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04 septembre 2009

Libre et ris

Il pleuvait en sortant du cinéma à Biarritz (cette seule phrase montre déjà le retard accumulée puisque je suis rentrée il y a une semaine et ne vous ai même pas encore parlé dudit film – c’est à venir ; en revanche, rien de particulier sur Biarritz, pour vous en consoler, aller voir par là), il me restait une demi-heure à tuer avant que le reste de la famille sorte de leur séance (on a fait salle à part – le Prophète ne me disait rien du tout – et à voir leurs visages plombés en ressortant, je me suis dit que ce n’était pas une mauvaise chose), et comme tout le monde sait que the pen is mighter than the sword, j’ai entrepris de flâner dans une librairie pour accomplir proprement ce meurtre. Un aperçu de carnets moleskines dans un coin papeterie et la pluie m’y ont gentiment poussée – amicale tape dans le dos.

 

 

L’étage du bas est encombré de monde et de dernières parutions pas spécialement engageantes, mais en avançant au fonds de la pièce, on croit voir une réserve, derrière un passage sans porte mais au chambranle arrondi qui supporte en guise d’enseigne quelques lettres ondoyantes tracées à la peinture noire.

Il faut se pencher un peu pour pénétrer dans cette caverne d’Ali baba, dont le seul sésame est d(e ne pas) avoir les yeux dans les(la) poche(s). Le bruit y est assourdi, et les quelques visiteurs qui ne peuvent pas circuler (c’est qu’il y a à voir) s’excusent silencieusement, s’effaçant autant que faire se peut en se collant à la rambarde de la coursive. On barbote très bien dans ce fonds de cale. Ce qui donne un air de familiarité à cette librairie où je n’avais pourtant jamais mis les pieds, c’est que les livres sont empilés horizontalement, comme cela finit ordinairement dans une étagère bourrée à craquer, où les poches sont déjà compressés en double rangée et où l’on comble les intervalles restant en en couchant d’autres par-dessus (l’épaisseur étant alors limitée par l’espace restant entre la rangée et la planche supérieure). Le genre de rangement que l’on déclare provisoire mais dont on s’accommode bien. Ce bordel organisé m’a d’abord fait penser que la réserve venait d’être transformée en espace poche, mais l’apparente négligence avec laquelle les livres étaient entassés lui donnait ce caractère intime et accueillant d’un lieu à peine dévoilé, encore un peu secret. La lecture des titres s’avère être facilitée par cette technique d’empilement : pas besoin d’incliner la tête pour être dans le sens de la lecture, ni d’aller au rayon anglophone pour s’éviter le torticolis en penchant la tête en sens inverse (il me semble avoir noté la même chose pour les dvd – comme quoi, il n’y a pas que sur la route qu’ils circulent à droite). On conserve la sensation de flânerie tout en pouvant aisément trouver quelque chose si on l’y cherche, puisque le classement est alphabétiquement rigoureux à l’intérieur de chacune des collections, bien distincte sur des étagères différentes – parfait pour des piles harmonieuses et éviter les Livres de poche (qui ont pour seul mérite d’être les initiateurs de l’objet éponyme).

 

 

A l’étage, le rangement est plus traditionnel, les grands formats se tiennent droits : c’est que chacun cherche à faire valoir sa singularité, qu’elle soit de largesse d’esprit, de hauteur critique ou de couleur annoncée. Ce qui attire, outre l’étagère des éditions Actes sud, c’est le canapé (qui affiche complet, alors même que l’on n’est pas vendredi, formidable journée où il semblerait que la maison offre le thé) et surtout la cabine, en plein milieu de la pièce, ou plutôt du pont supérieur, puisque le décor incite à filer la métaphore. Une cale-caverne, des flots de papiers où pêcher de bons livres frétillants, le silence grouillant de la mer : dans une petite libraire, c’est l’air du grand large, quand les grandes surfaces littéraires aux étals quelque peu aseptisés, attrapent toue le monde dans leurs filets, vendent leurs produits en gros, et ne se soucient pas beaucoup de la fraîcheur de l’arrivage (poissons serrés les uns contre les autres, parfois un scintillement, mais c’est une écaille qui s’est arrachée).

