11 avril 2011
Entrain-train
Ce matin, assise dans un de ces vieux train boîtes de sardine (carré, alu, anti-ergonomique, pas du tout sexy), j'ai compris pourquoi le train pouvait être fantasmé comme bête humaine et sexuelle. D'accord, c'est long et pénètre dans des tunnels par des trous noirs, mais surtout : le bruit des suspensions usées entre les wagons a tout du sommier grinçant où s'impriment de lents et lourds va-et-vient.
16:56 Publié dans D'autres chats à fouetter | Lien permanent | Commentaires (9)
10 avril 2011
After hours, ce n'est plus l'heure
After hours a fini par me taper sur le système nerveux mais trop tard pour que je n'attende pas tout de même la fin du film. Piège abscons à l'image duquel j'ai réussi à me pourrir le week-end toute seule comme une grande (looseuse). Demain, moi aussi, comme Paul, je me mettrai en face de mon écran d'ordinateur au boulot et je recommencerai une semaine sans réfléchir. Morale du film : dormir d'abord.
22:33 Publié dans La souris-verte orange | Lien permanent | Commentaires (2)
08 avril 2011
Le (Proko)fief de Walton, si(belius) !
Peut-être est-ce parce que je suis moins entrée que dessert, mais je trouve qu'on ne devrait jamais commencer un concert par les pièces courtes : à peine a-t-on entamé le mets qu'il est englouti, et avec lui ses arômes volatiles. Finlandia passe trop vite, au galop, comme Kullervo – ou, pour les balletomanes, comme la coda d'un Tchaïkovsky. Les brusques arrêts et reprises de l'incipit m'enthousiasment, créent un suspens qui déjà nous a précipités jusque vers la fin éclatante. On aurait gagné à respecter l'ordre alphabétique et faire passer Sibelius après Prokofiev. Sa symphonie n°5 est un excellent plat de résistance, consistant mais pas lourd, après lequel les pièces montées courtes se mangent sans faim : se dégustent.
Tant pis, je n'aurai pas gardé le meilleur pour la fin : c'est l’entremet qui réjouit le plus le palais, enfin l'oreille. La lecture du menu n'avance en rien à savoir ce qu'on trouvera dans l'assiette, je ne connais pas même le nom de William Walton (après, enfin avant, Benjamin Britten, William Walton : les Britanniques font dans l'assonance). Du moins n'est-ce pas un de ces noms ronflants dont les restaurants prétentieux affublent leurs plats. Ici, pas de « ah ! c(e n)'était (que) ça...», mais un « ah... ça ! », le morceau est de choix. Les ingrédients me restent assez mystérieux, pas de bœuf, mais de la viande forte en goût relevée enlevée d'une pincée de percutant. La forme du concerto permet de goûter le violon avec ou sans sauce orchestrale, dont on garde pourtant toujours la saveur en mémoire (ces vibrations en sourdine, dont on ne prend conscience que lorsque le chef les fait cesser...). C'est le chef Yoel Levi qui fait la tambouille dans son chaudron magique (comment voulez-vous qu'une souris ne pense pas à l'apprenti-sorcier lorsqu'on lui a désigné miss Disney ?).
Gil Shaham fait un drôle de serveur. On dirait un vagabond de luxe, l'air un peu penché (il n'a pas son violon sous le mention mais sous la joue), un peu fou avec ses mimiques et ses moues, surtout lorsqu'il se mord la lèvre supérieure. Il commence face au chef en élève bien sage, avant de divaguer puis de partager son autisme génial avec le premier violon, toi, mon frère, on se comprend. Sa tête est un peu rentrée par rapport à ses épaules, hautes et arrondies pour compenser sa position très cambrée – si cambrée que, lorsque ses genoux se plient brusquement en avant, on dirait que le coup d'archet est parti : c'est une tuerie. Cause ou conséquence, ce ralenti cinématographique prend place au milieu de curieuses images, d'un film que je me fais, course tzigane en pleine comédie musicale, plusieurs dizaines d'étages au-dessus des artères américaines. Je débloque joyeusement, c'est très ludique.
