27 mai 2013
Une saison au théâtre de la Ville ?
Le public du théâtre de la Ville n'a pas grand-chose à voir avec celui des autres théâtres et on y croise bien peu de balletomanes quand le tiers de la programmation est étiqueté danse. C'est que ce théâtre est à la culture ce que Leader price est à l'alimentation : on y trouve le meilleur comme le pire, à des prix raisonnables. La tradition veut que l'on goûte avant de dire que l'on n'aime pas. Cependant, si vous voulez éviter de faire grincer votre siège en partant au milieu de la représentation (également une tradition du théâtre de la Ville), voilà quelques conseils profilés. Attention, le premier qui me parle du public au pluriel verra son adresse IP bannie de ce blog.
Pina Bausch :
♣ c'est un film en 3D.
♥ c'est Le Sacre du printemps.
♦ c'est 1980.
Jérôme Bel :
♦ vous avez particulièrement aimé Cédric Andrieux.
♣ ce nom vous dit quelque chose, ou peut-être pas.
♥ ce n'était pas le chorégraphe de Véronique Doisneau ?
Vous avez :
♣ une bonne vue, fût-elle corrigée.
♦ des lunettes.
♥ des jumelles.
La dernière pièce de théâtre que vous avez vue était :
♥ probablement un Molière ou un Racine.
♣ d'un auteur russe.
♦ politisée ou transdisciplinaire.
Le cirque :
♦ pourquoi pas au théâtre ?
♣ celui du Soleil a été une belle découverte.
♥ vous vous souvenez des contorsionnistes et des chevaux.
Millepied est :
♥ le futur directeur de l'Opéra de Paris.
♣le mari de Natalie Portman.
♦ le cadet de vos soucis.
Votre journal favori :
♦ est La Terrasse ou Télérama.
♣ est Slate.fr ou Rue 89.
♥ vient de disparaître.
Le Lac des cygnes est :
♣ de Tchaïkovsky.
♦ sujet à être revisité.
♥ inratable.
La bayadère est :
♣ un motif récurrent des magazines de déco.
♦ une figure indienne.
♥ un peu kitsch mais la descente des ombres, quoi.
Vous aimez dîner :
♦ avant le spectacle.
♣ à l'entracte.
♥ après le spectacle.
Votre brunch, vous l'aimez :
♥ organisé via doodle d'après une mailing list balletomaniaque.
♣ différent d'une fois sur l'autre.
♦ bio.
Vous repérez le côté cour et le côté jardin selon :
♦ les indications places paires et impaires dans le théâtre.
♥ le côté où commencent les diagonales et celui où elle finissent.
♣ que vous voyez ou non les mains du pianiste.
Un gala :
♣ est une occasion de découvrir des artistes qu'on n'a pas l'habitude de voir.
♦ ce n'est pas trop votre truc.
♥ vous mangerez des pâtes pendant tout le restant du mois s'il le faut mais vous y serez !
Vous avez un maximum de ♥ : cher balletomaniaque, je ne saurai que trop vous encourager à tenter la grande aventure du théâtre de la Ville mais, à vous plus qu'à d'autres encore, je me dois de recommander la plus grande prudence. Aussi rassurant soit-il, un nom connu n'est pas une garantie. Le Preljocaj du Funambule n'est pas celui du Parc, l'Anna Teresa de Keersmaecker de Garnier n'est pas forcément celle du théâtre de la Ville, pas plus qu'In the middle somewhat elevated ne vous garantie du WTF le plus total. L'Opéra agit comme un filtre : l'ôter peut être libératoire tout comme cela peut ruiner la poésie de la chose – le paysage médiocre sans filtre Instagram.
Le conseil de la souris : YouTube est votre meilleur ami. Mettez à profit les capacités acquises au cours des heures passées à dénicher des vidéos russes plus improbables les unes que les autres pour trouver des extraits des programmes proposés. En général, on se fait rapidement une idée. Trop lent, trop bavard, trop contemporain... vous finirez bien par trouver quelque chose qui soit assez étonnant pour retenir votre attention et pas trop bizarre au point de vous faire fuir. Bon courage et toutes mes condoléances pour la disparition de Danser.
Vous avez un maximum de ♦ : cher cultureux/théâtreux, vous êtes un lecteur assidu ou vous aimez les tests, parce que vous avez continué alors que vous êtes de toute évidence déjà abonné au théâtre de la Ville.
