05 septembre 2014
Les hanches glorieuses
La mode des années 1950, c'est un peu mon fantasme : je la connais très mal et m'y projette très bien. La taille cintrée, les hanches tantôt négligemment masquées, tantôt ostensiblement marquées... voilà la femme sablier, que ma morphologie rejoue en mettant la barre un peu plus haut, de la poitrine aux épaules. Qu'importe le décolleté... la coupe des vêtements sculpte la silhouette ; le regard n'a pas le temps de s'arrêter, il glisse le long du tissu qui l'éloigne du corps passé la taille et le fait si vite arriver à la cheville qu'il n'a qu'une hâte, remonter.
Qu'elles soient moulantes ou forment de larges cloches (mes préférées), les robes des années 1950 donnent une allure d'enfer. Moi qui ne jure que par la minijupe, je me prends à rêver de ces longueurs affolantes, et les robes que Chanel a raccourcies pour libérer le corps de la femme me paraissent bien tristes à côté des somptueuses prisons de tissus créées par Christian Dior ou Jacques Fath, mon nouveau héros. Ils ne lésinent pas sur le métrage, la débauche de tissu célébrant la fin de la guerre et de ses austères jupes droites au genoux, qui sont nées du rationnement et qu'on ne trouve plus guère que dans les écoles privées anglo-saxonnes.
L'exposition du palais Galliera me fait prendre conscience que l'histoire des robes n'a pas été tracée aux ciseaux, du long au court, qu'on les a retroussées et rabattues à loisir. La grande marche féministe étant grimpée, on pourrait relâcher les poings et laisser le tissu retomber avec l'élégance du New look passé et le confort des tissus modernes1, qui permettent de retrouver un peu de tenue.
1 Je le crie avec ma jupe Alexander Wang : vive le néoprène.
23:09 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : expo, mode, galliera
30 janvier 2014
Le roman d'une garde-robe
Quoiqu'illustre inconnue, Alice Alleaume constitue un excellent fil directeur pour l'exposition du musée Carnavalet consacrée à la mode parisienne de la Belle époque aux années 1930 : Alice est une élégante qui collectionne robes et accessoires avec « un goût très sûr » (admirez l'ingéniosité du commissaire d'exposition pour présenter au visiteur les robes non griffées) mais aussi et surtout fille d'une couturière et première vendeuse chez Chéruit, une maison aujourd'hui disparue mais qui, à l'époque, a pignon sur la place Vendôme, tout comme Worth, où travaille sa sœur. Inclus dans une ribambelle de maisons dont on s'amuse à trouver celles qui ont survécu (Lanvin, Cartier...), ces noms qui ne nous disent plus grand-chose ont le mérite de nous plonger sans a priori dans le monde des maisons de couture et dans la vie de leurs employées aussi bien que de leurs clientes. C'est d'ailleurs l'une des premières choses qui nous surprennent, avec O. et Palpatine : il ne semble pas y avoir une grande différence sociale entre Alice et ses clientes. La vendeuse a visiblement les moyens de se constituer une garde-robe made in place Vendôme et, toute jeune, apprend l'anglais pour répondre aux besoins d'une clientèle en grande partie étrangère – américaine, notamment. Sans légende, le tableau figurant la sortie des employées des maisons de couture semblerait représenter celle d'un salon.
Carnets de vente, listes de clientes, lettres de commandes, répertoire des modèles déposés avec des échantillons d'étoffe pour lutter contre la contrefaçon (mais tout le monde ou presque sait coudre à l'époque, non ?), photographies des essayages, gravures des magazines de mode... contre toute attente, c'est la documentation qui se révèle la plus intéressante. Les carnets de bal me laissent rêveuse : nul doute qu'aujourd'hui, ces feuillets accompagnés de crayons miniatures seraient à l'effigie d'Hello Kitty. La liste des danses, à côté desquelles on inscrivait le nom de chacun de ses cavaliers, donne une tout autre idée de la fête, organisée, cadrée – terriblement prévisible, penserait-on aujourd'hui, mais alors peut-être terriblement excitante pour cette raison même. L'exposition donne également vie au livret ouvrier, qui jusqu'à présent n'existait que dans mes cours d'histoire de khâgne. Cette espèce de carnet de correspondance porte les traces de la vogue anthropométrique : on apprend ainsi que la mère d'Alice avait le front « haut », le visage « ovale », le menton « rond », le nez « moyen » et la bouche « moyenne ». « Je serais complètement déprimée si on me décrivait comme ça », observe O. Plus réjouissantes, les illustrations de Sem à la limite de la caricature ; celle sur l'essayage des feutres ne dépareillerait pas dans Monsieur.
