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15 avril 2017

Syndrome de Stockholm chez Disney

Emma Watson n'est jamais aussi piquante qu'en bookworm. Aussi est-ce un plaisir de la retrouver dans La Belle et la Bête. C'est même le principal intérêt du film, globalement un décalque du dessin animé, dont il conserve les numéros musicaux (parce qu'en plus, Emma Watson chante ; et oui, juste, bande de jaloux ; elle a même une voix fort agréable).

Seul ajout notable, un voyage dans le temps et l'espace jusqu'à Paris lors de la naissance de Belle, pour lever le soupçon d'une faute originelle : non, sa mère n'est pas morte en couches, comme on pourrait le croire, mais de la peste. Soit. Notre héroïne est prête pour une élection présidentielle, mais cette entreprise de blanchiment d'origine me dérange un peu, je dois l'avouer. Pour compenser, le casting comprend davantage d'acteurs et d'actrices noirs que dans le dessin animé (il en comprend, quoi). À la surprise d'en éprouver, on se dit qu'il était temps, effectivement (et pas d'effet Benetton - car absence de tout autre nuance ethnique ?).

La nature humaine est en tous cas mieux représentée que la nature tout court, totalement remodelée en images de synthèse : est-ce pour opérer une meilleure transition avec les scènes d'intérieur pleines d'effets spéciaux ou est-on devenu à ce point incapable d'apprécier ce qui n'est pas synthétisé ? Comme d'habitude, déception de voir la Bête, Lumière, Big Ben et compagnie perdre vie en reprenant corps… Il est décidément difficile de renoncer à la magie.

Planquée avec Pink Lady sous ma veste en polaire reconvertie en couverture contre la climatisation exagérée de l'UGC, j'ai en tous cas passé une excellente soirée pyjama en habits de ville.

10 avril 2017

Coquille poétique-robotique

J'ai étonnamment bien suivi l'adaptation cinématographique de Ghost in the Shell. Doublement : il n'y a pas eu de moment, comme si souvent, où je ne comprends plus rien qui a commandité le meurtre de qui, ni pourquoi ; et c'est suspect par rapport à l'animé*. Je ne me souvenais plus de l'histoire, mais très bien du flottement perplexe et poétique dans lequel je l'ai reçue. Sauf dans la scène de plongée sous-marine, plus d'onirisme contemplatif, fondu-disparu dans les codes du film d'action et ses ralentis de tir. Tout se comprend trop bien ; Palpatine qui a le chef-d’œuvre bien en tête désigne l'épisode de prequel, qui explique de quel corps vient l'esprit de l'héroïne que des savants ont transféré dans une carcasse de robot. Se manifeste ici une tendance arachnéenne à combler tous les coins (lecteurs de Kundera, cette métaphore vous est dédiée), à circonscrire le mystère, qui en devient plus consommable : pas de ballonnements intestinaux, pas d'irrésolu qui pourrait hanter ; les questions sont ravalées au rang de thématiques.

Au premier rang desquelles le lien entre corps et esprit. Se définit-on plus par le corps ? par l'esprit ? par nos souvenirs (assimilés au corps en ce qu'ils s'héritent) ? par nos actions (décidées par l'esprit) ? Malgré mes objections muettes étayées à coup de Memento**, l'adaptation penche très clairement du côté de l'action et de l'esprit, dans un élan de Lumières (occidentales ?) qui confine à la négation du corps (chrétien ?). Jusqu'à modifier la fin du film, souligne Palpatine : dans l'animé, l'héroïne disparaît dans un au-delà désincarné, comme Scarlett Johansson dans Her et Lucy ; dans le film, elle refuse cette mort-échappée-transfiguration et reste, est-il dit, pour faire justice… trahissant par là notre rapport ambivalent au corps. D'un côté, on sur-valorise notre enveloppe extérieure (la carcasse robotique) ; de l'autre, on refuse d'être au monde incarné (le coquillage poétique), c'est-à-dire de mourir, c'est-à-dire de vivre. Et de glorifier-rêver un esprit indépendant qui pourrait nous survivre. Alors que l'animé distillait une certaine nostalgie pour ce fantasme perçu comme sclérosant, le film s'y engouffre avec l'énergie du désespoir, piétinant toute aspiration de sagesse et de sensualité***.

