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24 février 2014

Ça fera quat'sous et mille mercis

Allez savoir pourquoi, malgré son titre, j'ai toujours pensé que l'Opéra de Quat'Sous était une pièce de théâtre. Il faut dire que je ne me suis jamais penchée sur le cas Brecht et que je n'avais jamais même entendu le nom de Kurt Weill. La suite pour orchestre de vents jouée par l'Orchestre de Paris a été une heureuse découverte : ces pages musicales se feuillettent comme un album photo numérique, où les clichés, entourés d'un cadre blanc crénelé comme un timbre géant, s'animent quand on les regarde, toujours en noir et blanc. Et pourtant, les extraits sont colorés (hop, un petit verre de vin rouge) et pleins de gouaille avec leurs fausses fanfares. De quat'sous. Drei Groschen. Threepenny. (C'est l'inflation en France ou on est juste Marseillais ?) Dès qu'on commence à être un peu trop à son aise, à confondre cuivres et zinc, la musique s'arrête et nous renvoie à la page du dernier cliché revisité, figé dans cet un-deux-trois soleil musical. Ce sera toute l'idée que je me fais de la distanciation brechtienne.

Ville morte oblige, le Concerto pour violon en ré majeur de Korngold dessine des toits devant moi (des toits d'illustration, à l'aquarelle et au pastel, avec quelques paillettes discrètes à l'occasion). Le survol de mouette majestueuse mène l'essentiel du concerto, qui finit cependant en courses et glissades ludiques de tuile en aiguille. Gil Shaham, antithèse du poète maudit avec son éternel sourire d'imbécile de génie heureux, chevauche encore mieux la mouette que Harry l'hypogriffe. Son aptitude au bonheur semble inégalable et la chaconne qu'il donne en bis donne envie de jouer à la marelle.

La Cendrillon de Prokofiev, je l'ai dans les pattes et, ce que je connais par cœur, mes oreilles l'entendent mieux. Surtout lorsqu'on voit les deux sœurs incarnées par deux violonistes, dont le second tente de prendre la place du premier (violon). Cucendron est un régal – à dandiner du cul sur son fauteuil. Et je ne suis pas la seule : sans même être emportés par une houle d'archers, les têtes et les bustes swinguent dans l'orchestre. Les bassons prennent des airs de saxophone alors qu'ils se font manches à air, tombant, tournant et se regonflant en même temps que le vent. Le chef, bien en train depuis l'Opéra de Quat'sous, danse carrément : le mouvement part des genoux, entraîne le bassin et finit dans la baguette. Bientôt, deux pépins de sueurs apparaissent entre ses omoplates : il a beau être haut comme trois pommes, sa direction est survitaminée. L'attention qu'il montre en traversant les rangées pour aller serrer la main de quasiment chaque pupitre achève de me le faire apprécier. James Gaffigan, on se reverra.

22 février 2014

L'art de la cavalcade

La veille du concert Chostakovitch du Mariinsky, Palpatine regardait à la télé un film où un Écossais menait le soulèvement de ses compatriotes face aux Anglais ; il fallait absolument que j'attende la scène de la bataille avant d'aller me coucher, sous prétexte que le héros s'y montre un stratège de génie. La manœuvre militaire ne m'a pas franchement ébahie mais il faut croire que j'étais bien dans l'ambiance car, le lendemain et le jour suivant, je n'ai entendu que cavalcades grandioses et chevauchées sarcastiques.

La Symphonie n° 12 rallie les cavaliers des quatre coins du monde (bon, d'accord, pas du monde, de l'Eurasie), depuis le montagnard qui abandonne son cheptel pour traverser les plaines jusqu'au gardien de phare qui accoure métaphoriquement sur ses white horses – toute affaire cessante, comme au signal d'une inaudible corne de brume. Les silhouettes des uns s'effacent et se superposent aux paysages des autres dans une grande chevauchée polyphonique.

Dans la Symphonie n° 8, ce ne sont plus des hommes qui cavalent mais des courants d'air ascendants qui s'infiltrent sous les toits, tournent autour des poutres, parcourent les charpentes, s'insinuent dans les moulins, les granges, peut-être même les maisons, plus ou moins vides, où il y a plus ou moins à épier. J'ai aussi l'image fugace d'un tourbillon de mouches mais je ne suis plus certaine qu'elle ait été convoquée par cette symphonie-là.

Dans la Symphonie n° 11, les cavaliers sont des guerriers – des hordes de guerriers, en bataillons trop bien ordonnés, qui défilent à perte de vue : ma caméra imaginaire est sans cesse obligée de revenir en arrière pour appréhender l'immensité des troupes et de la plaine qu'elles recouvrent, survolant comme un bombardier les rangées toujours nouvelles de cette interminable armée.

Et puis un intrus, le Concerto pour violon et orchestre n° 1, où ne cavalcade que l'archer de Vadim Repin. C'est virtuose mais un peu trop aigu pour mes oreilles après une journée de bourdonnement d'ordinateurs. (Je crois que je ne suis pas une inconditionnelle du violon.)