Le conseil de la souris, tout de même, pour que vous ne repartiez pas bredouille : méfiez-vous des « création de 2012 ». Probablement contaminé par la nouveauté publicitaire qui ne compte pas les mois passés en rayon, le théâtre de la Ville a conservé dans le programme 2013-2014 des créations de la saison en cours. Je vous épargne des rediffusions, ne me remerciez pas, profitez-en plutôt pour faire un tour dans un théâtre à l'italienne. Ou tester le resto à côté du Châtelet : la salade chèvre-miel-bacon et raisin vaut le détour et les desserts peuvent être surprenants (avouez que cela fait rêver, un douillet de meringue aux figues). Evitez cependant la mousse au chocolat si vous devez courrir à votre place juste après.
Vous avez autant de ♥ que de ♦ et aucun ♣ : vous avez un problème avec les maths mais allez quand même faire un tour du côté du Petit Rat, elle a un profil similaire au vôtre.
Vous avez un maximum de ♣ : vous êtes anormalement sain pour traîner sur ce blog sans appartenir à l'une des deux catégories précédentes. Je vous soupçonne donc d'être un mélomane s'étant abrité derrière les questions orientées danse pour ne pas révéler sa nature de mélomaniaque. Aussi discret que vous, l'abonnement spécial musique du théâtre de la Ville vous plaira peut-être. Avec de la musique indienne pour toi, Joël.
Vous n'êtes pas un mélomaniaque ? Vous n'êtes pas Aymeric non plus ? Vous n'êtes ni un spam, ni un provincial, ni un membre de ma famille ? Laissez-moi un commentaire, il faut qu'on aille se faire un ciné.
Le conseil de la souris : insaisissable et curieux comme vous semblez être, je ne vois pas trop ce que je pourrais faire pour vous niveau programmation. En revanche, je vous recommande de faire un tour à l'angle du Sarah Bernhardt : à partir de 20h, il n'est pas rare que les sandwiches soient soldés et, si tel n'est pas le cas, il y a toujours la crêpe à la crème de marron ou au Nutella.
21:18 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tdv, danse
20 mai 2013
Elena, le cul entre deux chaises
Il y a deux legs des années 1980 qu'il vaut mieux oublier : les coupes de cheveux et les pièces de danse contemporaine. Quatre ans après 1980 vu par Pina Bausch, Anna Teresa de Keersmaeker créé Elena's aria, que ses tics de contempo rendent tout aussi peu enthousiasmant.
Une rangée de chaises
Commençons par interdire les chaises aux chorégraphes contemporains. Il n'y a que James Thierrée pour être assis et danser. Sans vouloir faire mon indécrottable classique, la danse c'est quand même mieux sur ses pieds. Assis, c'est la position du spectateur, pas du danseur. Il ne faut pas s'étonner ensuite que les spectateurs prennent acte de l'inversion des rôles et se lèvent à leur tour. Rien d'inhabituel à cela, le théâtre de la Ville doit avoir le plus fort taux de départ en cours de spectacle – une L1 art du spectacle vivant, en somme. Ce qui continue de m'étonner, en revanche, c'est que les gonds des fauteuils pliables ne soient pas huilés en conséquence.
De la lumière avec parcimonie
Un bobo cultureux n'en est pas vraiment un s'il n'a pas de lunettes. Réjouis-toi, toi qui souffre d'une excellente vue, l'ambiance a été conçue de manière à ce que tu doives forcer sur tes yeux : encore une saison de spectacles dans ce goût-là et tu arboreras à ton tour une monture, au choix, noire et carrée, petite et rouge, ronde et écaille de tortue. Parfait pour ne pas voir que cela n'a aucun sens, contrairement à Cesena, qui était imprégné du mystère de l'aube.
En robe et talons aiguilles
On a inventé le lycra mais non, il faut des robes sans stretch, qui plissent bien pour montrer qu'on n'a cessé de les remonter et que ce n'est pas si facile, que c'est même carrément épuisant, d'être une femme libérée. Soi-disant.
On croyait aussi s'être libéré des pointes en sortant du classique mais les contraintes, c'est un moteur artistique : tant pis si les équilibres sur talon font des mollets pois chiches. Tant pis si on a l'air d'une poule qui a envie de faire pipi en tournant accroupie, fesses en l'air, moulées dans la robe retroussée.
La parole
La date de création de la pièce et la tenue des interprètes ne sont pas les seuls éléments qui fassent penser à la danse théâtre de Pina Bausch. On y parle. Ou plus exactement, on y lit : des lettres adressés aux hommes, absents de la scène. Je ne sais pas trop ce qui est le plus (in)compréhensible, du français prononcé avec un fort accent ou de l'allemand – en allemand dans le texte, parce que tu n'as pas le profil théâtre de la Ville si tu n'as pas fait allemand LV1. LV2 à la rigueur : là, tu comprendras que la narratrice était jeune et que John était un gros bâtard menteur.
