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17 septembre 2010

L'airelle sur le gâteau

Hier soir, reprise du « marathon culturel » (© Melendili) : premier concert de la saison, à Pleyel. Pour la peine, j'ai étrenné ma robe d'anniversaire, lequel était bien en août ; il y a eu quelques rebondissements dans les retouches, trop large (c'est ça de ne pas avoir beaucoup de poitrine) puis trop serré (c'est ça d'avoir un dos relativement large), avant de découvrir que la partie à incriminer n'était ni ma poitrine ni mon dos, mais tout simplement la longueur de buste, déplaçant la taille de la robe aux hanches ; il a suffit du regard expert de la responsable du magasin et d'un centimètre de bretelle en plus pour qu'elle tombe divinement bien. Toute guillerette, j'ai décidé de mettre cette robe d'été nonobstant les nuages : après avoir couru à la danse et chez le kiné, j'étais plutôt réchauffé – le froid s'est chargé ce matin d'achever de me transformer en poulette.

Je vous entends râler contre mon caquetage, elle annonce un concert et parle chiffons. D'abord, que j'vous f'rais dire, c'est point une bonne idée de me chiffonner en en parlant de la sorte, et ensuite, j'y viens, au concert ; je ne ferais pas l'impasse, il m'a moult plu.

 

C'était le premier de la saison pour moi mais aussi pour le chef d'orchestre, qui a un umlaut dans son nom, comme Arvo Pärt, qu'il a d'ailleurs programmé, c'est dire si c'est de bon augure. Paavo Järvi, donc. Posture rigide et bras déliés, il me fait penser à un homme un peu guindé de la bonne société, qui serait néanmoins bon danseur (de valse, évidemment). Pas de gestuelle extravertie, ce n'est donc pas lui que je regarde. Et non, avant qu'un esprit malin ne le suggère, je ne reluque personne, moi (certes, c'est un peu facile, il n'y a pas d'équivalent masculin à Lolaaaaa). Je regrette un peu d'être si près que les cordes cachent tout le reste de l'orchestre (pratique pour attribuer chaque son au bon instrument – bah quoi, je ne suis pas douée mais je me soigne), du coup je laisse mon regard balloter au gré des archets : le premier violon a une expression sympathique, on dirait qu'il sourit sans bouger les lèvres (il est également très possible que mes lunettes ne soient plus assez fortes), et j'ai retrouvé le contrebassiste qui me faisait penser au poète de Spitzeg, mais maintenant, j'hésite avec Speedy Gonzales, rapport à l'embonpoint où vient s'inscrire une moustache peut-être mexicaine après tout. Heureusement, mon œil et mon oreille n'évoluent pas toujours en synesthésie : aucune maracas n'est venue troubler l'ostinato des contrebasses. J'adore ce gros instrument ; avec une pulsation régulière, on dirait presque des battements de cœur, un afflux sourd qui mettrait en mouvement le tronc et donnerait son intention à la danse que les bras et jambes exécuteraient sur les ornementations déliées des cordes.

 

Je suis repartie dans la danse, mais (pour une fois) ce n'est pas ma faute : La Péri de Paul Dukas est un « poème dansé pour orchestre ». La lecture de l'argument suffit à mettre l'imagination en branle. Un prince (toujours des princes – ne pourraient-ils pas se contenter d'être des héros ? - je suis sûre que Figaro serait d'accord avec moi, en plus) découvre dans le giron d'une Péri (une fée, pas une péripatéticienne) la fleur censée lui accorder l'immortalité et s'en empare ; lorsqu'elle se réveille, celle-ci se met à danser-supplier sensuellement jusqu'à ce que le prince lui rende sa fleur, grâce à laquelle elle peut retourner d'où elle vient. Immédiatement, la forêt d'archets devient une forêt de conte, mi-hantée (inquiétants ostinati des cordes – si c'est bien comme cela que l'on dit) mi-enchantée (pépiement des cuivres), où je ferais danser la fée et le prince pieds nus (je me suis peut-être laissée influencée par la mention des ballets russes dans le programme – qui n'ont en réalité pas dansé à cause d'une querelle d'artistes).