S'y ajoute un léger malaise dû au casting : d'abord parce qu'il suggère qu'un corps est par défaut un corps occidental blanc (nous sommes dans une firme robotique japonaise, pour rappel)(et un système hollywoodien, donc pas vraiment étonnant), et parce que Scarlett Johansson se retrouve une fois de plus à jouer une femme-robot. Certes, on voit bien en quoi sa sensualité est un atout pour le réalisateur : même avec une démarche mécanique, même en revêtant un masque de non-expression, l'actrice transpire l'humanité par tous les pores de la peau. Mais l'insistance avec laquelle on la désincarne de film en film me donne la désagréable impression que l'on cherche à évacuer un corps par trop envahissant, trop humain… trop incarné. Si encore elle n'était que pur corps, sans regard, sans expression, un corps bête, enfin…  Mais non, la pensée est toujours chez cette actrice incarnée et sa présence achève de mettre en lumière les impensés de l'adaptation, qui transplante un ghost nippon dans un shell occidental sans s'apercevoir que s'opère un changement de sensibilité, avec notre ambivalence fondamentale d'Occidentaux incapables de penser autrement qu'en terme de corps et d'esprit… nous rendant par là-même incapables d'appréhender la mort autrement qu'en la refoulant. D'un côté ce qui vit : l'esprit ; de l'autre ce qui meurt : le corps ; rien d'incarné qui vivrait parce qu'il se meurt et se recompose à chaque instant. Mais plus de cela lorsque je vous parlerai de mes lectures de François Jullien.


* Pour corser le tout, l'animé est multiple et les différentes occurrences proviennent elles-mêmes d'un manga papier… peut-être suis-je partie en live un peu vite…

** Dans ce film de Nolan, un homme qui n'a plus de mémoire qu'à court terme se tatoue sur le corps les indices par lesquels il espère venger la mort de sa femme… et se fait rouler propre avec le spectateur : la surface scriptible de l'épiderme ne saurait se substituer à la mémoire profonde du corps-esprit. Ne pas se laisser définir par son passé, c'est bien (surtout si ça nous épargne Zola) ; agir en le connaissant (son passé, pas Zola), c'est mieux.

*** La question m'a taraudée pendant tout le film : l'héroïne mi-humaine mi-robot pouvait-elle sentir (dans le délire technologique, on pourrait très bien imaginer des capteurs sensitifs, qui envoyés au cerveau simuleraient des sensations) ? Il semblerait logique que non, et que ce soit à partir de là qu'elle n'a plus sa place dans le monde, parce qu'elle n'est plus incarnée.

09 avril 2017

Budapest, carnet de voyage

Je ne sais pas j'ai aimé Budapest, mais j'ai aimé ne pas connaître la ville et m'y promener. J'ai aimé les interstices qu'elle a offert à notre séjour, toutes les pauses et les discussions qui ne font pas vraiment partie de la ville mais qui font l'essentiel du voyage. Les voici dans ce dernier billet.

 

Oh, mais il est vieux ce guide, il date d'avant l'Euro. Je feuillette le guide de voyage de Budapest que Melendili m'avait offert il y a quelques années (potentiellement six, à en juger par la date de l'édition) et que j'avais complètement oublié.

Quelques jours avant le départ, Mum m'appelle pour me demander si je peux aller lui changer des forints près d'Opéra.

Vieux, mais pas obsolète.