Si la soirée fut très à mon goût, il ne faut pas en déduire que ce fut un plaisir de tous les sens. Je ne parle pas de la vue, non – je me demande bien l'effet que cela peut faire d'être à la place de la partition du violoniste qui se situait à l’extrémité côté jardin, sous son regard perçant ; ce doit être terriblement excitant d'être ainsi déchiffrée. Pourtant, la vue n'est donc pas plus responsable que l'ouïe de ma déconcentration dans le dernier mouvement de la symphonie de Prokofiev. Alors quoi ? - l'odorat. L'affreuse climatisation a rabattu sur nous des vagues d'odeur... à ce niveau d'immondice, ce ne sont plus de vagues remous mais des lames. J'hésite entre d'improbables remontées d'égout via la clim et un vieux qui ne serait plus étanche (ceux d'à côté souffrent déjà d'incontinence verbale...) ; le nez de Palpatine, en cela fidèlement secondé par son inconscient, penche pour la pipe (le fumeur de). Je doute que l'odeur du tabac froid soit si nauséabonde, à moins d'imprégner des fringues sales elles-mêmes sur un corps qui n'a pas été lavé depuis au moins deux jours. Immonde. Après avoir amélioré et cumulé les techniques d'esquive (je tourne le dos à l'odeur, je mets le col de mon gilet sur mon nez, je le maintiens en me bouchant une narine) et tâché de conserver un équilibre entre « je m'asphyxie par la puanteur » et « je suffoque par manque d'air », nous avons abrégé les applaudissements avec les souffrances, et sommes sortis aspirer « à pleins poumons les bons gaz d'échappement ». Quand y'en a marre, y'a Bénabar.
22:18 | Lien permanent | Commentaires (0)
04 avril 2011
Le concert pour lequel il ne fallait pas de vagues nerfs.
Je vous déconseille de passer l'après-midi à corriger un dictionnaire de muséologie (ou autre) avant d'aller écouter du Wagner. D'abord, vous pensez que tout ira bien. Les martèlements du mal de tête finissant se fondent sans difficulté dans le brouhaha - savamment orchestré, je n'en doute pas- des trois pièces pour orchestre de Berg qui font l'ouverture, et excusent les analogies douteuses qui se présentent : chef-judoka qui fait dans le bonzaï, ou mains parallèles qui semblent évoquer le corps d'une femme bien gaullée, puis tout raturer, courbes de carton ondulé. À chaque fois que j'attrape une ligne musicale et que je la sens décoller, elle s'incurve comme un godet de moulin à eau et me rejette à la mer quelques mesures plus loin – je nage. Ce n'est peut-être pas pour moi, au-delà de l'état de mon cerveau imperméable comme un caillou. Il ne s'agit pas de la fatigue qui aimante les paupières vers le bas, mais de celle qui fait perdre toute malléabilité dans le maniement des pensées : comme un muscle courbaturé, le cerveau est contracté ; j'ai toute les peines du monde à l'infléchir pour qu'il fasse retour sur ce que je perçois pourtant avec acuité.
La réflexion qui fait jour-nuit-jour-nuit n'est vraiment pas recommandée pour suivre le déploiement de ces thèmes dans Tristan et Isolde. De surcroît, cela commence ex abrupto, directement par le deuxième acte ; une des deux chanteuses, qui tient à son rôle de comédienne, rentre avec un regard hagard ; il est curieux de la voir jouer au milieu de trois mètres carrés. Plus gênante est notre position excentrée, où l'on se refroidit un peu entre deux passages de l'arrosage automatique des voix.
Au bout d'un certain temps, l'alternance des thèmes de la nuit et du jour se fait pesante. Le système de polarité est inversé : c'est la nuit que les amants appellent de leurs vœux, non comme l'asile de la chair, mais comme le lieu de la dissolution et de l'éternité. Malgré l'apaisement qu'apporte cet oubli de soi, il me gêne car il est en même temps oubli de l'autre, l'autre dont on ne veut pas voir les contours trop violents en plein jour. Plutôt que de supporter un soleil trop brûlant, les amants préfèrent se consumer. Ils veulent la nuit, l'amour et la mort, la nuit de mort, la mort d'amour, comme si c'était la mort de l'amour, une mort chérie. À force de les voir choisir la mort car seule capable d'éterniser leur amour, on finit par les soupçonner de ne s'aimer que pour s'annuler dans l'éternité de ce qui n'est plus.
Leur fusion dégage certes une puissance qui n'a d'égal que la voix des chanteurs, mais elle est destructrice, et les appels de Brangäne, qui en soulignent la menace, loin d'être menaçant, sont un véritable soulagement par la clarté et la sérénité qui s'en dégagent. Une voix plus profonde que la nuit. À l'entendre, on voudrait aller vers l'amour charnel, simple et lumineux, qu'irradie Iris Vermillion, belle femme brune, qu'on imagine italienne sous sa robe de soie rouge, généreusement fendue. Servante autrefois ancilla, aujourd'hui affranchie. Mais les amants morbides persistent vers l'inexistence, jusqu'au malaise de l'auditeur. Wagner, paraît-il, pensait que, bien joué, son opéra devait tuer les spectateurs. Il m'a bien achevée, en tous cas.
Plus tard, à Palpatine :
- Mais ce n'est pas humain, Tristan et Isolde.
- C'est clair. Il faut une voix, tu n'imagines même pas. Isolde s'enchaîne quand même vingt minutes de musique non stop à un moment et...
- Non, je ne parle même pas des chanteurs... inhumains, c'est sûr. Non, je veux dire pour le spectateur. Un acte avant, un acte après, ce n'est juste pas possible. Je ne pourrais pas tenir, en tous cas.
22:24 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2)