Sans rien imaginer de ce qu'Ivan Clustine a bien pu faire avec ce ballet, je me suis demandée comment on pourrait bien chorégraphier la fin, lorsque la Péri disparaît et que la musique s'évanouit . Je la verrais bien traîner sur le côté, lorsque la musique fait entendre qu'elle ne va plus nulle part, et glisser en coulisse au moment où elle cesse. Ou alors qu'elle finisse par se tourner de dos en quatrième pointée derrière, le regard au-dessus de son épaule droite. Ou alors réserver cette deuxième pose au prince qui, sans la fleur d'immortalité, va lui aussi disparaître dans un sens malheureusement plus métaphorique. Le programme le dit bien mieux sans délire chorégraphique : « Alors que le thème de la péri, saturé de lumière, se dissout dans l'éther, celui du prince, plombé par une longue descente chromatique des violons, est irrémédiablement gagné par les ténèbres. » (On plongerait le prince dans l'obscurité tandis qu'une poursuite faiblissante laisserait la trace de l'absence de la péri – bah, quoi, je peux bien me raconter des histoires, d'abord j'ai le droit, j'emploie le conditionnel – et chorégraphier au conditionnel, cela ne mange pas de pain.) « Le violon solo, enfin, plane au-dessus d'un décor déjà refermé, tel un écho lointain des charmes évanouis. » Pourquoi n'a-t-on pas en danse de pareils programmes, qui dégagent la cohérence de l’œuvre en accompagnant son développement ? Loin de toute pédanterie mélomane, les termes techniques sont si étroitement liés à la signification qu'on devine presque ceux-ci en comprenant celle-là.

 

Pour sûr, on ne dansera pas sur Kullervo de Sibelius, pas même dans la campagne finnoise en sabots, qui s'accorderaient de toutes façons assez mal au rythme épique de la chevauchée du héros éponyme. On ne fera néanmoins pas connaissance tout de suite, il y a d'abord tout une partie orchestrale que je trouve un brin déroutante, avec son patchwork de mélodies décousu de blancs. Selon les programmes, « les silences, de plus en plus prégnants, renforcent l'impression de délitement et d'énergie trop tôt consumée ». Pourquoi pas, je veux bien adopter l'interprétation. Il n'empêche que c'est le troisième mouvement qui me tire de ma léthargie mollement intriguée.

Là, cela devient dément.

Non pas que Kullervo me fasse rêver avec ses bas bleus et ses cheveux blonds, mais sa course (en théorie pour collecter l'impôt, ce dont on ne pipe mot ; en pratique pour courir la pucelle) est rendue haletante par le chœur, composé uniquement d'hommes (Estoniens – un argument de plus pour Mimi dont je ne serais pas surprise de croiser un pull jacquart au cours de la saison, vu la programmation). Je ne sais pas si les voix gravement viriles donnent chœur aux pulsions du jeune homme ou réveillent les miennes, mais c'est prenant. Au point que Kullvero, n'y tenant plus, prend la troisième pucelle qu'il rencontre. Le viol est passé sous silence mais non pas éludé, puisqu'il constitue l'abîme de toute l'histoire : le retour à un passage uniquement orchestral qui contient en germe le drame souligne que l'acte n'a rien d'anodin. Lorsque les voix reviennent, c'est d'abord sous la forme individualisée de Kullervo et de Sisar, l'ex-pucelle, qui s'avère être... sa soeur. Autant le viol ne semblait pas outre mesure source de tourment, autant l'inceste est immédiatement condamné comme l'horreur absolue d'un crime contre nature : la sœur est désespérée de n'avoir pu

« devenir un savoureux fruit des champs,
Comme une airelle aux lèvres rouges, [c'est très nordique, comme comparaison]
Sans avoir vécu l'horreur,
Sans être souillée par l'outrage ! » ;

et après un assez long cheminement orchestral (pas d'emportement terrible, c'est plutôt mitigé et d'autant plus insoutenable) au terme duquel le frère revient sur le lieu de son crime (l'assassin y revient toujours, paraît-il – ah oui, la jeune fille s'est suicidée entre-temps), c'est la nature qui l'accuse : plus de fleurs et de gazon où s'ébattre,