 

Vendredi

Rendez-vous beaucoup trop longtemps à l'avance à l'aéroport : c'est un voyage organisé. Nous inaugurons les vacances en plein terminal sud avec un thé à la menthe. Cela semble totalement inconcevable d'avoir un vrai thé à la menthe dans un aéroport, avec des feuilles de menthe dans une théière et des verres dans lesquels je m'amuse-m'applique à faire mousser le thé. On éventre le temps d'attente, on s'installe en-dedans-dehors du transit des voyageurs, en déployant le papier d'aluminium du dernier bout de Krantz cake maison de Mum. Le serveur s'approche, pour nous reprocher la consommation de ce que nous ne lui avons pas acheté, croit-on : il nous propose assiette ou cuillères, je ne sais plus. Est-on vraiment dans un aéroport, à Paris ? Les tranches disparaissent les unes après les autres, les angoisses aussi, d'être partagées et nommées, noyées parfumées délitées dans la menthe, la chaleur sucrée. Mum aussi a eu sa période TOC et ça me rassure, quelque part, de savoir qu'on peut aussi bien vivre avec, après, au-delà. La fatigue tombe.

Chauffeur, si t'es champion, appuie, appuie…
C'est à l'arrière qu'on gueule, qu'on gueule…
Casquettes assorties, une colo de trentenaires. Au décollage, à l'atterrissage… Les extravertis me font peur. Les élans à l'unisson de brisent en conversations durant le vol ; ils rivalisent avec les réacteurs. À l'arrivée, j'ai la tête comme un compteur à gaz ; les embardées du micro m'agressent pendant le confortable trajet en car jusqu'à l'hôtel. Mes chers amis… je ne suis pas ton amie, monsieur le guide, je n'aime pas cette formule de jovialité forcée. Distribution des cartes à l'hôtel, on file dans la chambre, au calme, puis dîner tranquillement dans un charmant bistrot où la silhouette d'un cochon est dessinée au mur avec des bouchons de liège.

 

Samedi

Nous partons dans les rues à la découverte de Pest.

Nous visons la visite guidée de Buda à 14h. Vers 13h, nous avons passé des petites maisons aux vélux alignés, une façade orange, les bruits de couverts d'une auberge, et nous nous baignons tranquillement dans cette ambiance de province aux beaux jours sur un banc en contrebas de l'église Matthias, que nous n'apercevons pas, et des tourelles à la Walt Disney. Nous sommes à la lisière mais hors de l'enceinte touristique, la vue sur Pest est déjà belle dans notre dos, entre les branches des arbres, la ville est loin, les oiseaux pépient, atmosphère de pâquerettes et de printemps. On se découvre, on se recouvre au gré des nuages et du vent, Mum me prête ses lunettes de soleil pour reposer mes yeux. On est passé de pluie potentielle à éclaircies à pourquoi diable n'ai-je pas pris mes lunettes de soleil.

Vers 13h45, nous engloutissons à la hâte des petits pains avec des tranches de fromage achetés au supermarché du coin, après disqualification des grailleries vendues aux touristes. Parfait d'improvisation.

Visite guidée jusqu'aux jambes et l'attention fatiguées. Nous trouvons refuge dans une boutique toute petite qui fait des rétes et vend un thé (allemand) absolument délicieux, que nous ne retrouverons pas au supermarché.  Des oreilles de lapin sont dessinées à la craie à hauteur d'enfant et des cartes du monde couvertes de punaises multicolores : l'Afrique est clairsemée et l'Europe surpeuplée, mais on vient manger des rétes du monde entier. Du coin de la rue aussi, à la sortie de l'école. Puis il est temps d'aller faire ses devoirs et nous nous retrouvons seules, un peu rouges, échevelées, échouées sur les grands tabourets, dans le ruminement discret du réfrigérateur. 

Rentrées à l'hôtel nous reposer nous n'avons plus vraiment envie d'en ressortir. Nous nous motivons à la démesure : direction le café New-York, lustres, stucs, colonnes, ors et apparat, qui disparaissent devant la colonne de glace commandée en guise de dîner. Le vrai luxe, c'est de l'oublier. C'est plus facile pour nous étrangers que pour les locaux : à en juger par leurs tenues du soir et leurs commande dessert only, c'est une sortie prisée pour seconde partie de soirée. En baskets de tourisme, nous hallucinons un peu de nous trouver pour le prix d'une brasserie parisienne lambda dans un décor digne du Train bleu ou du Café de la paix.

