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28 novembre 2009

Questionnaire visiblement initié par une Jane Austen addict

A la suite de Danses avec la plume :

1) Si on vous pro­po­sait d’écrire votre bio­gra­phie, vous pren­driez qui pour nègre ? (et oui, tout le monde n’a pas un don pour la lit­té­ra­ture)
Soit je m’abstiens (ce qui est l’idéal quand on n’a pas une vie épique- le bonheur n’a jamais fait vendre, ou alors avec plein de guimauve et de pleurnicheries souriantes et là, je préfère encore une grossière intrigue pleine de rebondissements), soit je l’écris moi-même (la façon dont on appuie ou escamote certains faits en disent souvent bien plus long que la fiche d’état civil que je crains toujours de trouver en lisant une biographie – d’ailleurs, je n’en lis jamais, comme ça c’est fait. Et quitte à n’être pas spécial, autant l’être à sa manière ^^).

2) Vous êtes en train de lire le tout der­nier cha­pi­tre d’un livre, celui qui vous a fait pas­ser une nuit blan­che, la fin qui vous fait sali­ver (notez le jeu de mots siou­plé) depuis une cen­tai­nes de pages… Lors­que sur­vient un homme, torse nu. On va dire qu’il s’appelle… Daniel Craig. Il a l’air cha­grin. Il a une petite dou­leur à l’épaule, et est per­suadé qu’un petit mas­sage lui ferait le plus grand bien. Que fai­tes-vous ? (PS pour les gar­çons : à la place de Daniel Craig, merci de com­pren­dre… Allez, soyons fous, Scar­lett Johans­son, mais en bikini, pas torse nu !)
Alors après un googlage rapide pour atténuer la nouvelle preuve éclatante qu’il faudrait que «  je sorte un peu de ma chambre pour aller dans le couloir » (copyright dad), il est évident que je décide de finir le bouquin – même s’il faut que je m’en serve un instant comme chasse-mouche pour faire dégager la bestiole. Après, si l’on met Hugh Grant ou Gaspard Ulliel à la place, j’ai toujours besoin de faire une petite pause dans mes lectures…

3) C’est la fin du monde. Quel livre met­triez-vous dans la cap­sule qui sau­ve­gar­dera une trace de l’huma­nité ? (vou­driez-vous vrai­ment que ce soit Orgueil et Pré­ju­gés ?)
Certainement pas, quitte à me faire taper dessus par Melendili. La Comédie humaine, peut-être…

4) Quelle est pour vous la pause lec­ture idéale ?
Affalée et en silence. Ce qui exclut la bibliothèque et ses chaises raides aussi bien que la plupart des lieux communs, bruyants.


5) Si vous aviez le pou­voir de tru­ci­der/effa­cer un per­son­nage de roman, ce serait qui  ?
Julien Sorel. On le trucide déjà pour moi à la fin, je sais, mais je serais l’âme charitable qui abrégerait ses souffrances – et les miennes, par la même occasion.


6) Sau­ve­riez-vous Vol­de­mort, juste pour avoir un hui­tième tome ?
Non. Déjà que j’aurais voulu que Harry meurt en tuant Voldemort…


7) Jusqu’où êtes-vous allés pour un livre ?
Au quatrième étage de Gibert Jeune à Saint-Michel (quoi, tout le monde n’est pas censé savoir qu’il y a des escalators !)

8) Si vous pou­viez retour­ner dans le passé ren­con­trer un auteur. Ce serait qui ? Quel­les seraient vos tou­tes pre­miè­res paro­les ? (A part “Bon­jour”)
Je ne sais pas. Comme vous ne l’aurez pas lu dans le post précédent, je n’ai pas la fibre groupie. Je préfère le lire, c’est encore ce qu’il a de mieux à dire.


9) Décri­vez la biblio­thè­que (per­son­nelle ou pas) de vos rêves.
Bibliothèque commune : perpétuellement en recomposition pour avoir le plaisir de tomber sur de nouveaux titres – un peu comme quand on vous force une carte dans un tour de magie

Bibliothèque perso : la mienne démultipliée, avec toujours des étagères vides à compléter.