« L'herbe reste blottie en terre,
La fleur des prés ne s'épanouit plus,

Sur le lieu du forfait funeste,
Rien ne pousse à l'endroit
Où le fils a outragé sa sœur
Et souillé le fruit de sa mère. »

En passant par la mère (rapide remake d'Œdipe), la formule insiste davantage sur l'inceste (que sur le viol) et rappelle que le crime est contre les lois de la société comme de la nature. Il semblerait d'ailleurs que ce soit cette dernière qui se venge lors du suicide de Kullervo, puisqu'il a fiché dans le sol l'épée sur laquelle il s'empale :

« Le jeune garçon aux bas bleus,
Planta la garde dans le champ,
Enfonça le pommeau dans la lande,

Tournant la pointe vers sa gorge,
Il se jeta sur la pointe. »

 

Orchestre, chœur, voix solistes... la pièce se clôt dans le sens inverse : les voix sont peu à peu noyées sous la puissance de l'orchestre et la conclusion du chœur puis l'orchestre se renferment sur la tragédie. C'était terrible. Surtout à cause de ou grâce au (tout dépend du sens donné à « terrible ») le choeur d'hommes, qui prend en charge la narration comme dans les tragédies antiques. Plus ça va, plus j'en viens à cette évidence enfantine : j'adore qu'on me raconte des histoires.

(Je ne suis pas la seule à avoir aimé : Palpatine est sorti comme un voleur pour aller acheter le CD)

 

21 juin 2010

Quand Lalo remplace Lola...

 

… Palpatine n'est pas nécessairement dans tous ses états. A chaque orchestre ses beautés : une violoncelliste pour l'orchestre de Radio France, dirigé par Myung-Whun Chung. Pour une fois, le nom m'est familier, l'enregistrement de mon CD de l'Arlésienne s'est fait sous sa baguette. Peut-être bien magique, parce que j'ai du mal à comprendre quelles les musiciens peuvent en retirer : la mesure, peu exubérante, je vois bien, mais les vagues latérales initiées par les bras et suivies par le corps, ou la main gauche par laquelle tout le corps secoué de tremblement se raccroche au vide, je ne vois pas trop. On dirait parfois qu'il est possédé par la musique plus qu'il ne la dirige, mais cela doit être une impression de non-mélomane. Quoique... Palpatine penche pour le pilotage automatique de l'orchestre, parce que toujours est-il que ça marche (cette phrase n'est absolument pas française, mais je commence à être fatiguée et je ne vois pas où ça coince précisément – help me).

 

Deuxième nom imprononçable de la soirée, qui me fait irrésistiblement penser à de la mousssaka, bien que l'association phonétique soit une hérésie aussi bien géographique que culturelle : Moussorgski, dont des extraits de la Foire de Sorotchinski ouvre la soirée. C'est enlevé et coloré comme un marché - oriental ou méridional, parce que je peux vous assurer que ce n'est pas le genre de sonorité qu'on trouve en Dordogne.

Le méditerranéen, malgré que j'en ai, n'arrive qu'avec le deuxième morceau, une symphonie espagnole d’Édouard Lalo, dans laquelle on entendrait presque des accents tziganes de temps à autres. Mais c'est peut-être à cause du violon de Vadim Repin, dont je n'aime pas trop le son grinçant. Sans aucune gitane qui danse à son rythme, cet instrument geignard ne s'accorde pas de l'orchestre en bon ordre au milieu duquel il évolue, ni du costume impeccable de son maître (parce que c'est évident qu'il le maîtrise avec classe), qui n'est pas en train de mendier quelques larmes à son public.

