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08 avril 2014

Bribes de gala

Un gala ressemble à une de ces soirées où l'on retrouve des gens que l'on a pas vu depuis assez longtemps pour qu'ils viennent avec des gens qui sont entretemps devenus leurs amis.

Il y a ceux dont on n'est pas forcément très proche mais que l'on fréquente plus régulièrement que les autres (Charline Giezendanner, que j'aime décidément beaucoup) et dont les petites provocations ne nous offusquent plus depuis longtemps : on s'amuse de ce que Donizetti pas de deux aurait dû s'appeler Donizetti petite batterie ; Mathias Heymann y est si insolent de virtuosité que ça sent la revendication nationale.

Il y a ceux qu'on n'avait pas vus depuis longtemps et qui rapportent avec eux tout un tas de souvenirs indissociables du plaisir que l'on a à les voir ce jour-là. C'est le cas du maître de cérémonie, Manuel Legris, toujours égal à lui-même – ce qui n'est pas peu dire. Ses retrouvailles avec Aurélie Dupont, au goût très prononcé de nostalgie, ont entraîné un surcroît d'applaudissements : deux étoiles retrouvées pour le retour d'une.

Il y a cette personne dont on vous a dit beaucoup de bien, Marianela Núñez, et qui réussit quand même à vous surprendre en douceur, sans que vous sachiez exactement pourquoi. Je crois que c'est son élégance made in Royal Ballet, que je n'attendais pas dans le rôle volontiers bourrin de Kitri.

Il y a aussi cet ami d'ami, que vous n'aimez guère et qui vous le rend bien en dépit des ronds de jambe que vous ne manquerez pas de vous adresser. Non, désolée, Pierre Lacotte, ce n'est pas possible.

Il y a cette blonde piquante que vous ne connaissez ni d'Eve ni d'Adam mais dont la personnalité et le sens de l'humour vous plaît tout de suite : Olga Esina m'a donné envie de revoir le DVD de La Chauve-souris. Elle forme avec Manuel Legris un couple qui n'a pas l'aura mythique de celui qu'il a formé avec Aurélie Dupont mais dont il émane une telle joie de vivre que l'étoile française est doucement enveloppée par les brumes du passé. Et puis, Manuel Legris est vraiment chez Roland Petit comme chez lui.

Il y a les voisins dont vous surprenez les conversations. Le prince de Semyon Chudin a beaucoup plu à mes voisins homo. Beaucoup. Perdre leurs commentaires à la fois intelligents et croquignolets m'a presque fait regretter de m'être replacée (c'est-à-dire replacée une seconde fois – parce qu'à l'avant-dernier rang du palais des Congrès, les danseurs rentraient aisément dans une maison de poupée).

Il y a aussi cet invité que vous avez vu une fois et qui vous a fait forte impression. Il est toujours impressionnant mais vous faites la part des choses : il est très plaisant de retrouver à la fois Kirill Kourlaev et l'Anna Karénine de Boris Eifman, même si la troupe du chorégraphe russe reste indépassable dans son répertoire. Idem pour cet invité qui n'est pas la seule raison de votre venue mais qui vous a motivé au moment de vous arracher de votre canapé : même si vous en pincez pour lui, vous savez raison garder. Surtout quand il s'agit d'une pièce aussi géniale que Mona Lisa. J'ai beau être toute acquise à la cause de Friedmann Vogel, son duo avec Maria Eichwald ne fonctionne pas aussi bien que celui de Jason Reilly et Alicia Amatriain. La chorégraphie est hyper sexy quand elle est une provocation continue mais la frêle Maria aurait bien du mal à défier l'armoire à glace qu'est en réalité mon maigrichon fantasmé1. Il esquive à la McGregor.

Au final, on n'aura pas eu le temps de vraiment discuter avec chacun mais, entre les retrouvailles et les nouvelles rencontres, on a plutôt passé une bonne soirée.

 

 

 

1 Aux saluts, je me suis aperçue que Kirill Kourlaev, taillé comme un dieu nordique, fait limite copeau à côté. Je vais donc pouvoir inaugurer un tableau Pinterest où il rejoindra David Boreanaz dans la catégorie des choupies armoires à glace.