10) Vous retour­nez dans le passé (déci­dé­ment, bande de vei­nards !), en pleine 2ème guerre mon­diale. Quel livre don­ne­riez-vous à Hit­ler pour qu’il arrête de cra­mer des bou­quins ?
Pfff, lisait-il déjà ? Et les milliers de livres de la bibliothèque de Staline (spécial Vates) l’ont-ils rendu plus tolérant face à l’art ? Si vous voulez absolument essayer, il y aurait toujours Fahrenheit 451

 

Rajoutez vos propres questions :

11) Quelle(s) page(s) arracheriez-vous d’un livre ?
A part l’épilogue de Harry Potter, s’entend.

 

Passeront à la question Inci (la pro des questionnaires), Melendili (l'étrier facile pour remettre un pied sur ton blog), Bamboo (offrons parfois des posts courts) et Lluciole et Mademoiselle Moi si elles passent par ici.

 

 

25 octobre 2009

Lire (le Roman de la) Rose et voir rouge

Envoyer sur les roses

 

Le Roman de la Rose est un ouvrage du XIIIème siècle, et pour l’occasion, je vous autorise toute la paranoïa superstitieuse associée à ce chiffre. Il a été écrit par quatre mains, ce qui fait deux mains gauches, soit deux fois plus qu’il n’est tolérable ; Guillaume de Lorris aurait pourtant du savoir qu’il ne fallait pas remettre son travail de De Meun (Jean de son petit nom). La niaiserie du début pouvait passer parce que c’était mignon tout plein, le narrateur qui nous conte comment, en songe, il est entré dans un magnifique jardin et a fait la rencontre de maintes allégories, toutes plus fantastiques les unes que les autres.

 

 

N’allons pas voir si la rose…

 

La rose est naturellement l’allégorie parmi les allégories. Elle est belle, sent bon, mais éloigne par ses épines. Un véritable bouton (purulent) : il suffit d’y toucher et on en fout partout. Le narrateur s’éprend de la rose dès qu’il la voit et est entêté de son parfum. Il va devoir endurer maintes souffrances et surmonter moult obstacles avant de pouvoir l’approcher. Je vais finir par croire que ce n’est pas un hasard si, entre toutes les fleurs, la rose est devenue la métaphore pour la jeune fille aimée : il faut croire que l’amant trouve dans ses épines de quoi aiguillonner son désir – qui s’y frotte s’en pique. Rassure-vous, sa beauté n’aura pas le temps de se fâner, l’amant va la cueillir bien avant, malgré quelques difficultés : « Par cette sente petite et exiguë, ayant rompu la barrière avec le bourdon, je m’introduisis dans la meurtrière, mais n’y entrai pas à moitié. J’étais fâché de ne pas aller plus avant, car je ne pouvais passer outre. Je n’eus de cesse que je n’eusse fait davantage ; je réussis à y mettre jusqu’au bout mon bâton, mais l’écharpe demeura dehors avec les marteaux pendillants ; je fus très mal à l’aise, tant je trouvai le passage étroit ; j’observai que le lieu n’était pas coutumier de recevoir des péages, et que nul avant moi n’y était passé. » Voilà qui est déflorer une métaphore trop mignonne ! Une fois qu’on a ôté les épines, c’est le pied.

 

 

Rosa, a, am, ae, ae…

 

Comme le vase est étroit, je vous ai ôté les feuilles avant de vous offrir le bouquet. Mais voilà, il était en réalité aussi touffu que le problème épineux. On y trouve des dieux (antiques), Dieu (chrétien), et mon Dieu (juron du lecteur qui en a assez) : Antiquité, christianisme et amour courtois médiéval, du trois en un, qui forme une nouvelle trinité païenne.

Alors que Guillaume de Lorris faisait dans l’accumulation et le superlatif, les digressions juxtaposées de Jean de Meun virent au bordel, dont la tenancière serait le Vieille, ancienne prostituée qui jouerait volontiers les proxénètes et prodigue ses conseils comme les lenae des poètes érotiques romains. On trouve de tout : des références à Ovide, Platon, Aristote, Cicéron, un passage sur l’alchimie, un mini-traité de physique sur la réfraction de la lumière par les miroirs ou les comètes… J’ai coutume de considérer les digressions comme croustillantes, encore faut-il qu’elles s’écartent de quelque chose pour mériter leur nom.