Cela m'agace et ne cesse donc pas de m'attirer, jusqu'à ce que le violon revienne en grâce à l'oreille que je n'ai pas avec le morceau bonus joué par Vadim Repin et les autres cordes, qui, après enquête, se révèle être des variations sur le Carnaval de Venise de Paganini. C'est vrai que le soliste avance masqué : sans rien annoncer au public, il adresse quelques mots aux violonistes dont la mine se réjouit (celui qui est le plus excentré battait déjà joyeusement, de son archet sur le pupitre, la mesure des applaudissements), ainsi que celle de Palpatine lorsqu'il fait le signe de pincer les cordes. L'orchestre hoche la tête, le violoniste se met en joue et fait feu -d'artifice : le morceau est génial, ça sautille, esquive, feinte, sautille à nouveau et me donne envie de danser. Vadim Repin est visiblement virtuose, il se joue des difficultés et tous les musiciens semblent beaucoup s'amuser. Rire du public aussi : après avoir calé les pincements de corde, ceux-ci s'avèrent trop ténus pour que le soliste ne les recouvre pas en jouant, si bien qu'il fait mine de tendre l'oreille et aussitôt le volume augmente, comme si l'on avait tourné le bouton d'une chaîne hifi.

A l'entracte Palpatine hésite à se faire tenir la jambe par l'ami bavard, et finit par alpaguer l'ami russe pour qu'il nous en fasse une imitation, qui me fait rire sans pour autant connaître l'original et me donne une idée de l’énergumène. L'imitation des différents chefs d'orchestre, à la sortie, valait également son pesant de cacahuètes. Sonnerie - Palpatine se rassoit tranquillement en disant que le meilleur est passé. Peut-être mon esprit de contradiction s'est-il réveillé à ces mots, peut-être ne suis-je tout simplement pas lassée par le top 50 des salles de concert que je fréquente assez peu, peut-être aussi mon préjugé est-il naturellement favorable au compositeur de musique de ballet : toujours est-il que la symphonie pathétique (n°6) de Tchaïkovski m'a beaucoup plue. Même si je décrochais parfois brièvement de temps à autres, mon attention avait moins de mal à se concentrer que lors de la première partie (certes, l'effet gâteaux à l'entracte n'est pas à négliger non plus dans le degré d'éveil), dont les huit minutes du premier morceau, notamment, étaient vraiment trop courtes pour qu'on puisse entrer dedans et en profiter pleinement. J'adore les moments de quasi-silence où l'on se demande presque s'il va l'emporter sur la musique, avant que celle-ci ne reparte avec plus d'allant. Je ne suis pas certaine d'avoir trouvé cela « pathétique », à moins d'y entendre moins la pitié que l'empathie. Mais bon, pas besoin de souscrire au larmoyant, le programme précise même que le compositeur n'a pas ajouté l'adjectif de lui-même, et qu'il est davantage à entendre dans le sens de « passionné » ou « émotionnel », « comme un regard sans illusion sur 'la douleur de vivre, les amours impossibles, la culpabilité, le pressentiment de la mort'. » Mouais ; en gros, mettez-y ce que vous voulez, du moment que cela possède une certaine force émotive. Après le troisième mouvement, le public n'a d'ailleurs pas pu s'empêcher d'applaudir. Les puristes de le déplorer, mais franchement, cela me dérange beaucoup moins que les manifestations de tuberculeux qui se mettent à tousser du de concert, ou que la brève cacophonie des instruments qui se ré-accordent - laisser éclater son enthousiasme n'a rien de pathologique, au moins... à moins de voir le plus grand conformisme dans la surenchère d'applaudissements après une débauche musicale. On ne pourra en revanche rien reprocher au magnifique silence de la fin, qui a mis une bonne demi-minute à se relacher.

 

20 juin 2010

Un concert érotique...

… me dit ma mère alors que je lui raconte ma soirée de jeudi à Pleyel. Un moment de perplexité, je pense à l'inclinaison de Palpatine, fonction de la visibilité de Lola, ainsi qu'à ma grande interrogation de savoir si la doublure rouge de la veste, remarquée par en-dessous dans les envolées du clarinettiste, se retrouve uniformément chez tous les musiciens (ce qui contrarierait l'aspect monacal du col chez le basson), avant de comprendre qu'on me ressert la bonne vieille blague bien lourdaude sur Beethoven.