La soixantaine de modèles et la centaine d'accessoires exposés suscite moins l'admiration que l'étonnement et la curiosité : que devient la cage thoracique comprimée dans cette robe corsetée ? Ah, c'est à cela que ressemble une plume d'autruche ! (Cela vieillit fort mal.) Ce qui saute aux yeux, surtout, c'est le contraste entre les robes corsetées de la Belle époque et les drapés amples simplement retenus aux hanches des années 1920. Comme dirait O., « tu t'es fait suer pour avoir une taille fine et, au final, ça ne sert à rien, on ne le voit même plus ». Passé l'étourdissement suite à l'abandon du corset (trop d'oxygène d'un coup), on a dû se rendre compte que ces robes ne ressemblait pas à grand-chose et des coupes un peu plus cintrées réapparaissent à la fin des années 1930. On y est !
« Le roman d'un garde-robe » est une exposition fort bien conçue, jusqu'à la typographie des titres des cartels... Une fois n'est pas coutume, je n'ai pas attendu les derniers jours pour y aller : si jamais j'ai éveillé votre curiosité, vous avez jusqu'au 16 mars pour la visiter.
À lire : le dossier de presse
À voir : quelques photos
12:17 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : expo, exposition, mode, carnavalet
15 janvier 2014
Le couturier qui travaillait les femmes au corps
Lorsque je flashe sur une robe dans un magazine, je peux être à peu près sûre qu'elle est de Hervé Léger, Paule Ka ou Azzedine Alaïa. J'ai fini par comprendre que le premier possède moins un style qu'un truc, déclinant la même technique de robe en robe ; j'ai découvert qu'avec des économies et des soldes importants je pouvais faire la folie de m'acheter une robe du second ; le troisième, en revanche, reste à la fois inaccessible (la robe la moins chère me coûterait un mois de salaire, et encore, si je négocie bien) et mystérieux (éclectique et peu médiatisé, il ne se plie pas ou pas toujours au jeu des défilés saisonniers, préférant la femme à la mode). Je ne pouvais donc pas manquer l'exposition du palais Galliera.
Tout n'est pas à mon goût, en particulier l'époque moumoute ethnique et livre de la jungle, et le couturier a même commis une faute impardonnable en aidant à la vulgarisation du legging (tout le monde n'a pas la silhouette d'Olivia Newton-John, Sandy dans Grease), mais l'étendue de son savoir-faire impressionne. Celui qui préfère se définir comme couturier que comme designer (on n'habille pas une femme d'un dessin) est un touche-à-tout, qui travaille aussi bien le cuir que le lycra ou des matières plus fun qui nécessitent d'être moulées, avec des techniques très diverses que je ne suis pas compétente pour énumérer mais qui incluent la découpe de motifs au laser !
La lecture des cartels et l'observation des robes sous toutes les coutures permet bientôt de dégager un style commun à ce qui semble d'abord relever de différentes modes. En fait de style, c'est surtout une silhouette, qui me plaît d'autant plus que je m'y reconnais : une petite poitrine et une taille assez marquée pour faire ressortir les hanches. Selon Alaïa, l'essentiel est le bas du dos : la chute de rein et les fesses, qu'il convient de rehausser par le vêtement et les talons – pour ce qui est de la poitrine, on s'en accommode toujours. On comprend rapidement que le créateur ne peut pas être gay. S'il aime les courbes des femmes, ce n'est pas comme des lignes abstraites qu'on redessine d'un croquis : c'est pour sa chair et ses muscles, dont le vêtement doit épouser les mouvements. Chacune de ses robes semble être une manière de faire l'amour à la femme qui la porte : il faut voir, sentir presque, les colliers qui enserrent le cou, les dos nus ménagés par le tissu qui revient de part et d'autres comme la caresse de deux mains, les dos ceinturés par des boucles, les laçages le long de la colonne vertébrale ou à la naissance des fesses, qu'il faudra bien qu'une main délace, les tailles serrées et les hanches fermement maintenues avant que que le reste du tissu ne s'évase dans un geste d'adoration de tout le corps... Comment ne pas se sentir belle dans ces robes qui font un cul d'enfer qui sont la forme même du désir ?
L'auteur des cartels s'en est donné à cœur joie, voyant dans les bandelettes ajourées de tendres coups de fouet et dans le maillage de pièces de cuir une douce cage pour victime consentante – moi aussi, je suis consentante, hein, je consens totalement à ce qu'on m'offre une de ces robes, même si je tendrais plus naturellement vers la robe structurée par une fermeture éclair en spirale (oh, oui, dézippe-moi !) ou la chemise à faux cul qui donne un faux air saut-du-lit et sent le syndrome du Parc à dix kilomètres à la ronde (oh, oui, fais-moi décoller !). Et pour ne pas attraper froid, je prendrai ce manteau d'inspiration militaire, plus sexy que n'importe quel uniforme.
Copyright Azzedine Alaïa
La robe zip !