Ce roman informe a par conséquent un petit goût d’infini. Le début semble maladroit comme une description de première rédaction : il y a machin, qui est comme ci, machin, qui est comme ça, puis truc, qui est encore plus comme ci, et bidule beaucoup plus comme ça. Les superlatifs s’étouffent, on rajoutera quelques contradictions pour faire glisser. Ainsi, Beauté –blonde, évidemment- est à la fois « grêle » et « grassouillette » ; je ne sais pas s’il faut voir dans le second adjectif qu’elle semblait fort appétissante, ou si la Beauté, toute subjective, est prête à répondre aux goûts de chacun.

C’est répétitif, mais on accorde au narrateur le bénéfice du doute : peut-être le roman va-t-il quelque part. Encore aurait-il fallu pour cela que son premier auteur n’ait pas l’idée sotte et grenue de mourir. Son successeur, après quelques velléités épiques, se trouve las et, indécis quand au cours à donner aux événements, préfère bavasser. Alors pour discuter, ça discute : les personnages exposent leurs théories sans se soucier de savoir s’ils sont écoutés, miment le dialogue, créent des scènes et donnent la parole à d’autres – un comble pour des prosopopées.

 

 

Un herbier de pétales flétris

 

Qu’est-ce qui peut bien plaire dans ce fatras ? Ce doit être le plaisir de gloser, que les universitaires auront en commun avec Jean de Meun, qui adore s’écouter parler. « Je vous en [ndlr : le Parc céleste, où se trouve le « fruit du salut » - renversement méritoire] parle en général, et je m’en tairai aussitôt, car à vrai dire, je n’en sais proprement parler, vu que nulle pensée ne pourrait concevoir, ni bouche d’homme recenser les beautés sublimes, le prix inestimable des choses qui y sont contenues [..] ». Les cinq pages suivantes vous feront comprendre qu’il s’agissait d’une prétérition.

On s’emploiera donc à trouver une cohérence à ce qui n’en a pas, et à considérer les bavardages intempestifs comme les exposés de doctrines sur l’amour qui permettent d’en dresser un panorama aussi complet que possible : la Raison fait l’éloge de l’amour du prochain et de l’amitié ; l’Amour, du romanesque et de la courtoisie ; Vénus, de l’acte sexuel qui permet de perpétuer l’œuvre de Dieu à travers les générations (si on ne fait pas grand cas de l’adultère, on garde tout de même une caution morale supérieure).

Le seul trait commun que je peux trouver aux deux auteurs dont l’un est courtois, raffiné, et l’autre, plus cavalier, c’est l’obsession de la totalité. Le premier essaye de l’atteindre par une énumération interminable, le second en procédant à sauts et à gambades (sans la légèreté de Montaigne, malheureusement), en compilant de fragments d’encyclopédie présentés sous forme de dialogues ou discours rhétoriques. Ou comment déceler dans le roman un genre qui phagocyte tout le reste.

On peut du reste remarquer que le titre n’est pas la Rose, mais le Roman de la rose, celle-ci devenant un complément très secondaire. Le narrateur est bien plus amoureux qu’il n’aime sa bien-aimée, qui n’a aucune personnalité, ni son mot à dire, elle est réduite à sa fonction de but vers lequel tendre. L’amour n’est que littérature et il y a fort à parier que celui-là finit avec celle-ci : sitôt cueillie (ou possédée, selon que vous parlez du comparant ou de la comparée), la rose disparaît dans les brumes du songe écourté : « je cueillis à grande joie la fleur du beau rosier feuillu, et j’eus la rose vermeille. Alors il fit jour et je m’éveillai. » Un point de plus pour Kundera : « Les grandes histoires d’amour européennes se déroulent dans une espace extra-coïtal ». Rose n’est que prétexte à prose – c’est l’amour-poésie.