Mozart est, lui, exempt de ce genre de plaisanterie : Palpatine vous dirait qu'aussi sa symphonie concertante pour hautbois, clarinette, basson et cor ne comprend aucun contrebasson ni par conséquent aucune Lola. Pour ma part, pas de quoi être déconcertée, le morceau m'a bien plu. J'ai l'impression de mieux percevoir le jeu des correspondances entre les solistes et l'orchestre, toutes les variations auxquelles cela donne lieu : réponses, suites, contrastes ; entre les solistes, entre un soliste et les autres associés ou non à l'orchestre, etc. Cela me fait penser à la rivalité fraternelle des cours de danse de bon niveau, lorsque chacun s'enhardit au contact de l'autre dans une émulation enthousiaste. Le quatuor est resserré autour du chef d'orchestre, comme un cercle d'amis, parfois rompu par le clarinettiste, un peu plus petit, qui semble alors s'adresser directement au public – histoire de prolonger la complicité.

Après l'entracte, on passe à une autre symphonie, la neuvième de Beethoven, « surboostée aux amphétamines », dixit Palpatine, ce qui m'a d'autant plus fait rire que c'est exactement l'impression que cela donne. Les mouvements déferlent, mais le musicien hante la tempête et se rit de l'archet. Au troisième rang côté cour, nous sommes très proches des contrebasses, instrument qui m'attire instinctivement – peut-être à cause de la première page de la nouvelle de Süskind, qui attend toujours que je la lise (et avec Palpat' qui se met à l'allemand, ça me démange). Le plus proche me fait d'ailleurs penser au poète de Spitzweg, allez savoir pourquoi.

Au début du troisième mouvement, le chœur rentre – j'y repère B#1, qui m'a vendu ma place . Ce n'est qu'à la fin qu'il se lèvent pour chanter, mais alors, ça fait un de ces effets ! Rien que visuellement, les pages des partitions tournées en cascade, comme par des rafales de vent... Il a beau rester quelques places ici et là, la salle est soudainement pleine, emplie de son qui n'a plus assez d'espace pour exploser, juste pour enfler dans des proportions formidables – malgré les paroles léchées de l'ode de Schiller, la joie n'a rien de primesautière (surtout que d'après le programme, « Freude » est un substitut à une initiale « Freiheit »).

L'au revoir au chef d'orchestre n'a rien de triste non plus. Pour moi, parce que c'est à peine si j'avais déjà entendu le nom d'Eschenbach auparavant (on est inculte ou on ne l'est pas) ; pour lui, parce que les musiciens lui ont offert une lettre autographe de Berlioz ; pour l'orchestre, parce que le directeur musical de l'Orchestre de Paris reviendra les diriger par la suite. Il est assez amusant d'assister à un moment « objectivement » émouvant, puisque pas en mesure d'y participer vraiment. Ma lecture du super-programme-pour-l'occasion a été très curieuse, déchiffrant en français-anglais-allemand les fac-similés de lettres de musiciens adressées au chef pour lui exprimer toute leur gratitude pour sa complicité artistique ; certains choisissent de dire simplement leur admiration, d'autres dérivent vers la poésie, en métaphores plus ou moins filées, quand d'autres encore remercient leur « mentor », faisant ainsi de celui-ci une figure pour ainsi dire mythologique.

 

09 juin 2010

Ceysson de parler

 

Et écoutons le harpiste nous raconter l'argument de Giselle, c'est tout à fait réjouissant. La jeune fille qui est amoureuse d'un prince qui doit épouser une princesse, mais il ne lui a pas dit, et lorsqu'elle l'apprend, elle meurt d'amour – ça, c'est le premier acte, un peu résumé, hein, ajoute-t-il, pris au dépourvu par la pauvreté du schéma narratif. Deuxième acte, comme elle est morte avant le mariage, et qu'elle est vierge, elle revient avec les Wilis, qui malmènent jusqu'à les faire mourir les « jeunes hommes qui se promènent dans la forêt, enfin qui d'aventure se sont égarés autour du cimetière ». Son prince vient, mais la morte ne le tue pas, « comme quoi, tout est bien qui finit pas si mal ». Les deux mains du harpistes, de chaque côté des cordes s'en écartent dans un geste qui retourne les paumes vers la haut façon bah-voilà, avant de revenir à ce qui est plus dans ses cordes, justement, la musique. « Grand pas de deux » : la musique, imprimée dans mon corps (pas vraiment dans mes muscles, ce n'était pas le passage de Myrtha), semble en ressortir dès qu'elle est jouée. Vraiment, le plaisir de la (re)connaissance est aussi fort que celui de la découverte.