 

Dimanche

Pendant que Mum est sous la douche, je ré-étudie le guide : trop de soleil filtre à travers les rideaux de la chambre d'hôtel pour aller s'enfermer, fusse dans un décor délirant mi-bains turcs mi-église gothique. Promenons-nous plutôt dans le quartier du Parlement ; il y a des immeubles Art Nouveau à voir, le péché mignon de Mum (moins mignon quand on a traversé toute la banlieue de Vienne pour cocher la checklist des dix travaux d'Otto Wagner - mais a posteriori, c'est un souvenir que j'adore). Nous découvrons l'immense place de la Liberté, des bâtiments qui rivalisent pour vous impressionner, de l'espace vert, une colonne phallique et l'ambassade barricadée des États-Unis qu'il faut contourner pour voir de près un immeuble magyar aux décorations délirantes. 

Nous suivons les contours du Parlement qui occupe un quartier à lui tout seul, puis longeons le Danube vers le Duna Park pour une collation de gâteaux. C'est plus au Nord que nous n'avions été jusque-là, et l'occasion de voir la ville telle qu'elle ne se visite pas, avec ses pâtés d'immeubles dortoirs et ses coffee shop où il fait bon bruncher. Nous nous installons en terrasse, entre deux rues mais près d'un square tranquille. Il fait beau à tomber le manteau et à faire tourner la chantilly du krémes que j'ai pris pour goûter sans plus avoir très faim, pour le plaisir de retourner près de la grande vitrine de gâteaux et commander ce que je n'aurais jamais choisi si je n'avais pas été en vacances. Mum s'en fout, ça l'amuse ; elle sait bien que les gâteaux se visitent comme le reste de la ville et s'inquiète juste de mon degré d’écœurement. Toujours l'épisode fondateur des Chokini : trop petite pour m'en souvenir, j'aurai avalé le paquet entier de gâteau… et l'aurais vomi chez l'amie de ma mère chez qui nous nous trouvions.

 

 

Promenade digestive sur l'île Marguerite, sorte de parc-centre de loisirs sportifs plein de joggers. L'île est desservie par un pont tricéphale, légèrement biseauté au niveau de l'île comme les deux pans d'une écluse. Sur l'autre rive, après digestion, il y a les bains Lukács. Nous ne sommes pas sûres de nous, en arrivant au milieu des bâtiments jaune Sissi : des plaques de médecins, mais aucune indication de piscine ou de spa. C'est bien là, pourtant. Ces bains-ci sont si peu touristiques que la caissière à l'accueil ne parle pas anglais* ; c'est tout une histoire pour réserver deux massages, on dérange le caissier d'à côté, les horaires, décalés, le prix, fois deux, toujours trois fois rien, et les bracelets qu'on attache à notre poignet, avec lesquels on peut ouvrir et fermer son casier, retrouver le numéro si on l'a oublié, et biper-pointer pour le masseur (Palpatine aurait été enchanté, je crois). Les locaux ont l'habitude ; ils viennent avec leur serviette ou leur peignoir de bain. C'est en deux pièces et pieds nus que j'erre dans les couloirs labyrinthiques après abandonné Mum aux mains d'une grande femme qu'on casterait sans problème comme infirmière est-allemande dans un film de guerre. Je fais le tour du bâtiment, pourvu de plusieurs cours intérieures qui abritent les piscines d'extérieur ; le contraste est surprenant entre l'architecture cossue des façades et les installations très piscine municipale. Seule exception : l'espace Wellness, que je finis par trouver, très haut de plafond, des globes ronds, quelques grandes plantes vertes et un transat que je tire jusque dans le rayon de soleil. J'attends là, à fixer le renfoncement jaune de l'immense fenêtre qui se finit en demi-cercle dans les arbres. Les bruits sont lointains, de la route, du personnel ; il n'y a personne. Que la lumière déclinante et les fantômes de la littérature de sanatorium. Je commence à avoir un peu froid, mais j'aime assez. J'aime encore plus le massage qui suit, ou plutôt la sensation qui vient après, une fois que les points de tensions, harassés, se sont lassés. Sur le moment, c'est douloureusement agréable. It's very tight, remarque le masseur très à mon goût (à mon goût avant même qu'opère l'effet de transfert propre au massage et à la gratitude qu'on éprouve pour quelqu'un qui nous fait du bien). Dos pas entièrement détendu mais fortement délassé ; j'ai rapporté à Paris l'unique Advil dont j'avais la veille repoussé la prise en découvrant que le reste de la plaquette était vide.