 

04 septembre 2009

Libre et ris

Il pleuvait en sortant du cinéma à Biarritz (cette seule phrase montre déjà le retard accumulée puisque je suis rentrée il y a une semaine et ne vous ai même pas encore parlé dudit film – c’est à venir ; en revanche, rien de particulier sur Biarritz, pour vous en consoler, aller voir par là), il me restait une demi-heure à tuer avant que le reste de la famille sorte de leur séance (on a fait salle à part – le Prophète ne me disait rien du tout – et à voir leurs visages plombés en ressortant, je me suis dit que ce n’était pas une mauvaise chose), et comme tout le monde sait que the pen is mighter than the sword, j’ai entrepris de flâner dans une librairie pour accomplir proprement ce meurtre. Un aperçu de carnets moleskines dans un coin papeterie et la pluie m’y ont gentiment poussée – amicale tape dans le dos.

 

 

L’étage du bas est encombré de monde et de dernières parutions pas spécialement engageantes, mais en avançant au fonds de la pièce, on croit voir une réserve, derrière un passage sans porte mais au chambranle arrondi qui supporte en guise d’enseigne quelques lettres ondoyantes tracées à la peinture noire.

Il faut se pencher un peu pour pénétrer dans cette caverne d’Ali baba, dont le seul sésame est d(e ne pas) avoir les yeux dans les(la) poche(s). Le bruit y est assourdi, et les quelques visiteurs qui ne peuvent pas circuler (c’est qu’il y a à voir) s’excusent silencieusement, s’effaçant autant que faire se peut en se collant à la rambarde de la coursive. On barbote très bien dans ce fonds de cale. Ce qui donne un air de familiarité à cette librairie où je n’avais pourtant jamais mis les pieds, c’est que les livres sont empilés horizontalement, comme cela finit ordinairement dans une étagère bourrée à craquer, où les poches sont déjà compressés en double rangée et où l’on comble les intervalles restant en en couchant d’autres par-dessus (l’épaisseur étant alors limitée par l’espace restant entre la rangée et la planche supérieure). Le genre de rangement que l’on déclare provisoire mais dont on s’accommode bien. Ce bordel organisé m’a d’abord fait penser que la réserve venait d’être transformée en espace poche, mais l’apparente négligence avec laquelle les livres étaient entassés lui donnait ce caractère intime et accueillant d’un lieu à peine dévoilé, encore un peu secret. La lecture des titres s’avère être facilitée par cette technique d’empilement : pas besoin d’incliner la tête pour être dans le sens de la lecture, ni d’aller au rayon anglophone pour s’éviter le torticolis en penchant la tête en sens inverse (il me semble avoir noté la même chose pour les dvd – comme quoi, il n’y a pas que sur la route qu’ils circulent à droite). On conserve la sensation de flânerie tout en pouvant aisément trouver quelque chose si on l’y cherche, puisque le classement est alphabétiquement rigoureux à l’intérieur de chacune des collections, bien distincte sur des étagères différentes – parfait pour des piles harmonieuses et éviter les Livres de poche (qui ont pour seul mérite d’être les initiateurs de l’objet éponyme).

 

 

A l’étage, le rangement est plus traditionnel, les grands formats se tiennent droits : c’est que chacun cherche à faire valoir sa singularité, qu’elle soit de largesse d’esprit, de hauteur critique ou de couleur annoncée. Ce qui attire, outre l’étagère des éditions Actes sud, c’est le canapé (qui affiche complet, alors même que l’on n’est pas vendredi, formidable journée où il semblerait que la maison offre le thé) et surtout la cabine, en plein milieu de la pièce, ou plutôt du pont supérieur, puisque le décor incite à filer la métaphore. Une cale-caverne, des flots de papiers où pêcher de bons livres frétillants, le silence grouillant de la mer : dans une petite libraire, c’est l’air du grand large, quand les grandes surfaces littéraires aux étals quelque peu aseptisés, attrapent toue le monde dans leurs filets, vendent leurs produits en gros, et ne se soucient pas beaucoup de la fraîcheur de l’arrivage (poissons serrés les uns contre les autres, parfois un scintillement, mais c’est une écaille qui s’est arrachée).

