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18 juin 2011

Oui, chef !

Russlan et Ludmilla, de Glinka

Six minutes, c'est assez pour apprécier mais trop peu pour s'en souvenir. Une ouverture enlevée. Comme la baguette du chef. J'avais déjà vu des éventails échapper des mains dans Don Quichotte mais encore jamais de baguette. C'est le genre d'incident qui instaure connivence et bonne humeur. Il faudra attendre les saluts pour que l'altiste solo fasse de la pêche à la baguette avec son archet, assumant le rôle de l'acolyte complice. Dans l'intervalle, Kazuki Yamada ne s'en formalise pas plus que ça et le spectacle continue ; on dirait qu'il danse sur son petit carré d'estrade – pour une fois débarrassée de sa rambarde dont la plupart des chefs se servent comme d'un déambulateur aux saluts.

 

Concerto pour piano en ré bémol majeur, de Khatchaturian

Khatchaturian, à part un chat persan, cela m'évoque l'ouverture (qu'on aurait voulue) en grande pompe du premier spectacle de danse de notre compagnie. Il faut dire que ce n'est pas de la musique qui se sirote en prenant un air inspiré et mélancolique (à ne pas confondre avec l'air ennuyé et constipé, imitation ratée de la mélancolie attitude), c'est plutôt fracassant : à la fois fin, puissant et rutilant – comme un tableau très cuivré de Klimt. Seule fausse note : l'énorme pendentif et la boucle de ceinture pailletés du pianiste, vulgarité vestimentaire totalement incongrue en regard du bon goût musical. En bis, pas de Claude François, mais un prélude pathétique de Shura Cherkassky, qui fait une belle transition avec la symphonie également pathétique de Tchaïkovsky.

 

Symphonie n° 6, de Tchaïkovsky

Les carottes râpées rendent aimable, dit-on. Cela ne se vérifie pas forcément dans mon cas mais elles m'ont quand même rendue aimable cette deuxième partie de soirée. J'apprécie beaucoup plus les symphonies maintenant que je dîne – et non goûte – avant le concert. Quand j'arrive à Pleyel, je monte droit vers le comptoir où la part de moelleux au chocolat coûte le prix de ma place et dépite le barman en m'installant dans mon coin pour pique-niquer – éventuellement faire un brin de causette comme hier où, ayant laissé la préséance aux macarons et aux flûtes de champagne (et par conséquence aux mamies qui les portaient), je me suis retrouvée assise sur les marches à côté d'un gros beauf qui s'est avéré être gros, certes, mais un Brésilien professeur de portugais langue étrangère, également professeur d'anglais, qui m'a entretenue dans un français parfait de son enthousiasme pour l'opéra à Berlin, dont il revenait.

Mais revenons nous aussi à notre symphonie. Pathétique. Empathique, plutôt. Je ne sais pas si c'est de l'avoir déjà entendue, mais j'ai pu l'écouter sans penser à rien d'autre pendant de longues plages. C'est un peu comme d'emprunter à nouveau un itinéraire par lequel on vous a déjà conduit : vous seriez incapable de retrouver votre chemin mélodique tout seul, mais les alentours ont un air familier tandis que vous les traversez. C'est reposant tout en restant très vivant. Tout comme le chef, Kazuki Yamada, qui concentre une énergie incroyable dans des gestes assez ramassés. Il est campé sur son estrade comme le voyageur de Friedrich sur son rocher ; jambes frémissantes. Même son dos est fascinant : la tension de sa veste en plis tantôt verticaux tantôt horizontaux donne à voir la musique comme un sonagramme. En-dessous de deux petits yeux des boutons, la queue de pie ouvre sa trompe et s'adresse aux violonistes et aux altistes en alternance. Et si je regarde à nouveau le chef dans son entier, c'est une fourmiz que je vois danser devant moi.

Y'a pas à dire, il a la classe, avec sa queue de pie à deux boutons, les deux bandes grises s qui passent de part et de d'autre de la poche du pantalon et descendent le long de la jambe, et la grosse ceinture de soie bleu nuit que j'ai pris pour un avatar masculin du kimono lorsqu'il s'agit seulement d'une ceinture de smoking. Comme souvenir-photo, je le prendrais de trois quarts, la main rétractée paume ouverte vers son épaule, comme craintif de prendre la balle des violons au bond. Ou aux saluts : derrière son estrade, courbé pour que la vague d'applaudissement passe par-dessus lui à saute-mouton, il s'efface devant l'orchestre et c'est tout juste s'il ne percute pas un musicien en reculant. Mais c'est une sortie aussi délicate que l'assourdissement des contrebasses qui referment la symphonie comme elles l'ont entrouverte.

