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06 mai 2012

Joss Whedon, mon super-héros

Il me reste encore quelques morceaux de danse à chroniquer, mais ayant peu de temps et tout de même envie de m'octroyer le plaisir d'une petite chroniquette, il s'agira du film de Joss Whedon, The Avengers. Dans la mesure où ma connaissance de l'univers de Marvel se limite à Spider-Man partant à la rescousse de Kirsten Dunst, et où Thor est pour moi un personnage d'Everworld, jamais je ne serais allée voir ce film à gros budget si Palpatine n'avait pas insisté sur son réalisateur : celui de Buffy the Vampire Slayer, la série la plus carton-pâte qui soit, qui est aussi la série la plus psychologiquement développée que je connaisse. Du coup, moi qui aime plutôt le maigrichon de comédie romantique, j'ai été curieuse d'aller voir les gros bras en action.

La séance elle-même a été épique. Après une demi-heure d'attente et autant de pub (cela dit, ça permet d'évacuer les pop-corn assez rapidement), le film démarre... en muet. Sous les huées du public, soudain dés-atomisé et fédéré par son exaspération, j'essaye de suivre avec les sous-titres le début de l'action, situation de crise dont un responsable demande si elle grave : « Bah, ouais, c'est grave », lance quelqu'un dans la salle, « un peu, ouais, on n'a pas le son ! » A ce stade, je ne sais pas encore si le film va me plaire, mais je ris déjà bien. La régie se prend des applaudissements ironiques lorsque le son rattrape l'image, mais alors qu'on commence enfin à rentrer dans le film : noir. Plus de son, plus d'image. Le supporters de Michel Gondry (Rembobinez ! – sans le Soyez sympa, faut pas déconner) ont, un peu tard, obtenu gain de cause. La manip' prend un peu de temps, si bien que l'un de nos voisins apostrophe la régie : « Sans les pubs, hein, s'il-vous-plaît. Non, mais, je précise, hein, on sait jamais... sans les pubs. » Le film re-démarre enfin ; la situation de crise est claire, sinon sous contrôle, le fou rire guette.

Après moult explosions et effets spéciaux destructeurs (notamment pour les oreilles, j'en viens presque à regretter le muet) qui justifient le budget de blockbuster et l'arrivée des super-héros, on retrouve le ton de Joss Whedon. Tant mieux, parce que la bagarre, j'adore ça, pourvu qu'il n'y ait pas trop de sang et de cadavres, et surtout, surtout, qu'on n'oublie pas au milieu du chaos l'humour à la Bruce Willis dans Die hard. Les répliques négligemment cinglantes ne sont pas légions, mais elles sont très bonnes : « They have an army, but we have a Hulk. » Ma préférée, je crois, c'est lorsque Thor entend qu'on ne critique pas trop Loki, qui, bien que passé du côté obscur de la force, est tout de même son frère et vient de la même planète que lui, et qu'on lui objecte :

« - He murdered 80 people in 2 days.
- He was adopted. »

L'humour fait bien passer la pilule et le message qu'elle contient : les super-héros commencent à dater – non parce qu'ils vieillissent, mais, au contraire, parce qu'ils sont toujours ce qu'ils étaient (Captain America, pectoraux intacts, semble tout droit décongelé des Trente Glorieuses) alors que la société s'est complexifiée et disparaît derrière des entités anonymes. L'époque n'est plus aux grandes figures capables d'incarner à elles seules la nation. Situation inédite pour eux et difficile à accepter pour un Iron Man complètement mégalo, il leur faut unir leurs forces et passer dans le relatif anonymat du pluriel, devenir une série de super-héros qui avaient auparavant chacun la leur.

Une décennie après le 11 septembre, ils sont obligés d'admettre une certaine vulnérabilité : on peut combattre le mal, mais rarement le prévenir. À défaut de protéger l'Amérique (je ne sais pas si vous avez remarqué, mais la fin du monde arrive toujours à New York – l'ethnocentrisme a parfois du bon, ça laisse le temps de voir venir), à défaut de la protéger donc, ils la vengeront. Le justicier compte désormais moins sur la justice que sur sa colère pour faire régner l'ordre le désordre le bien (notion floue, donc très pratique). Et pour ne pas se salir les mains, on exécutera la condamnation du criminel ailleurs, en renvoyant Loki sur la planète Asgard (ça va, le G est planqué au milieu du mot).