Rappel du premier épisode.

Alto ou tard

Cette grande fête de dix minutes, un carnaval ? Pourquoi pas. Je n'aurais pas apporté de masque mais j'ai volontiers participé à la sauterie de Dvořák en sautillant d'une fesse à l'autre.

Pendant que l'alto de Tabea Zimmermann tziganise avec Bartók (à moins que ce ne soit un effet de la robe, qui semblait être de la récup' de carrés Hermés plissés contrefaits), j'observe Christoph Eschenbach diriger. Le Voldemort de l'orchestre se livre à un magnifique duel : à chaque instant sur le point d'être gagné et débordé par la musique (la lumière rouge avance, touche presque sa baguette), il en reprend toujours le contrôle et la redirige (la lumière verte regagne du terrain).

Palpatine me prévient à l'entracte : Brahms, c'est de la meringue. Je m'attends à des arabesques d'apparence crémeuse dans tous les sens mais non : les notes s'évaporent avant même qu'on les ai goûtées. Ce sont les altos, eux-mêmes souvent oubliés entre les violons et les violoncelles, qui ont les plus beaux passages, de très beaux mouvements de l'âme, dont on se dit qu'ils seraient vraiment mis en valeur repris ailleurs, par quelqu'un d'autre, qui les organiserait différemment (oh wait, un compositeur). En l'état, Brahms a tout de la chantilly Dalloyau : une préparation qui rend délicieusement légères les pâtisseries qui l'incorporent mais relativement insipide en tant que telle. Je me fie donc aux gourmets mélomanes et à leur art de déguster, selon lequel, pour goûter Brahms, il faut somnoler.

11 février 2014

Peu de bruit pour quelque chose


Beatrice (Amy Acker) et Benedick (Alexis Denisof)

  

Joss Whedon, c'est le mec qui fait mentir Pascal : avec lui, le divertissement ne détourne pas de l'essentiel, il y conduit. Et il le fait aussi bien avec une série comme Buffy, que ses décors en carton-pâtes n'empêchent pas d'être étudiée à l'université, qu'avec un blockbuster où le sensationnel fait soudain sens ou encore avec... Shakespeare. Much Ado About Nothing, qui conserve non seulement le titre mais aussi le texte intégral de la pièce de Shakespeare, n'a rien à voir avec du théâtre filmé – sauf à se rappeler que All the world's a stage. Génialement mise en scène (avec trois bouts de ficelle), la comédie shakespearienne semble n'avoir jamais été que le scénario de ce film, qu'on n'arrive décidément pas à voir comme une adaptation tant le texte coule naturellement – on est scié, au générique, de découvrir que la BO a été composée par Joss Whedon à partir de sonnets du dramaturge-poète. L'écart entre la langue originale et le monde moderne se voit atténué par un noir et blanc intemporel du plus bel effet – Joss Whedon dira seulement de ce parti-pris que c'est pour que le film, tourné chez lui en une semaine, ait plus d'allure. Much Ado About Nothing est une fête (de l'esprit) à laquelle le réalisateur a convié ses amis. 

 

Hero (Jilian Morgese) et Claudio (Fran Kranz)

 

Du coup, pour le fan, le générique prend des allures de crossover.

 

Beatrice, l'anti-amour Winifred Burkle aka miss nez, le génie matheux d'Angel
Benedick, l'anti-mariage Wesley Wyndam-Pryce de Buffy et Angel
(mais plutôt Angel, il y est plus sexy)
Dogberry, le capitaine de police Mal, le capitaine de Serenity
Don John, le comploteur machiavélique Simon, le docteur de Serenity qui donne envie de jouer au docteur

 

 

Tragique et comique s'entendent comme larrons en foire, sous la forme de deux couples chaotiques : Don John se met en travers du mariage entre la douce Hero et l'aimable Claudio tandis que Beatrice et Benedick, faisant la sourde oreille à l'onomastique de leurs prénoms, sont trop agacés l'un par l'autre et trop fiers pour reconnaître leur mutuel penchant (alors que le spectateur sait bien qu'ils avaient déjà fini ensemble dans une vie antérieure, lorsqu'ils s'appelaient Fred et Wesley).

  

 

Piques spirituelles bien senties côtoient bouffonneries en tous genres, comme lorsque Benedict se jette à terre, façon roulé-boulé hors d'un train roulant à grande vitesse, pour épier la conversation qui lui apprend l'amour de Beatrice ou lorsqu'il se met soudain à faire des pompes au moment où elle vient le chercher pour passer à table.

 

Emma-Bates-Jillian-Morgese-and-Amy-Acker-in-Much-Ado-About-Nothing

Beatrice n'est pas en reste non plus, niveau gag...

 

 

Et puis, il y a les meilleures didascalies de tous les temps, lorsque Don John, Borachio et Conrade entrent en scène piscine comme des sous-marins, encerclant Claudio par surprise puis, s'éloignant en brasse, exeunt à la nage.

 

Mit Palpatine.