On repart en petit-nuage-tram jusqu'à l'hôtel, où je récupère la doudoune de Mum pour la soirée frisquette mais magique à bord d'une péniche. Dîner-croisière plein de lumières.

* Hongrois qu'on comprend, mais on ne comprend pas élue meilleure blague pourrie du séjour.

 

Lundi

Un bout de Pest que nous n'avions pas fait. Des halles de quartiers, puis les Halles pour lesquelles on les avait d'abord prises.

Pour le dernier jour, je veux aller voir de près la statue de la Libération. Ses bras levés et sa jupe au vent dégagent une force peu commune lorsqu'on la voit au loin au sommet du mont Gellért, une espèce de Mistral historique personnifié, proue de la ville qui pourrait à tout instant la détacher et l'entraîner plus avant, plus aval, sur le Danube.

Nous nous rapprochons du mont Gellért en métro, puis entamons l'ascension en bus, en compagnie des habitants des contreforts - des immeubles qui me rappellent les résidences de Sanary sur la route du Lançon (sûrement à cause du rétes fromage-fleur d'oranger dans lequel je viens de croquer) et des villas de plus en plus cossue et espacées tandis que la végétation s'épanouit. Le vieux véhicule peine, mais après quelques arrêts, ça y est, il n'y a plus que la route à traverser, un parc à monter et on y est. Le lieu est touristique, mais pas si plein de monde qu'on n'entende plus chanter les oiseaux. Surplombant la ville, on s'en est extirpé ; c'est la campagne à quinze minutes du centre-ville. Tout juste si le cerisier en fleurs qui borde le premier promontoire with a view ne vole pas la vedette au panorama.

 

 

De près, la statue est toujours imposante mais moins impressionnante : la contre-plongée fait disparaître les plis téméraires de sa jupe. Deux statues plus petites l'entourent, qui me feraient aimer le réalisme socialisme.

 

Communism on the verge of smashing Coca-Cola

 

On les regarde et on les oublie depuis le banc où nous nous sommes installées. Là et accoudées à la rambarde, vers le versant vert du mont, un enfant avec son bâton nous fait parler de transmission. Une amie de Mum, qui n'était pas sûre de vouloir un enfant, commence à éprouver le désir de transmettre ce qu'elle a vécu et appris de la vie. Je comprends ce désir mais pas la forme qu'il prend : je lui préfère le partage avec mes contemporains immédiats, sans ligne de temps*. Et tant pis s'il est plus facile de modeler quelqu'un depuis son plus jeune âge, de transmettre par imprégnation plus que par savoir. Je ne sais pas si, ne voulant pas d'enfant, je me dégage de l'illusion d'immortalité, comme je le croyais depuis ma lecture du Banquet (avoir un enfant pour passer le relai génétique et continuer à exister un peu après sa propre mort) ou si, cela m'effleure seulement, je la renouvelle en la déplaçant (ne pas même mourir symboliquement en étant dépassé par celui que vous avez engendré).

"Je préfère parler de partage plus que de transmission, car on transmet avant de mourir".