Ce troisième morceau me donne la certitude que cette soirée sera bonne. Et non, pas uniquement pour Emmanuel Ceysson, même si le beau gosse (qui sait qu'il l'est – c'est rédhibitoire) a été apparemment la terreur des concours de harpe, selon les témoignages croisés de B#2 et de la sœur de Miss Red. La Pythie a eu l'air de le trouver fort à son goût – bon, je dois reconnaître qu'on peut assez facilement imaginer ses mains dénouer le laçage d'un corset tandis qu'elles pincent les cordes, caresser un corps lorsqu'il effleure la harpe (de ma place, l'image de son visage était co(r)dée, je ne voyais que les mains tisser la musique) ou encore en dessiner les formes, lorsque ses mains décrivent une courbe (une ronde?) pour laisser le temps de vibrer. Je disais donc, pas uniquement pour le harpiste, qui a enregistré un album duo avec Laurent Verney. Une paire de joyeux lurons, dirait-on, alors que l'altiste raconte comment ils se sont rencontrés, et précède la plupart des morceaux de quelques paroles, plus de l'ordre de la remarque ou du commentaire que de l'introduction savante. Le ton est tout sauf protocolaire : peut-être qu'y invite le nombre réduit de musiciens, la taille du studio Bastille ou encore le cadre de la soirée, donnée non certes pour des mais les amis de l'opéra. Cette ambiance détendue où les musiciens s'autorisent à faire de l'humour est pour beaucoup dans le plaisir qu'on y prend – alors que cela aurait pu, on ne sent pas la flatterie adressée à des privilégiés, le violon est réservé à Thibault Vieux qui tient bien l'archet et non pas la chandelle au duo à l'honneur. Je crois même que c'est celui que je préfère, même s'il n'y a pas entièrement moyen de le vérifier dans la mesure où il n'a pas le droit à un solo – alors qu'il n'y a auditivement visiblement aucun problème pour remplacer le violoncelle du Lac des cygnes par un alto.

Pour flatter la balletomane, le programme finira même par la « pas d'action », joué à un rythme un peu différent, n'étant pas dans l'obligation de suivre les danseurs (on sent qu'ils se font plaisir, sans que l'obligation, en temps ordinaire, de s'adapter au ballet aparaisse comme une pesante contrainte - cela ne m'en plaît que davantage). Ce n'est pas si souvent qu'on entend de la musique de ballet hors de la danse – et même là, ma mémoire continue à les lier. Je m'étonnais aussi de connaître le morceau lancinant de Fauré, que je ne savais pas être une Élégie en ut mineur ; Palpatine me suggère le Proust de Roland Petit (plus les Émeraudes de Balanchine, je crois que je vais aimer Fauré). J'imagine que cela doit sembler assez étrange à un mélomane, de ne connaître la musique qu'à travers la danse, de la percevoir avec tout le corps plutôt qu'avec ses seules oreilles. Du coup, j'ai un peu plus de mal avec la musique qui n'est pas dansable : la Mélodie roumaine de Bruch, qui ouvrait le programme, a glissé sur moi sans laisser de trace (quoique, on a toujours besoin d'un temps de transition avec l'extérieur – et le tam-tam des sans-papiers en manifestation sur la place, qu'on entendait lointainement entre les morceaux), tandis que les Danses populaires roumaines (voyez que je n'ai rien contre la Roumanie) de Bartók m'ont grandement enthousiasmée.