Compte-rendu de Palpatine ici

15 juin 2011

Vivre sa vie

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La première scène augurait bien : un couple discute au comptoir, sans se regarder, côte à côte, sans que le spectateur puisse les voir, de dos. C'est juste, on ne connaît jamais son propre visage lorsque l'on parle – sauf à se regarder dans un miroir mais l'héroïne n'y a droit qu'en vertu de sa vocation à devenir comédienne. Les acteurs nous tournent donc résolument le dos et ce surplus d'artifice, en nous éloignant des conventions, nous ramène un peu plus près du naturel. Même chose pour cette musique qui prend son élan romantique puis s'arrête abruptement pour nous projeter dans un réel brut, insignifiant, une rue avec des murs lézardés, un bruit de moteur qui ralentit en peu plus loin et celui des talons sur le trottoir. Cette musique enrayée me déroute dès le début, lorsque le générique s'affiche sur le profil gauche d'Anna Karina alias Nana, puis de face et enfin sur son profil droit ; pour un peu, on en aurait fait le tour. Curieusement, plus Godard s'attarde sur son personnage, moins celui-ci en est un. D'abord, Nana donne plus dans le roman zolien que dans Shakespeare en prostituant ses rêves d'actrice ; on la voit simple spectatrice au cinéma – le film en abyme, intégré au montage et non pris avec sa salle de projection comme cadre, me ramène à la mienne : je sors du film, un peu ennuyée, et je regarde Palpatine à la dérobée. On se voit rarement de profil dans un tête-à-tête, puis la scène est suffisamment lente pour ne pas diffuser un éclairage de stroboscope et, contrairement à la couleur, un peu verdâtre, le noir et blanc va bien au teint. J'apprécie davantage que Jeanne d'Arc. Heureusement, celle-ci meurt et nous retournons à notre personnage qui, disions-nous, en est de moins en moins un. De même que le modèle du portrait ovale d'Edgar Poe (lu à Nana par son amant non client) perd de ses couleurs à mesure que son mari la peint, Nana perd de son charme à mesure que le film se déroule. L'issue est la même, elle finit par en mourir, le cinéaste l'exécute rapidement en un tableau. Que pouvait-il faire aussi d'une personne dont la figure est la lapalissade ? Nana est une nana tout comme, nous dit-elle, une assiette est une assiette, un verre est un verre, un homme est un homme. Elle est à peu près aussi inspirée que dans sa discussion avec un Platon de comptoir (« Nana fait de la philosophie sans le savoir » nous autres hommes des cavernes cinématographiques sommes heureux d'être ainsi éclairés) : coquille vide. Et je ne suis pas bien persuadée que le film l'ait absorbée plus que moi ; en vérité, je ne m'écrirai pas que c'est la Vie elle-même.  

 

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07 juin 2011

A Clockwork Orange

You can't eat the orange and threw the peels away – a man is not a piece of fruit, protested some salesman not long before his death. 

C'est pourtant ce que fait Alex, le personnage d'Orange mécanique, qui tabasse qui n'a pas l'heur de lui plaire et viole qui lui plaît trop. J'ai cru que je ne tiendrais jamais le premier quart d'heure, prise du même dégoût qu'avaient suscité les premières pages de Voyage au bout de la nuit. Violent rejet. Mais tout comme on est forcé de rendre à Céline ce qui lui appartient, la glaire gloire de son style, on est obligé d'en reconnaître à Kubrick. Car ce qui est débectable, ce n'est pas tant la violence que sa gratuité : du pur spectacle. Sa mise en scène est virtuose – à vomir mais virtuose. Virtuose parce qu'à vomir. On massacre en bowler hat et chantant sous la pluie. J'ai du mal à concilier ces clowneries sadiques avec les pitreries réjouissantes qui sont pour moi attachées à la musique du Grand pas de deux parodique de Christan Spuck, tout frais de la semaine dernière. Et cela va de mal en pis, chaque tentative pour s'abstraire du spectacle nous y enlise davantage, comme lorsque Alex, « soigné » par a brave new world, est exhibé sur scène, en proie à la souffrance de ne pouvoir être tenté par le sexe ou la violence sans être terrassé par la nausée. Le spectateur, oppressé comme une vulgaire orange, n'y échappe pas : il est voyeur, et ne peut fermer les yeux, à l'instar Alex dont les paupières sont maintenues ouvertes par des crochets pendant le traitement – avec le prix de la place et la rangée de spectateurs à déranger dans le rôle des crochets. Si je n'avais pas été au cinéma, je n'aurais jamais pu voir ce film jusqu'au bout. J'ai d'ailleurs encore du mal à comprendre qu'on puisse s'infliger ça plusieurs fois. À moins qu'on s'y habitue, comme on s'habitue aux horreurs du journal télévisé, parce que cela finit par devenir un spectacle avec son présentateur-récitant, ses refrains de « véritable tragédie » et son pathos. Il faut alors que ce spectacle soit consciemment mis en scène par Kubrick pour qu'on en découvre à nouveau l'horreur, avec l'horreur d'entrevoir que ce n'est pas la violence qui nous est insupportable mais son spectacle. On n'est pas sorti de la colonie pénitentiaire. Ses murs ont juste été repeints, flashy.  