Joss Whedon, quoi.

 

03 avril 2012

Sidonie aside

N'allez pas voir Les Adieux de la reine si vous n'aimez pas vraiment ses actrices principales. Le film de Benoît Jacquot repose sur la fascination des visages : l'embrasement du peuple et de la reine se reflète sur le visage de Léa Seydoux comme les atermoiements d'un feu de cheminée. On y voit la passion de son personnage, Sidonie Laborde, pour Marie-Antoinette et la passion de celle-ci pour Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen), qui lui fait perdre la tête avant même que les événements n'exécutent l'expression au pied de la lettre.

L'histoire est vue depuis ses marges, alors forcément, on reste entre femmes. On reste retranché au château de Versailles, curieuse forteresse assiégée, où l'impératif de Sidonie est de finir de broder le dahlia réclamé par la reine lors d'une fantaisie capricieuse dont elle ne se souvient pour ainsi dire plus. Il faut attendre que circule la liste des têtes réclamées par le peuple pour que l'inquiètude gagne cette campagne où le soleil ne cesse de briller. Cette nature indifférente, presque insolente, rend le danger improbable : les massacres ensoleillés, comme dans L'Espoir de Malraux ou la Commune peinte par Maximilien Luce, sont trop scandaleux pour qu'on puisse les concevoir. Ce décalage entre la mort imminente d'une société et la vitalité par laquelle elle se refuse à envisager sa propre fin est rendu plus sensible encore par le parti pris du réalisateur, de privilégier la proximité émotionnelle sur la distance historique.

Hormis un court instant où la reine et Sidonie, sa lectrice, se livrent à une conversation digne de monsieur Jourdain, le langage n'a rien de précieux, Sidonie trimballe un sac en tissu qui me fait tiquer chaque fois qu'elle le passe en bandoulière sur sa robe à l'anglaise, et selon le souhait du réalisateur, elle porte les coiffures d'époque comme une queue de cheval, pas plus déguisée que la mode l'exige à toute les époques. Cette liberté nous éloigne d'une altérité d'autant plus précieuse qu'elle nous échappe toujours, mais d'une certaine manière, en ne cherchant pas à tout prix à s'identifier à cette époque révolue, elle refuse de faire croire à l'abolition de la distance et la parcourt jusqu'à la frôler.

Ainsi la cavalcade des courtisans qui accourrent vers le roi ou la reine n'est peut-être pas en accord avec la pesanteur et la rigidité de l'étiquette, mais elle nous fait prendre conscience de l'espace dans lequel la cour évolue, de la distance qui sépare une pièce d'une autre et partant, un statut social d'un autre. La place de Sidonie et de son amie Honorine (Julie-Marie Parmentier, à qui le franc-parler des servantes convient décidemment bien, même s'il n'a rien à voir ici avec la violence des Blessures assassines) ressort alors dans toute son ambiguïté : habillée d'une robe simple mais élégante, la lectrice de la reine, qui côtoie la plus haute noblesse, prend son repas en cuisine avec les domestiques, dames de compagnie et femmes de chambres cependant servies par les cuisinières, et dort dans une chambre où la pendule qu'on lui a prêtée pour être ponctuelle auprès de la reine détonne. Et pour brouiller encore plus les rangs et faire valoir l'incommensurabilité qu'il y a des courtisans au roi plus encore que des domestiques aux courtisans, ces derniers ont délaissé leurs châteaux pour vivre dans des trous à rat insalubres.

Mais tout cela n'est que l'arrière-plan révélé par le triangle amoureux central (pour rappel : Sidonie Laborde --> Marie-Antoinette --> Gabrielle de Polignac). Contrairement au film de Soffia Coppola, Marie-Antoinette n'est pas le personnage principal : vue à travers le regard de Sidonie, elle reste la reine, mystère cristallin. Même si elle prend le bras de sa lectrice pour passer un onguent sur ses piqûres de moustiques, celle-ci se tient ensuite à une distance respectueuse et plonge à chaque entrevue en révérences réitérées, jusqu'à ce que sa majesté veuille bien remarquer sa présence. De fait, si Marie-Antoinette aime Gabrielle de Polignac, qui l'a fascinée justement parce qu'elle n'était pas "un de ces êtres dont un dispose comme d'un chou à la crème", Sidonie ne peut qu'adorer la reine. Sa dévotion outrepasse les limites de l'amour, et contrairement à Gabrielle de Polignac qui fuit la reine pour échapper à son destin, Sidonie va jusqu'à se mettre en danger pour elle, en suivant sur sa demande la comtesse, dont elle prend les habits (verts, comme le cyanure) -- travestissement dramatique aux antipodes de la légèreté du marivaudage. C'est ainsi qu'elle s'offre à elle : la scène où on déshabille devant Marie-Antoinette sa servante fait écho à la seule autre scène de nu du film, où l'on découvrait le corps endormi de l'amante désirée par la reine.

