07 janvier 2014
Le monde de NAO
Toutes les photos sont d'Arnold Jerocki
Robot débute par tout un tas de projections sur un corps immobile : vue chiffrée, nerveuse, musculaire, robotisée, superhéroïsée… les visions les plus variées et fantaisistes se succèdent pour finalement laisser le danseur dénudé dans la lumière blanche, la peau semblant à cet instant la plus curieuse des carapaces.
À l'image de l'ouverture, le spectacle de Blanca Li explore les liens et les fantasmes que l'on projette entre technologie et organisme. Les gestes saccadés des danseurs, décomposés en fractions de mouvement que l'on imaginerait ceux d'un robot, sont en effet bien plus complexes encore que ce que le robot est effectivement en mesure de faire. Ces mouvements sont moins inspirés de la robotique qu'ils ne constituent un modèle pour le programmeur qui s'efforce de les reproduire. Le petit robot NAO en salopette bleue est ainsi présenté comme un enfant qui apprend à marcher, bras en l'air, soutenu par un papa-danseur. Ce sont les premiers pas de la robotique humanoïde – et le programme de base semble être une suite de mouvements pour que le robot, qui se casse assez fréquemment la figure, puisse se relever sans intervention extérieure. Lorsque NAO reproduit un équilibre en développé à la seconde, toute la salle applaudit, sans que l'on sache vraiment si c'est pour la prouesse de conception et de programmation ou par mimétisme avec l'équilibre humain, considéré comme une forme de virtuosité. Je me surprends d'ailleurs à le trouver choupi, avec sa tête ovoïde et ses petits yeux-écrans clignotants comme d'un battement de paupière. À se demander si on ne considérerait pas avec tendresse tout ce qui est susceptible de nous ressembler et n'a pas encore de forme assez définie pour démentir cet égocentrique présupposé.
Ce qui aurait pu être un pensum sur « la relation complexe de l'homme à la machine » s'avère être une suite de saynètes pleines d'humour. C'est un joyeux spectacle, comme on dirait d'un joyeux bazar. Mention spéciale au numéro de karaoké de NAO, boa rose autour des épaules, bientôt entouré de ses Claudettes mi-hôtesses de l'air mi-ouvrières à la chaîne (apparemment l'uniforme de Maywa Denki, à l'origine des robots musicaux, qui serait aussi l'uniforme typique des vendeurs d'appareils électriques au Japon). Comme le nouveau né qui suscite toutes les gagatisations imaginable, le robot attire les comportements stéréotypés – et lorsqu'on met bout à bout tous les automatismes de la vie moderne, du lavage de dent à la consultation des smartphones dans une rame de métro qui vous propulse sur votre voisin quand le conducteur freine, on obtient un accéléré comique de la mécanique quotidienne. L'appareil le mieux automatisé, c'est encore nous. Et c'est quand on imite un robot imaginaire qu'on s'en éloigne le plus, pour donner à voir une construction artistique, élaborée avec des danseurs qui ont répété, travaillé l'alignement et la synchronisation, pour écarter l'imprévu, qui fait en revanche régulièrement tomber NAO la tête la première.
Quelque part, le meilleur de ce spectacle, c'est l'imperfection. Pas les séries de geste parfois répétitifs des danseurs mais la joyeuse pagaille qui résulte de la juxtaposition des corps et des robots en tous genre, depuis ceux qui font la musique (mon préféré est une sorte de grosse fleur carnivore dont chaque pétale est une lame de xylophone, accompagnée de son pistil-mailloche) jusqu'à celui qui fait le ménage (et qui continue pendant les saluts, obligeant un technicien à lui courir après pour que personne ne trébuche dessus). C'est assez jeté pour qu'on passe une bonne soirée.
11:35 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, robot, blanca li, tce, nao