácek, sextuor de vents où chaque instrument caquète, glousse, cancane et jacasse à son aise. Allez viens, ma poule, on va danser ! (Je me retiens de me dandiner sur mon siège.)

La transition grand écart avec Mozart est assurée par sa symphonie heureusement intitulée Prague. Je n'en ai pas de souvenir beaucoup plus précis qu'un état de mi-béatitude mi-hébétude, à cause de la fatigue (concert finissant à 23h20 !) et des divagations qui s'en sont suivies (la coupe de cheveux et les sourcils Hermione-like de la flûtiste m'ont fait dériver, via le souvenir d'un tweet sur Emma Watson, vers des considérations mi-féministes mi-fumistes).

J'étais bien plus concentrée pour le premier Mozart pré-entracte, Concerto pour piano n° 24. La disposition des musiciens m'a semblée originale, avec les contrebassistes toujours debout, et les vents rassemblés côté cour ; on les voyait ainsi onduler de profil, plongeant et se redressant au gré des phrases musicales, comme si leur instrument était vivant et qu'il fallait tantôt le suivre tantôt le contrer pour mieux canaliser ses embardées serpentines. Au milieu, sur sa chaise sans confort : Radu Lupu, pépère. Pas la peine de s'en faire, pas la peine de s'agiter, pensez-vous, la musique est déjà là, il suffit d'effleurer quelques touches pour la raviver, comme un souvenir un peu enfoui qu'on découvre intact en s'y repenchant. On s'étonne de ce que les émotions, déjà vécues, soient si vives, si neuves – si paisibles aussi : le toucher de Radu Lupu est aussi doux qu'on imagine sa barbe nuageuse l'être. Il joue du piano l'air de ne pas y toucher et, en deux temps trois mouvements et bouts de ficelles, vous fait le concerto le plus merveilleux qui soit. Indulgent, il passe outre nos applaudissements d'enfants gâtés, qui réclament un bis, et nous en offre un : c'est Noël.

 

1 Vieux souvenir de version latine, où Tite-Live raconte comment le héros romain a défendu seul un pont attaqué avant de se jeter dans le Tibre pour rejoindre les siens à la nage sous les flèches ennemies. Les voies des associations d'idées sont impénétrables.