 

 

Les autos lointaines scintillent entre les branches nues et les bourgeons obscènes comme les gouttes d'eau d'une toile d'araignée. Je deviens sensible aux saisons en vieillissant, me confie Mum. Je pense immédiatement à ce haïku twitté par Melendili :


En secret
Le printemps me manque
Je vieillis

Awano


Moi aussi, je deviens sensible aux saisons, moi aussi, je vieillis. On me dit maintenant que je suis encore jeune. Il y a un ou deux ans seulement, il n'y avait pas d'encore. La nostalgie à venir rajoute à la beauté du moment. Nous repartons par l'autre côté, celui qui n'a pas de stand de tir à l'arc ni de chalet à gâteau cheminée, c'est le calme, une journée de printemps paisible. Nous attendons à peine l'autobus avec trois mamies.

À quelques heures du départ, il nous reste deux envies sur notre check-list. Pour Mum : trouver une couronne de Pâques comme elle en a vu quelque part dans Pest le premier jour. Impossible, évidemment, de se souvenir où. Elle a presque renoncé lorsque, bingo, une boutique de déco-fleuriste : fleurs, petits œufs de Pâques et mini-pompons blancs comme des queues de lapin trôneront sur la table pour le repas de Pâques.

L'autre envie à check-lister porte le nom de mon arrière-grand-mère : c'est un salon de thé juif que le guide mentionne pour ses flödni. La devanture austère nous exalte à cause de son nom, mais nous ne nous attardons pas à l'intérieur - simple achat de pâtisserie que, par trop-plein de sucre, nous mangerons dans l'avion (mon arrière-grand-mère peut être fière de l'usage de son nom ; c'est très bon). Alors que je me demande, dans les rues adjacentes du quartier juif, si ce nom à consonance allemande nous apparente de quelques manière que ce soit à une certaine judéité, j'apprends que j'ai dans mes ancêtres pas si ancestraux des orthodoxes pratiquants. On ne sait jamais d'où l'on vient.

Ni où l'on va. Nous avons épuisé notre liste avant le temps imparti, sans qu'il en reste assez pour se lancer dans de nouvelles aventures. Nous nous promenons encore un peu dans Pest, sans trop nous éloigner, en essayant d'emprunter des rues par lesquelles nous ne nous serions pas encore passées. Une ou deux découvertes (notamment l'académie Liszt, au hall d'entrée plus que richement décoré, monceau vert de cabochons et d'art déco), mais pour l'essentiel, nous succombons à la force d'attraction des mêmes axes de circulation. Le soleil s'est un peu voilé ; c'est avec des regrets amoindris que nous regagnions l'hôtel. Le car, l'aéroport trop tôt, l'avion en retard, Sollers insupportable que je lis le plus vite possible dans le bruit des réacteurs. Mum me dépose chez moi un peu avant minuit ; les princesses vont devoir se lever pour retourner bosser.

08 avril 2017

Budapest, approche gourmande

 

Infographie gâteaux hongrois

 

Last but not least : le miam, messieurs dames. Peut-on goûter une ville sans goûter ses spécialités ?

Je m'attendais à une nourriture très roborative, mais le bobo a manifestement fait son œuvre (visible dans les nombreux coffee shops design de la ville) et j'ai déniché dès le premier soir un restaurant qui proposait du poisson au quinoa. La viande ne me dit plus rien depuis des mois, aussi n'ai-je pas goûté le goulasch. Je veux bien croire pourtant que les Hongrois s'illustrent dans la catégorie des plats flottants, car j'ai mangé la meilleure soupe au potiron de ma vie - enfin pas une soupe : un consommé de potiron, parfumé d'herbes, avec un filet d'huile d'olive, un soupçon de paprika et des pignons de pins en guise de croûtons. J'aurais volontiers échangé le plat qui suivait avec le reste de la marmite !