 

 

J’avais oublié ce que pouvait être une bonne librairie (en cause, leur raréfaction et l’attrait de l’étiquette jaune – phénomènes qui s’entretiennent, d’ailleurs). Face à la grande surface littéraire, où les livres sont vendus comme n’importe quel produit, elle est pourtant essentielle : alors que Gibert est parfait pour les achats compulsifs et les bibliographies, une bonne petite librairie permet de repartir avec une trouvaille qu’on n’était pas précisément venu chercher – solides provisions versus viennoiserie à déguster sur l’instant. Le premier pousse du côté des auteurs dont on connaît déjà une œuvre, qui offrent un point d’accroche au regard glissant sur l’impeccable alignement des couvertures brillantes sous les néons, tandis que la seconde invite à se laisser surprendre, le hasard pouvant prendre l’aspect d’un titre intriguant ou d’une couverture qui dépasse, de l’œil qui est arrêté par un ouvrage mis en valeur ou de la main qui fouille les titres escamotés. Le choix peut n’être pas immense, mais il a le mérite d’être fait : le premier coup d’œil à la librairie Louis XIV à Saint-jean de Luz m’a dépitée, mais la maigre sélection s’est avérée être de premier choix. On avait envie de tout, ou plutôt non, pas de ce tout qui entraîne l’indécision et se conclut par rien : envie de chaque livre pris singulièrement, tiré à soi, hors de la rangée, retourné d’un geste caressant, découvert par sa quatrième de couverture. On est pour ainsi dire dans la bibliothèque de quelqu’un, doté de goûts peut-être discutables mais particuliers. On pourra toujours objecter que la grande surface littéraire laisse au consommateur le choix de ses lectures, dans un éventail plus large que n’offrent les petites librairies. Mais l’éventail à nouveau se déploie, puisque le lecteur est libre de choisir l’une d’elles (ou de n’en choisir aucune et de papillonner à droite et à gauche) et la liberté y est encore plus grande de ce qu’elle ne flotte plus dans un environnement impersonnel et identique d’un magasin à l’autre d’une même franchise.

Et en toute incohérence, je continue à me faire débaucher par les étiquettes jaunes. Les occasions font le pardon.

 

01 septembre 2009

« C’est réjouissant de méchanceté »

S’était délecté le professeur de français en hypokhâgne, après nous avoir rapporté les propos truculents de Debussy (if memory serves) sur Wagner (de ça, je suis certaine). Il nous lisait parfois quelques extraits à la fin des cours, histoire de nous mettre en appétit –ce qu’il nous avait d’ailleurs très littéralement souhaité à midi une, après un passage de Mort à crédit où le dégueuli coulait à flots (curieusement, nous étions moins pressés d’arriver à la cantine tout d’un coup). Il ne faudrait pas que je me mette à introduire toutes mes notes par une anecdote de prépa, mais c’est précisément cet enthousiasme délétère et délecté que m’a immédiatement rappelé le dossier du numéro de l’été du Magazine littéraire.

 

Comme le suggère la couverture, se bouffer le nez peut avoir quelque chose de jouissif. Pour celui qui se déchaîne, bien sûr, mais aussi pour le bien peu stoïque spectateur qui prend un plaisir sadique à assister à l’étripage, sans risquer le masochisme ni la mauvaise conscience, puisqu’il peut sans risque, confortablement installé sur une falaise (suave mari magno) devant son poste de télévision, s’identifier superficiellement à la pauvre victime et condamner celui qui s’acharne sur elle. Cette analyse, très juste concernant les émissions de télé, qu’elle envisage, ne me semble pas pouvoir s’appliquer pleinement aux délicieuses haines d’écrivains, peut-être moins vides, malgré leurs allures de dispute de cour de récréation, que les ‘débats’ TV. Après tout, une dispute peut très bien être une discussion savante et celle-ci, récréative sans être puérile.

 

« Il y a des temps où l’on ne doit dispenser le mépris qu’avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux », assène Chateaubriand.* Alors que le mépris largement dispensé sur les plateaux télé s’éparpille et perd de sa force à vouloir tirer un bon mot, il ne perd rien de sa savoureuse puissance dans les duels entre littérateurs, pour qui tous les mots sont bons donc permis, et qui, par leurs attaques mêmes reconnaissent la valeur de leurs adversaires. L’indifférent ne serait pas insupportable, vrai ? Le lynchage auxquels certains se livrent ne dilapide jamais le texte : l’attaquant prend souvent l’homme et non son œuvre comme cible, comme s’il sentait qu’il ne peut rien sur le texte. Et même si l’un et l’autre devaient être indissociables, l’absence de transposition (qui déjà y confinait) se donne alors comme pure mauvaise foi, puisque vicieusement l’attaquant s’évertue à déclarer inaudible un style auquel il se rend sourd.