Photo d'Alain Truong
La robe-chemise
Jamais je n'avais fait d'exposition si excitante. Dépêchez-vous : elle ferme le 26 janvier. N'oubliez pas dans votre précipitation les quelques robes exposées en face, au musée d'Art moderne (pour envoyer les visiteurs au palais Galliera qui vient de rouvrir ? Pour donner gratuitement le goût d'un couturier pas si connu ?). Et même : commencez par là, le palais Galliera étant dépourvu de vestiaire.
Au milieu, la robe momie aux coups de fouet ; à gauche, au fond, une robe de mariée bordée d'œillets ; à droite, une robe qui me rappelle celle, bleue, du célèbre solo de Martha Graham.
Photo de Marc Verhille pour la mairie de Paris
La noire de gauche et la violette (oui, c'est violet, en vrai) du fond !
Photo de Pierre Antoine
Les ouvertures sur le côté pour la jupe du milieu et le tablier revisité à droite...
Photo d'Alain Truong
Copyright Azzedine Alaïa
Robe à zip avec les fils du bâti
Photo de Garance Doré
J'ai nommé : la robe-cellulose ! Mais si, rappelez-vous ce bout d'oignon observé au microscope au collège !
Photo d'Alain Truong
La robe-cellulose, détail
Copyright Azzedine Alaïa
Rober-bustier en queue de crocodile
Photo de Robert Kot, copyright Azzedine Alaïa
La queue de pie en crocodile (il ne fait vraiment pas bon être un crocodile auprès d'Alaïa)
À lire, une interview conjointe du directeur du palais Galliera et d'Azzedine Alaïa.
12:41 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : expo, mode, azzedine alaïa, galliera, robes
13 septembre 2012
Puisque sans contrefaçon...
Comme des garçons s'expose aux Docks. L'espèce de chromosome vert tout fondu que l'on aperçoit du métro aérien en prenant la 5 est en effet une annexe au musée de la mode et du design (il doit y avoir un lien secret entre design et docks, parce que c'est aussi l'endroit où il est situé à Londres). Comme le ticket vaut pour deux expositions, Milshake, Palpatine, A. et moi commençons par Balanciaga et son inspiration XIXe. On reconnaît une bonne compagnie d'expo à ce que l'admiration n'empêche pas de raconter des âneries : aussi grimaçons-nous de concert devant un « collier pour chien » très assorti à une robe garnie de pompons comme il y en a pour attacher les rideaux chez mes grands-parents, décidons chacun quel modèle nous allons emporter avec nous et disputons pour savoir si la robe rose aux magnifiques broderies argentées est ou non une robe pour femme enceinte (ici sur la toute première photo). Je soutiens que si : tout à fait le genre de robe dans laquelle exhiber en soirée sa fille qui a fauté avant de l'envoyer accoucher dans une clinique à l'étranger. A. et Palpatine ne sont pas d'accord, mais me concèdent que l'on peut facilement se goinfrer de gâteaux sans qu'il y paraisse.
Néons et perruque chou-fleur #DétailsQuiTuent
Du noir, tonalité dominante, on passe assez rapidement à l'immaculée constriction de Comme des garçons. Le blanc n'a pourtant rien d'innocent sous le ciseau de Rei Kawakubo qui le marie à toutes les formes d'entraves possibles et inimaginables : nœud de geisha qui vous lie les mains par-devant, comme une camisole consentie ; encoches pour glisser les mains hors de la niquab de mariée et se faire passer la bague au doigt, ou pour se sevrer d'une la dépendance au chocolat (pas de bras...) ; armature de robes à panier vous enfermant jusqu'au cou dans une cage... Polémiques et poétiques, les modèles de la créatrice nippone empruntent à toutes les cultures et à toutes les époques, avec toujours beaucoup d'esprit et souvent aussi, d'humour. La franchise des robes à double faux-culs m'a bien fait sourire, avec leur clin d'oeil aux deux fesses. Et je suis persuadée que les robes taguées l'ont été par le personnage de manga que Palpatine et moi avions juste regardé au déjeuner.
Si vous regardez bien, vous trouverez les encoches pour les mains dans la camisole Cacharel style.
Pourtant, s'il y avait une chose que j'avais pu rapporter chez moi, c'aurait été une des grosses bulles en plastique sous lesquelles les modèles étaient exposés, qui ressemblent furieusement à des grosses boules d'exercice pour rongeur (et feraient des super cabanes d'appartement). En revanche, pour lire les légendes posées au pied des mannequins sous forme de petites étiquettes, on repassera : les concepteurs d'exposition sont-ils tous si bigleux qu'ils ont renoncé à jamais lire les légendes ou sont-ils dans leur bulle ?
Hurry up, c'est jusqu'au 7 octobre.
Merci à Milkshake et Palpatine pour les photos.
14:11 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : expo, mode