Le ventilateur
Non seulement le ventilateur fait des danseuses des filles dans le vent mais, en l'absence de musique, il permet aux spectateurs tuberculeux de tousser tout leur soûl sans effet d'écho. L'effet secondaire, c'est qu'au bout d'un temps d'attente, lorsque les cheveux sont rabattus sur une mine renfrognée, bras et jambes croisés, on a envie d'aller chercher la coiffeuse pour lui dire qu'il est temps d'arrêter la machine et d'enlever les bigoudis.
La vidéoprojection
Des images d'archives sont vidéoprojetées : des immeubles et des ponts dynamités implosent en nuages de poussière. Ce serait impressionnant si la toile n'était pas au format double raisin, perdue sur un côté de la scène et si les danseuses, déjà à terre, ne se mettaient pas elles aussi à s'effondrer. Un moment de groupe qui, ne serait-ce la redondance, est assez beau.
De la musique après toute chose
La musique remplit beaucoup trop l'espace. Alors d'accord pour quelques extraits d'opéra mais des vieux enregistrements avec des grésillements, alors, et diffusés en sourdine, pas plus audibles que des souvenirs.
Bis repetita placent
Russell Maliphant peut répéter le même mouvement pendant un quart d'heure : il hypnotise – au point que, lorsque la chorégraphie reprend ses droits, c'est à regret que l'on s'arrache de ce mouvement repris jusqu'à l'extase. Lorsque l'arrêt d'une répétition provoque un soulagement, c'est qu'elle n'est ni envoûtante, ni fascinante, ni stimulante. Seulement redondante.
Lentement mais bâillement
De nature, je suis plus une extraordinaire fouine bondissante qu'une souris passée à la tapette. Mais j'ai appris à me calmer à regarder : pour preuve de ma sagesse naissante, j'en viens à préférer les Émeraudes aux Rubis dans les Joyaux de Balanchine et, plus fou encore, j'ai réitéré avec joie l'expérience de la danse japonaise. Seulement la lenteur d'Amagatsu n'a rien à voir avec celle de Keersmeaker : là où les corps enduits de blanc, longuement préparés, transforment la moindre respiration en mouvement fascinant, les danseuses rendues banales par leur panoplie de femme se voient obligées de marquer une pause pour faire entrer dans la danse un geste plus ou moins quotidien. En poussant à bout cette logique, on en arriverait à ne plus danser pour signifier la danse – la fameuse non-danse, que Kundera aurait pu rajouter à ses paradoxes terminaux.
Ce n'est pas insupportable. Ce n'est pas mauvais. Juste, cela ne m'intéresse pas. Je préfère réessayer Rain, je préfère être fascinée par Cesena, je préfère sortir de cette impasse – une voie à explorer, sûrement, avant de continuer son chemin.
21:43 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, tdv, elena's aria
18 mai 2013
Empreintes d'un temps enfoui
Les hommes-galets
Anticipez le mouvement, vous suffoquerez d'immobilisme. Cherchez l'immobilité et tout se mettra en mouvement. Le tissu qui frémit de l'onde du mouvement, la cage thoracique qui s'étonne de respirer, l'érosion des hommes-galets sur scène, l'attention des spectateurs tout autour de vous. L'immobilité n'existe pas, on n'en appelle à elle que pour faire apparaître le mouvement, qui a toujours déjà commencé : lorsqu'on rentre dans la salle, la sable s'écoule déjà de deux sabliers, sur des plateaux qui font appel à un équilibre d'avant la justice, d'avant toute société. Umusuna ne nous emmène pas aux origines du monde mais danse le mystère du monde qui existe avant notre venue au monde, avant l'Histoire, avant les souvenirs. Un temps enfoui sous la parole, sous l'écriture, et dont la seule empreinte est le mouvement, le mouvement qui balaye l'immobilité où s'ancre le mythe des origines, comme les archéologues balaient à présent la poussière pour récupérer un fragment passé. Un pas devant l'autre, spectateur : Amagatsu nous a fait entrer dans la danse sans que l'on s'en aperçoive.