 

 

J’avais oublié ce que pouvait être une bonne librairie (en cause, leur raréfaction et l’attrait de l’étiquette jaune – phénomènes qui s’entretiennent, d’ailleurs). Face à la grande surface littéraire, où les livres sont vendus comme n’importe quel produit, elle est pourtant essentielle : alors que Gibert est parfait pour les achats compulsifs et les bibliographies, une bonne petite librairie permet de repartir avec une trouvaille qu’on n’était pas précisément venu chercher – solides provisions versus viennoiserie à déguster sur l’instant. Le premier pousse du côté des auteurs dont on connaît déjà une œuvre, qui offrent un point d’accroche au regard glissant sur l’impeccable alignement des couvertures brillantes sous les néons, tandis que la seconde invite à se laisser surprendre, le hasard pouvant prendre l’aspect d’un titre intriguant ou d’une couverture qui dépasse, de l’œil qui est arrêté par un ouvrage mis en valeur ou de la main qui fouille les titres escamotés. Le choix peut n’être pas immense, mais il a le mérite d’être fait : le premier coup d’œil à la librairie Louis XIV à Saint-jean de Luz m’a dépitée, mais la maigre sélection s’est avérée être de premier choix. On avait envie de tout, ou plutôt non, pas de ce tout qui entraîne l’indécision et se conclut par rien : envie de chaque livre pris singulièrement, tiré à soi, hors de la rangée, retourné d’un geste caressant, découvert par sa quatrième de couverture. On est pour ainsi dire dans la bibliothèque de quelqu’un, doté de goûts peut-être discutables mais particuliers. On pourra toujours objecter que la grande surface littéraire laisse au consommateur le choix de ses lectures, dans un éventail plus large que n’offrent les petites librairies. Mais l’éventail à nouveau se déploie, puisque le lecteur est libre de choisir l’une d’elles (ou de n’en choisir aucune et de papillonner à droite et à gauche) et la liberté y est encore plus grande de ce qu’elle ne flotte plus dans un environnement impersonnel et identique d’un magasin à l’autre d’une même franchise.

Et en toute incohérence, je continue à me faire débaucher par les étiquettes jaunes. Les occasions font le pardon.

 

21 août 2009

Idem (3)

C/ Ce qui fourmille sous mon crâne (non, pas des poux)

Où le livre est rangé

 

On a vu avec le mouvement du raisonnement et les longs détours par le pouvoir que le sujet initial finissait par devenir un exemple de ce qui était d’abord proposé comme devant en fournir l’explication, d’où que l’on pourrait se demander comment lui est venu l’idée de prendre le sexe pour sujet. A-t-il vu cela comme un domaine de réflexion quant à l’exercice du pouvoir ? Ou s’y serait-il dirigé à l’aveuglette, par curiosité, et y étant allé avec ses recherches passés, y aurait retrouvé les mécanismes du pouvoir ?

 

Je me demande parfois comment certains peuvent avoir l’idée de se pencher sur des domaines qui sembleraient extérieurs à leur matière. Je ne nie pas l’intérêt de ces travaux, au contraire, ils sont passionnants – le problème étant justement qu’ils se sont révélés passionnants et n’avaient rien d’attirant au départ. Même si l’on pourrait dans le cas de Foucault suspecter la découverte de petites pépites croustillantes et récréatives au cours de son travail de recherche, qu’il n’y ait rien de tel dans l’ouvrage qu’il publie devrait nous faire soupçonner une curiosité d’un tout autre ordre. Une curiosité qui pourrait également pousser un historien à se pencher sur la mort, par exemple. Je m’étais en effet fait de semblables réflexions en lisant un bout de l’essai d’Ariès sur la mort en Occident : comment peut-on avoir envie de constituer comme sujet de recherche un fait aussi pesant et potentiellement déprimant que la mort ? surtout lorsque l’on vit à une époque où la mort, comme le sexe, d’ailleurs, est esquivée autant que faire se peut ? – question qui suscite à elle seule l’intérêt, mais qui ne peut être formulée qu’une fois les recherches entreprises, puisque c’est ce qu’elles font finalement apparaître : que notre réticence à l’égard de ces sujets est historiquement déterminée. Il y a quelque chose de remarquable à parvenir à s’arracher à l’époque dans laquelle on est pris comme dans de la gelée, aux représentations dans lesquelles on baigne sans en avoir le moins du monde conscience.