Au final, c'est bien mademoiselle de Laborde qui porte la vraie noblesse : blessée, elle reste digne, au point de ne pas éveiller le moindre soupçon lors de la substitution. Et je reviens à ma première impression, qui m'avait fait prendre Sidonie pour Marie-Antoinette, sûrement parce que la rondeur de Kirsten Dunst se retrouve davantage dans le visage de Léa Seydoux que dans les traits d'une extrême finesse de Diane Kruger.

24 février 2012

La Dame de fer

Tout se passe comme si l'on avait voulu faire de La Dame de fer un de ces films de facture classiques à succès, un de ces films fermes comme des rôtis bien ficelés, qui semblent tenir tout seuls tant les ficelles sont à leur place, invisibles. La recette a visiblement été bien copiée, jusqu'à la touche d'assaisonnement : on retrouve une scène de travail de l'élocution, comme dans Le Discours d'un roi.
 

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[Au détour d'un plan ressurgit parfois Cruella.]
[Et il y a ce mouvement des lèvres qui me rappelle mon ancienne prof de danse... anglaise. Coïncidence ou logique mécanico-linguistique ?]
 

La performance de Meryl Streep n'a rien à envier à celle de Marion Cotillard, et ce nouveau biopic emprunte même à La Môme un ressort narratif qu'il utilise comme trame : tout comme l'amant de Piaf, le mari de Margaret Thatcher est filmé comme si de rien n'était, comme s'il n'était pas sorti de sa vie, de la vie. Le coup de folie ponctuel face au deuil impossible devient le signe chronique de la sénilité. C'est à partir des confusions de la mémoire que le film se permet des allers et retours dans le temps, retrouvant tout de même par les associations de situations le sens de la chronologie. Cela se découpe bien et c'est aussi tendre sous la dent que les temps sont durs.

A une bonne recette et de bons ingrédients, il faut pourtant le tour de main. Il y a bien le fer et le gant de velours, mais la main ? On voudrait être dirigé avec plus de poigne dans un parcours politique qui n'en a pas manqué. Là où J. Edgar montrait un personnage complexe, La Dame de fer ne fait pas dans la dentelle et l'on a parfois l'impression que cette fille d'épicier doit davantage son ascension politique à son entêtement qu'à sa volonté. La certitude d'être dans son bon droit, qui lui confère, comme à J. Edgar, un aplomb étonnant, se teinte de naïveté, et ses convictions n'ont alors pas grand mal à devenir dans la vieillesse des dogmes dont elle ne démord pas. Ceux-si sont tout de même l'occasion de quelques vérités bien frappées, comme lorsqu'elle déplore : people nowadays want to be someone, whereas we wanted to do something & they do not think, they feel.

Pour le reste... on se régalera du jeu de Meryl Streep, d'œufs à la coque et du délicieux Harry Lloyd dont je suis serais moi aussi tombée amoureuse.
 

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16 février 2012

J. Edgar

Le FBI, du groupe parallèle parasite à l'institution tentaculaire.

Un homme assez peu sympathique, qui fait confiance instantanément, à l'instinct, et vire de même, à la gueule du client. 

Son second beaucoup plus amène, pour amadouer le spectateur.

Une amourette de jeunesse esquissée, un enlèvement d'enfant, la vieillesse homosexuelle - faibles tentatives du film pour faire pièce aux intrigues politiques.

Une obstination qui force l'admiration et la détruit : soif de pouvoir. Réécriture de l'histoire : le procédé de falsification du vainqueur falsifié en humaine faiblesse.

Le second vieilli en lézard. Vérité nue du maquillage : trop de taches.