04 juin 2011

Des mikados et des billes

Les mikados, ce sont les longs scotch de toutes les couleurs jetés en travers de la scène pour Rain. La chorégraphie de Keersmeaker n'en joue pas particulièrement, mais c'est une parfaite métaphore pour ce que l'on en voit de loin : des danseurs-bâtonnets qui n'en finissent pas de rebondir. Battements et bras tendus devant, équilibre en quatrième, battement seconde pied flex, grand plié première grenouille... ça grouille dans tous les sens sans pour autant créer un pullulement à la Genus. Autant vous dire que ça m'émeut à peu près autant que les académiques de Cunningham, c'est-à-dire pas du tout. Je voudrais sentir des corps et je ne vois que des bâtonnets rose-gris-vert d'eau – très esthétique, je ne dis pas, tout comme la mise en scène, avec ses éclairages roses du tonnerre et de grands fils blanc comme les franges d'une lampe en demi-cercle tout autour de la scène, qui finissent par danser lorsque la dernière danseuse quitte le plateau en les égrainant. Peut-être est-ce un ballet qui s'apprécie de près : lorsqu'aux jumelles j'isole une danseuse, au hasard une Muriel-berlingot qui donne de l'épaule à un camarade, en enjambe un autre et s'amuse visiblement ou la petite blonde du Sacre qui décolle à plat ventre sur l'arabesque d'un partenaire éphémère, je loupe la moitié du spectacle, mais j'en apprécie au moins une partie. Je me rend compte donnant ces rares exemples que ce qui me manque le plus, ce sont les interactions : il y a des regards et des mouvements d'ensemble, mais les danseurs s'y trouvent plus juxtaposés que véritablement liés et les portés sont le plus souvent une manière de passer outre la rencontre en reposant loin de soi la danseuse. Mon plus grand souci, pendant l'heure passée à endurer des accords répétitifs au xylophone (pourtant, je peux réussir à trouver très entraînant des bruits de machine à écrire), a été de comprendre pourquoi les grands jetés avaient une curieuse allure : j'émets l'hypothèse qu'ils sont pris par battement tendu et non développé, mais je repère toujours les filles en l'air, jamais l'appel – ou alors, c'est ça, elles sautent sans élan. Alors que les danseurs luisants, à force de faire du footing entre deux sauts, sont pris d'une fatigue si belle, le mouvement perpétuel de la chorégraphie me lasse. Je ne crois pas que j'aime. Plic ploc flop.

 

Les billes, elles, se trouvent au fond au fond de mon thé glacé au fruit de la passion, comme si les graines noires du fruit avaient gonflé. J'oublie ma déception des mikados et je sirote cette boisson très amusante avec une grosse paille calibrée exactement pour que de temps à autre on aspire une petite boule noire, un peu gélatineuse, à mi-chemin entre le bonbon Haribo noir et la graine d'un fruit. Cette sarbacane à l'envers m'amuse follement. Et les boules m'intriguent. Je finis par demander au serveur ce dont il s'agit : du tapioca. Ni une ni deux, Palpatine dégaine son téléphone hochet et en un saut sur wikipédia, on apprend tout sur cette ludique bizarrerie. Vous aussi, allez vous esbaudir de ce qu'on ait écrit un article sur le thé aux perles. Si vous voulez goûter cette chose étrange venue d'ailleurs (Taïwan), avec une originale panna cotta au litchi et à la framboise (je n'ai pas osé le cheesecake au thé vert), c'est derrière la rue Sainte-Anne, 13 rue Chabanais. On peut aussi dîner mais sachez que les petites billes noires lestent l'estomac de manière inattendue, si bien qu'après on se sent un peu comme un gros pouf rempli de billes de polystyrène.

12:45 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : danse, garnier