Si les piques des écrivains sont si réjouissantes, ce n’est pas seulement parce qu’ils savent manier les mots comme personne, mais parce qu’en artistes, ils ont le coup (d’œil) juste. Un direct, en somme. Qui cependant ne défigure pas vraiment l’adversaire ; plutôt une pique assez puissante pour l’embrocher et nous en faire apprécier la substance après l’avoir cuisiné. Lorsque Sainte-Bave ** s’acharne sur Hugo, on ne peut pas s’empêcher de reconnaître qu’il crache vise juste :

« Un écrivain de goût et modéré finirait admirablement plus d’un de ses paragraphes avec la phrase par laquelle Hugo commence les siens. Hugo dans l’expression, rencontre souvent ce qui est bien, ce qui est lumineux et éclatant, mais il part de là pour redoubler et pour pousser à l’exagéré, à l’éblouissant, à l’étonnant. Du Parthénon lui-même, il ne ferait que la première assise de sa Babel.

[…]

Le talent puissant de Hugo est devenu de jour en jours plus gros, pour ne pas dire grossier.

Victor Hugo :

Grossièreté. Malices cousues de câble blanc. »


Ce qu’il montre du doigt, c’est bien ce qu’il fallait d’abord toucher du doigt, i.e. la particularité stylistique, qui pour n’être pas nécessairement appréciée n’en fait pas moins la valeur propre à l’auteur. Toujours le détail qui (définit le) tu(e).


« Pour être méchant, il ne suffit pas de vouloir, il faut d’abord savoir faire mal »***, d’où que le plaisir à suivre ces combats de coqs à plume serait avant tout la joie de goûter leur intelligence. Ce qui n’empêche nullement d’être d’intelligence avec eux (on a souvent un favori entre ceux qui s’empoignent), encore qu’on puisse s’amuser tout autant, voire plus, lorsqu’on n’apprécie ni l’un ni l’autre, puisque, au plaisir d’entendre l’un se faire dire ses quatre vérités en rythme ternaire, s’ajoute celui de constater toute la mauvaise foi avec laquelle s’acharne l’attaquant. Les plus beaux combats sont entre adversaires de même talent. Que Saint-Simon ne s’inquiète pas trop sur le mal de sa méchanceté, l’intelligence peut faire feu de tout bois contre ceux qui sont simplement ‘bêtes et méchants’.

 


 

* Cette citation fait partie du florilège de pique, qu’on trouve dans Le Magazine littéraire, n°488, p.102. Elles sont inégales, certaines d’inconnus peu illustres, et tendent parfois vers la blague carambar du littéraire, mais ça ne m’a pas empêché, l’accumulation aidant, de m’étrangler d’un fou rire toute seule sur mon lit.

 

Quelques-unes pour la route :

« M. Rochefort, croyons-nous, souffre déjà d’une blessure qui ne cicatrise pas. C’est sa bouche. » Bierce

« La nature a horreur du Gide » Béraud

« Un cocktail, des Cocteau » Breton (c’est mignon tout plein, non ?)

« Dieu n’est pas romancier, M. Mauriac non plus. » Sartre, who else ?

« Zola – C’est un porc épique. » Barbey d’Aurevilly

«  Tant et tant d’arrivisme pour si peu d’arrivage » Dali sur Aragon

 

Où l’on voit le prestige des institutions :

« Maurice Ravel refuse la Légion d’honneur, mais toute sa musique l’accepte. Ce n’est pas tout de refuser la Légion d’honneur, encore faut-il ne pas l’avoir méritée. » Satie

« Quatre-vingts ans ! C’est l’âge de la puberté académique. » Claudel

 

Ma préférée : « Saint-John Perse, mais il a mis le temps » Je ne sais pas qui est Louis Scutenaire, mais c’est là que je me suis étranglée de rire. Peut-être qu’il était tard, ou peut-être est-ce d’avoir vainement tenté de percer un sens possible à ses poèmes.

 

Et spécialement pour le Vates : *misanthrope power* « S’il fallait connaître tous les gens avec lesquels on a été en classe, ou toux ceux avec lesquels on a été au régiment ! Pourquoi pas tous ceux avec lesquels on a été en omnibus ? » (Léautaud) ; *le sens de la pédagogie* « J’ai l’intention d’enseigner et, si ce n’est pas possible, je giflerai. »

 

** Je ne savais pas que Proust avait ainsi renommé Sainte-Beuve, mais ça rend sa langue vipérine plus savoureuse encore. Visiblement, la métaphore a du succès : pour Barbey d’Aurevilly, Sainte-Beuve est « ce crapaud qui voudrait tant être une vipère ». D’une manière générale, cracher sur les gens se révèle inspirant, comme pour Ionesco : (à une femme, lui parlant de sa fille) « Elle vous ressemble comme un crachat. » Le portrait est tiré, juré craché, il est ressemblant.

 

*** idem p.50