 

On pourrait objecter que l’étude de ces deux exemples de la mort et du sexe pourrait être motivée par un come-back d’Eros et Thanatos, de l’envie du plaisir et de la fascination morbide – l’ennui étant qu’il n’y a rien de tel dans les essais que nous pouvons lire. Si cela a peut-être pu amuser Ariès et Foucault lors de leurs recherches, il n’en demeure pas moins que l’essentiel doit être ailleurs. A supposer même qu’il y ait eu une part de fascination au départ, elle ne peut manquer d’être minorée à l’extrême par les découvertes faites. Et l’on peut supposer ici qu’il s’agit moins de la nature de ces découvertes (il faudrait d’ailleurs se demander en quelle mesure ce ne sont pas des inventions – au sens de mise en forme– puisque l’histoire ne se « découvre » pas) que de leur forme. Tout se passe comme si le sujet disparaissait derrière le plaisir de comprendre les mécanismes historiques, d’articuler les périodes et d’entendre le sens des silences. Le complément de « la volonté de savoir » pourrait bien n’être ni le sexe ni le pouvoir…

L’architecture même du premier tome de l’Histoire de la sexualité met en relief la méthode employée (quatre règles de méthode pour se faire plaisir – et qui n’éclairent pas plus la résolution du sujet – la façon dont le sujet se résout, en revanche…), et Foucault insiste particulièrement sur les mécanismes quasi-tropismes des relations du sexe avec le pouvoir. Le motif de cette insistance pourrait être entièrement résorbé dans la difficulté inhérente à un raisonnement complexe qui demande à être explicité dans ses moindres détails, si elle ne gommait pas la matière du sujet, presque tout entier rejeté dans des énumérations, auxquelles il faut se concentrer pour redonner substance. Aussi la volonté de savoir est-il un titre particulièrement bien choisi. Usage intransitif du verbe « savoir » ; le « sexe » n’est qu’un complément d’objet possible parmi d’autres. Son sujet ne serait pas le pouvoir au détriment du sexe, mais le savoir au détriment des deux autres.

 

Le plaisir qui domine est bien celui de comprendre, et le domaine dans lequel s’inscrit l’ouvrage est bien celui de la philosophie, quand bien même son analyse ne peut se départir d’une forte dimension historique. Une petite phrase qui m’avait marquée en hypokhâgne (outre les bons mots au crayon à papier qui emplissent les marges et sont dans ma mémoire bien plus indélébile que tout ce que j’ai pu souligner à l’encre noire) prend là tout son sens : au fonds, il n’y aurait de philosophie qu’à l’extérieur du cours de philo, celle-ci étant moins un domaine qu’un mode de réflexion. La constituer comme matière, c’est risquer de la faire tourner en rond et de ne plus s’intéresser qu’abstraitement à son propre mode de réflexion (abyme, forcément). Les exemples et les énumérations de Foucault sont un dernier rempart pour empêcher de tourner à vide et se détourner de la fascination narcissique de la pensée pour elle-même, quoique d’une certaine façon, le choix du sujet soit déjà réflexif : étude des plaisirs pour jouir du plaisir à étudier (les plaisirs).

Et mon besoin de reprendre le raisonnement, de le décortiquer pour en comprendre le fonctionnement, s’il peut être une manifestation un brin névrosée d’un formatage khâgneux, ne fait que rajouter une couche (invisible et non indispensable, comme une troisième couche de peinture) à l’édifice : plaisir à comprendre le plaisir qu’il y a à l’étude de leur pluriel. Infiniment épuisant. Je deviendrais presque hystérique à essayer de tenir ensemble toutes ces longues chaînes de raison (seuls ceux qui auront lu le fichage en B/ pourront se foutre de moi)…toujours une qui échappe, comme les mèches quand on se fait un chignon pour un examen de danse.

[Un bouquin de philo, c'est un très bon rapport temps d'occupation/prix...]

[Il va être temps que je reprenne les cours, histoire que ce blog n'en devienne pas le substitut et puisse laisser place à d'autres âneries plus entraînantes.]