Les hommes amphibies
On est plongé dans ces « mémoires d'avant l'Histoire » comme dans le silence de la mer, bruissant et inaudible. Enfin muet, on peut être fasciné par les corps qui rampent comme des animaux qu'on ne connaîtrait pas encore, ou plus, étape enfouie entre la bactérie et le poisson ; par les fleurs ou plumes rouges surgies des oreilles comme un superbe parasite, exotique, sur un arbre ; par les cercles qui effacent peu à peu les traces des danseurs ayant rayonnés à partir d'un même point chacun dans sa direction, dans le sable vierge – l'origine réintégrée dans la course à petites foulée des planètes, tour à tour le centre les unes des autres.
Les hommes-planètes
Fasciné et inquiété par ces bouches noires et béantes, qui trouent des visages impassibles alors que le corps, baigné de lumière rouge, semble hurler, comme de l'acier en fusion.
Les hommes en fusion
Et ces mêmes corps, en groupe, flotter comme algues qui se déploient les unes après les autres. Et pendant tout ce non-temps, échappé d'aucun sablier, du sable coule au fond de la scène, ans s'arrêter, sans envahir la scène, coule, tombe comme s'élève la flamme. On s'abîme dans ce que l'on voit, dans ce que l'on ne voit plus, on s'oublie parfois mais on ne s'ennuie pas. Ou plus. Ou pas encore.
L'ombre de la main, de la main-serre
Mit Palpatine
Les photos sont pour la plupart issues du site de la Biennale de Lyon et le titre de ce billet est une traduction proposée par le programme.
15:28 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, tdv, amagatsu, sankai juku, umusuna
Retournement vs revirements
Effets secondaires commence par un homme qui sort de prison et dont on sent bien, par les propos qu'il tient à sa femme, qu'il pourrait à nouveau verser dans les malversations financières. Ce n'est pourtant pas autour de lui que se noue l'intrigue mais autour de sa femme, dépressive, qui fait une tentative de suicide. Nul malaise cependant pour le spectateur, car le film adopte rapidement une tournure satirique : pas une collègue de travail qui n'ait un bon plan antidépresseur ; tout le monde a ou a eu sa petite dépression ; les laboratoires pharmaceutiques n'hésitent pas à placarder leur publicité dans les couloirs de la mort du métro ; quant aux psys, ils font leur marché noir auprès de ces grands groupes et se refilent les patients comme des stylos publicitaires, balançant tel ou tel traumatisme à prendre en compte entre deux portes.
Notre héroïne va de plus en plus mal, puis de mieux en mieux avec les cachets, puis de plus en plus bizarre avec ou sans. Jusqu'au moment où l'on arrive aux instants – proprement glaçants – qui précèdent la scène d'ouverture : filmée en silence, une traînée de sang court dans le couloir d'un appartement comme le marquage lumineux au sol dans la travée d'un avion, passant à côté d'un paquet de cadeaux et d'un voilier miniature. La femme qui tue son mari dans une crise de somnambulisme : le paroxysme de l'horreur est atteint, on peut couper là et envoyer le générique, le drame est complet. Sauf qu'on n'en est qu'à la moitié du film, qu'il de n'agit pas d'un drame et que le seul tremblement de terre que cela soulève dans le monde médical est la mise à l'écart de son psy, soupçonné d'être trop mauvais pour ne pas avoir vu venir la catastrophe.
Ce dernier se met lui-même à soupçonner sa patiente et on sent venir le retournement : la dépression ne serait qu'une couverture pour assassiner le mari. Vrai retournement : c'est le psy qui, totalement obsédé par cette mise en échec retentissante, devient fou et perds sa femme en même temps que la raison. La charge contre les industries pharmaceutiques est sans appel : les antidépresseurs rendent malades même ceux qui les prescrivent. Plutôt fort, ce délire. Sauf que ça n'en est peut-être pas un ; peut-être que si, en fait, mais peut-être bien que non, finalement. Effet secondaire : à force d'être tourné et retourné dans tous les sens, le retournement n'en est plus un – seulement un des nombreux revirements du scénario. Lequel n'arrive du coup pas à nous surprendre lors de la soit-disant révélation finale, simple hypothèse parmi d'autres, toutes étudiées une demi-heure durant.
Ce n'est pas mauvais, non, mais cela aurait pu être vraiment bon et ça ne l'est pas. Heureusement, il y a cette ironie anti-dépressive et de très bons (et beaux) acteurs qu'on ne se lasse pas de regarder, à défaut de scruter le visage de leurs personnages pour en deviner les secrets : Rooney Maria est une dépressive très sensible et Jude Law, un psy devant lequel on se mettrait volontiers à nu.
13:09 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, film, jude law, effets secondaires