Même si cela ne m'a pas fait le même effet que pour Bartok et Fauré, le Rossini (La Cenerentola, « Non più mesta », à vos souhaits) et le Haendel/Halvorsen (Passacaille) m'ont bien plu. Restaient deux extraits de Hindemith qui ne me donnent pas spécialement envie d'en découvrir plus. La sonate pour harpe seule m'a donnée l'impression d'entendre non une musique mais de la harpe, dans toute la vague imprécision du partitif. Celle pour alto seul était plus impressionnante qu'autre chose : Laurent Verney a joué à tous crins ; ce n'est pas un cheveu hirsute qui a surgi de sa crinière poivre et sel, mais un crin de son archet. Heureux et essoufflé, il nous a précisé ensuite qu'il y a avait 600 noires à la minute (ce qui ne m'évoque pas grand-chose, à part que ça a l'air assez monstrueux), et qu'il était indiqué sur la partition que « la beauté du son n'est pas une propriété ». Là, en revanche, je reçois parfaitement l'idée, comme toute la salle, d'ailleurs dont le rire redouble lorsque l'altiste fait mine d'exhiber la partition afin que nous puissions éprouver sa bonne foi.

 

Seule note discordante à ce concert : l'affreux gamin et son plus-insupportable-encore père, qui répondait à ses questions (trop fortes mais plutôt pertinentes, ma foi, pour un môme de cet âge) pendant le morceau. Le gnome en a assez vite eu marre et au lieu de sortir, le père se couvrait le visage des mains pour se protéger des balles blanches dont tous ses voisins le fusillaient. Alors que j'allais le prier (à l'impératif) de sortir, Palpat' en bout de rangée s'est levé pour lui demander de sortir, ce qu'il a fait... sans son mouflet. On en est resté comme deux ronds de flanc. La terreur a quand même fini par rejoindre son abruti de père, nous laissant apprécier sereinement Fauré, puis est revenu ensuite, debout; sur le côté, à gigoter (aucune esquisse de danse comme circonstance atténuante). Le mouvement, qui parasitait le coin de l’œil ne gênait pas vraiment, mais ça m'a tout de même un peu crispée, craignant à chaque instant qu'il ne vienne tout gâcher (ce que je sais suffisamment faire moi-même avec ce satané désir de mémoriser ce que j'entends – et qui m'est tout bonnement impossible à la première écoute).

 

Suivait un cocktail, où je n'ai même pas eu la désagréable impression de jouer (faux) à la mondaine, parce que la balletomane ultime nous racontait ses après-midi dans la résidence de l'ambassadeur du Japon, dont la femme organise concerts ou activités artistiques -intime-, nous apprenait que sa fille est danseuse contemporaine, ou encore qu'elle n'avait pas gardé le nom de son ex-mari parce qu'elle le trouvait vraiment trop bizarre – encore si cela avait été un nom de fleur, ajoute-t-elle les yeux toujours rieurs (certains diraient bridés, mais les petites rides sont formelles : rieurs), le tout en se demandant quel peut bien être le parfum de la mini-tartelette qu'elle tient à la main et dont elle va me chercher la dernière survivante pour que je puisse donner mon avis (mandarine, j'aurais dit). Les pique-assiette sont redoutables, agglutinés au buffet comme des mouches sur du gros scotch marron (j'ai la comparaison glamour, I know). Il faut dire, et ce grâce aux serveurs qui font passer les plats aux périphéries, que c'est tout simplement délicieux. Le raffinement est poussé jusqu'à la disparition pure et simple du petit-four gras et feuilleté, à la place duquel on trouve : brochettes de poulet au curry, crevette marinée, dé de saumon cru au sésame, et même makis à l'aneth, avant de passer aux sacro-saints macarons. Je me sens aussi légère que les bulles de champagne qu'à l'exemple de Palpatine j'ai troqué contre un verre de jus de fraise (je vous ai déjà dit que je suis contre la dictature du jus d'orange ?). La vue et l'ouïe ont été comblées par le concert, l'odorat et le goût rassasiés par le buffet (narines chatouillées, palais ravi) et, l'air de ne pas y toucher, nous sommes partis parfaire la soirée.