Voilà pour le salé : ma découverte gustative de la ville est essentiellement passée par le sucré… étrangement peu riche en sucre. En témoigne cette étonnante coupe glacée à la butternut et aux graines de courge, qui a fait un excellent dîner :

 

 

Les pâtisseries qui, de visu, m'ont rappelé les Nuss-et-autres-torte berlinoises, se sont révélée en bouche beaucoup moins crémeuses que leurs homologues allemandes. La Dobos torte (ou torta, en hongrois) serait même plutôt légère… et partant, un peu insipide, il faut bien l'avouer.

 

 

Cette déconvenue-découverte a réveillée ma curiosité pour le krémes, gâteau de crème vanille dont les photos dans le guide me dégoûtaient pourtant vaguement. Alléchée par la crème de marron que le Duna Park y a ajouté dans une version surplombée de chantilly plutôt que de pâtes feuilletée, j'ai tenté. Surprise : la crème de marron n'est vraiment, vraiment pas terrible, mais la crème vanille est incroyablement légère, presque une mousse ; cela s'avale comme un rien. C'est-à-dire si l'on n'a pas déjà mangé d'autres pâtisseries. Après la moitié de Dobos torte et de flödni, finir le krémes me fait sentir tel le sumo accomplissant sa tâche sacrée. J'ai tout avalé et me suis beaucoup amusée de ce cube bloblotant, un vrai gâteau de dessin animé.

 

 

(Après mûre réflexion, je pense qu'il s'agissait davantage d'un bouing-bouing que d'un douing-douing. J'attends confirmation de Klari, doublement qualifiée en la matière de spécialiste onomatopéique ET hongroise.)

 

Tout cela est bien et beau, mais dans cette orgie de trois pâtisseries au Duna Park, le gâteau qui a remporté tous nos suffrages (Mum et moi, je ne parle pas encore au nous de majesté) est le flödni, pâtisserie juive hongroise si j'ai bien compris. Contrairement à la très chic Dobos torte, les couches ne sont pas là pour en mettre plein la vue : c'est plein de saveurs différentes pour les papilles… et bien étouffe-chrétien comme j'aime. Nous en avons re-goûté chez Fröhlich : la couche de noix manquait un peu de texture, mais celle de pavot était plus fine et moins brique-qui-vous-tombe-dans-l'estomac. J'ai en effet découvert que le pavot, spécialité locale comme la cannelle peut l'être aux États-Unis, n'est pas de tout repos digestif (je comprends mieux pourquoi le sandwich gruyère-crudité de la boulangerie près du boulot me cale si bien ; moins pour la garniture, paradoxalement, que pour les graines sur le pain).

 

 

Pavot aussi pour mon premier rétes, que l'on rencontre en anglais sous le nom de strudel mais qui diffère de son homonyme viennois : non seulement il peut être fourré à bien d'autres choses qu'à la pomme (pavot, noix, abricot, griottes, griotte-pavot, cottage cheese, cottage cheese-abricot…), mais la pâte est beaucoup plus fine. La guide de Buda nous expliquait que cette finesse est longue à obtenir - tant et si bien qu'en hongrois, pour dire que quelque chose prend du temps, on dit que c'est long comme un strudel.

 

 

Bis repetita placent. Nous avons racheté des rétes au grand marche des halles. Le pomme-cannelle était bon, ainsi que l'on pouvait s'y attendre, mais le cottage-cheese-abricot, ça alors, j'ai mordu dedans et je me suis retrouvée à Sanary, sur le port à l'époque des chichis. Le mélange huile-fleur-d'oranger-en-petite-quantité m'a transportée avant même que j'ai pu l'identifier.

 

 

Pour finir ce marathon gustatif, il fallait goûter au chimney cake (en anglais pour le plaisir Mary Poppins associé), déniché dans un chalet forain sur le toit de Budapest (le mont Géllert, avec la statue de la libération). C'est croustillant à l'intérieur, moelleux à l'intérieur…

 

 

… et encore une fois, très ludique.

 

 

Vous voyez mieux Budapest ?