07 avril 2014

Le fail de mademoiselle Julie à entrer dans la légende

Une petite chroniquette avant d'oublier avoir assisté à Fall river legend et Mademoiselle Julie. Le ballet d'Agnes de Mille a donné vie à la seule image que j'en avais : une danseuse en robe verte, cramponnée à une charpente. La montée de la folie dans un univers de rigueur protestante est un thème qui a de quoi me fasciner, passé l'instant de surprise en voyant le prêtre, pasteur donc, conter fleurette à l'héroïne. Cela a été un plaisir de revoir Alice Renavand en tant qu'étoile – toujours aussi expressive, même et surtout avec une hache entre les mains.

Mademoiselle Julie, ballet de Birgit Cullberg au nom joliment désuet, qui augurait fort bien en répétition, s'est révélé assez décevant. On prend plaisir à voir Nicolas Leriche s'amuser et s'encanailler dans le rôle d'un laquais qui ne résiste pas aux avances de sa maîtresse, et à regarder les gambettes d'Aurélie Dupont s'agiter lascivement (pour faire oublier l'affreux tutu-cravache qui lui faisait limite des poteaux – c'est dire la réussite du costume) mais on s'ennuie assez rapidement et on ne comprend pas grand-chose au dénouement. C'était beaucoup plus amusant sous-titré par Ana Laguna, qui rendait limpide la danse de Ninon Raux – belle découverte quand j'étais surtout venue à la répétition attirée par la présence d'Audric Bezard (toujours aussi canon malgré ses nouveaux biscotos gonflés, il s'est révélé assez cool raoul, naturel(lement beau gosse)).

09 mars 2014

Tentative d'épuisement d'une hyperactive

Dans les équivalences caloriques des magazines féminins, 10 minutes de Louise Lecavalier équivaudraient à 4h de natation ou une fondue savoyarde : à côté d'elle, un gamin hyperactif paraîtrait neurasthénique. C'est donc avant tout pour la performance que Palpatine et moi sommes allés nous perdre du côté du 104. So Blue, c'est une heure de mouvements effrénés dont une dizaine de minutes, peut-être, d'épilepsie chorégraphique où la stroboscopie musculaire leur donne, à elle et son Popeye d'acolyte, des airs de raveurs. Et puis, à l'opposé du spectre de la vitesse, se trouve un interminable poirier, qui finit par transformer les pieds en algues et les abdominaux en étranges branchies. Le tout manque de-ci de-là de liant chorégraphique, qu'on trouve surtout dans les passages en duo, mais la performance force l'admiration et, d'ahanements en T-shirt trempé, on redécouvre avec stupeur la résistance d'un corps qui trouve dans la fatigue son deuxième, troisième, énième souffle.

14 janvier 2014

Sans trop d'illusions

C'est sans trop me faire d'illusions que je suis allée voir le ballet de Ratmansky proposé par le Bolchoï, y voyant plutôt l'occasion de profiter d'une soirée de gala sans trop de me soucier des places forcément moins bonnes qui vont avec. Pour ceux qui, nonobstant Psyché, ont voulu y croire, voici la liste des illusions qu'ils y ont probablement perdues.


Classe de danse à la Degas

Photo de Damie Yusupov
Ambiance à la Petite Danseuse de Degas ou classe façon Bournonville, cela augurait pourtant plutôt bien.
 

 

Illusions perdues est l'adaptation du roman de Balzac.

Je suis heureuse de n'avoir pas lu le roman de Balzac, dont le ballet de Ratmansky est l'adaptation – à ceci près que Lucien n'est plus poète mais chorégraphe, que ce n'est plus sa protectrice qui l'abandonne mais lui qui largue Carolie, sa jeunette amoureuse, pour une certaine Florine qui n'est plus actrice mais danseuse. Il s'agit au final plus d'une thématique que d'une adaptation mais, comme le titre était cool, on prend l'option d'après le livret de Vladimir Dmitriev inspiré du roman éponyme d'Honoré de Balzac – un vrai téléphone arabe.

 

C'est un ballet narratif tout ce qu'il y a de plus classique.

Deux actes, des pointes, des ensembles et des duos, Illusions perdues a tout du ballet classique, si l'on exclut les divertissements royaux et les pas de deux traditionnels avec adages, variations et coda – ce qui n'est absolument pas un problème quand on s'appelle John Neumeier ou Christopher Wheeldon – et... si l'on retire du terme classique l'autorité donnée au fil du temps pour ne conserver que la reprise d'une tradition. Le ballet de Ratmansky a beau être de technique classique, il ne risque pas d'en devenir un.

 

C'est poussiéreux.

On ne dit pas poussiéreux, on dit d'aspect vieilli. De fait, cela convient parfaitement aux décors qui rappellent en sépia l'aspiration à une certaine élégance. Un peu moins aux costumes qui n'ont ni le charme des anciens ni l'esthétique épurée des modernes : à quoi ressemble le ruban vert qui tombe devant les jambes des sylphides ? Et le carnaval des animaux lors de la fête, soudain revival des masques de Psyché ?

 

On peut « voir la musique et écouter la danse ».

Balanchine aurait fait une syncope. La balletomane, qui sort d'une cure de Belle au bois dormant illustrant parfaitement l'esprit d'« un pas sur chaque note » cher à Noureev, y échappe de justesse. Non mais vraiment : Alexeï Ratmansky avait-il la musique lorsqu'il a chorégraphié ? Parce que ce n'est pas flagrant. La musique est là en fond sonore, comme au cours de pilates où elle sert à faire passer les exercices. Le chorégraphe semble seulement avoir demandé à ce qu'on rajoute des tintements de triangle sur certains sauts pour faire illusion. Peine perdue.

 

David-Hallberg-Illusions-perdues_by-Laurent-Philippe

David Hallberg, par Laurent Philippe

 

C'est dramatique.

De l'action, il y en a, un peu. De là à dire que cela engendre de véritables tensions propres à émouvoir le spectateur... David Hallberg, qui me semble être au Bolchoï ce qu'Edward Watson est au Royal Ballet, ne ménage pourtant pas ses efforts pour donner de l'épaisseur à son personnage. À chacune de ses entrées, on se prend à rêver d'un drame à la Dame aux camélias mais, à chacune de ses sorties, force est de constater qu'on devra pour cela attendre de le voir en Armand. Il forme un superbe couple avec Evgenia Obraztsova, vive et comédienne, loin du lyrisme habituel de certaines ballerines russes, si parfait qu'il m'endort. On a du mal à comprendre que Lucien la délaisse pour Ekaterina Krysanova, malgré ses cheveux oranges et ses fouettés endiablés sur une table. Les contrastes, sûrement. Amélie dressait d'ailleurs un parallèle fort pertinent avec Marie Taglioni, la sylphide angélique, et Fanny Essler, la diablesse sexy.

 

La mise en abyme, c'est ultime.

Surtout quand vous en faites un élément de comique, comme dans Le Lac des cygnes de Matthew Bourne, ou que cela donne de la profondeur à l'histoire, comme dans La Dame aux Camélias, où le pas de deux de Manon et Des Grieux préfigure le destin de Marguerite. La scène des gitans au second acte, où l'on a vu des allusions pêle-mêle à Paquita, Marco Spada ou Don Quichotte, n'est pas assez caricaturale pour être comique et à peine assez stéréotypée pour se distinguer de la chorégraphie hors théâtre dans le théâtre, renforçant l'impression que l'ensemble est bien falot. Le parallèle du premier acte entre Lucien et James est plus réussi. Déjà, le dispositif scénique ne se contente pas de rétrécir la scène en posant une seconde rampe au sol : il nous place dans l'envers du décor, dos aux danseurs, comme si nous étions derrière le rideau de scène. Les limites entre les deux scènes peuvent alors s'estomper dans une évocation poétique où Lucien emboîte les pas de James (Artem Ovcharenko, à qui la jupette va divinement bien et que je kidnapperais volontiers avec David Hallberg) et ses aspirations contradictoires entre Coralie-sylphide et Florine-Effie. Le parallèle fonctionne si bien que je me demande pourquoi Alexeï Ratmansky n'a pas tout simplement proposé sa propre version de La Sylphide – en rajoutant au besoin Illusions perdues comme sous-titre.

 

Mais les illusions ne sont pas des erreurs et la perception qui est en à l'origine, si déformée soit-elle, persiste : on dira donc que l'on a assisté à un ballet narratif classique au charme désuet et à la musique pas terrible, sauvé par ses interprètes. Enfin... entre deux séances de who's who, où la fashion police a fait la chasse aux petits fours (mention spéciale aux mini-pommes d'amour en robe rouge, parsemées d'éclats de noisettes, qui se sont révélées être des billes de foie gras). Le prix de la plus belle robe de la soirée est décerné à Ulla Parker.

  

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