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23 octobre 2009

Précieux et étincelants : de joyeux joyaux

Les Joyaux sont le premier ballet de Balanchine qu’il m’a été donné de voir, il y a quelques années, et j’y suis retournée hier en bonne compagnie (je vais peut-être poster le compte-rendu avant, si ce n’est pas dingue, ça !). Je ne sais pas si c’est parce que le ballet nécessite la réquisition d’une belle brochette constellation d’étoiles à déguster sur place, qu’il y a moins de monde à faire venir que pour un ballet traditionnel, ou si ce choix judicieux ne doit en fait qu’au hasard, mais la soirée s’est ouverte par le défilé de l’école et du ballet de l’Opéra de Paris, avec toute la pompe musicale et le pas cadencé que cela suppose. Il obéit à des règles solennelles : les danseuses, toutes en tutu plateau blanc, descendent d’abord la scène à partir du foyer de la danse, pour l’occasion ouvert en arrière-scène, depuis la sixième division (un rat lance l’offensive) jusqu’aux étoiles, en suivant les échelons de la compagnie ; puis viennent les danseurs, élèves et professionnels, en haut blanc et collants noirs, sauf les étoiles tout de blanc vêtus. Seule entorse au crescendo hiérarchique : les étoiles sont intercalées entre les rangs de danseurs, histoire de souligner que chacune est unique en son genre, et de ménager les slaves d’applaudissements, qui se révèlent la côte dont ils jouissent auprès des balletomaniaques. Comme l’a dit l’une d’elles, qui attendait pour des places de dernière minute et qui avait déjà vu le défilé, Emilie Cozette a pu sentir un froid. Ce n’est pas l’Antarctique non plus, même si cela ne peut évidemment pas rivaliser avec les applaudissements chaleureux adressés à Aurélie Dupont ou Nicolas Leriche. Il est assez amusant d’observer la disparité des morphologies et surtout des tailles lorsque toutes les étoiles se retrouvent en ligne.

Munie de mes jumelles, je n’ai eu aucun mal à repérer A., un garçon de mon cours de danse qui a rejoint Nanterre cette année comme stagiaire (heureusement qu’il était côté jardin). Sa mère disait dans les vestiaires que la perspective du défilé n’avait pas l’air de l’émouvoir plus que cela, mais malgré la belle prestance et le pas assuré (beaucoup plus chez les garçons que chez les petites filles, qui ne paraissent pas forcément très à l’aise), le sourire indiquait tout de même quelque timidité.

Après le défilé des têtes couronnées, on nous a proposé quelques parures à assortir (pas avec des tenues, mais avec des pays) : les émeraudes, les rubis et les diamants, qui renvoient respectivement à la France, aux Etats-Unis et à la Russie.

C’est amusant, alors que j’expliquais à la Bacchante que je ne connaissais rien à la musique et qu’elle me racontait qu’elle avait trouvé un moyen d’identifier l’origine géographique/culturelle d’une musique en l’associant à une couleur, j’avais tout de suite pensé à Joyaux, et le lui disant, elle s’est rendu compte l’avoir justement lu dans un dialogue du livre qu’elle avait entamé. Coïncidence qui peut prêter à sourire mais qui montre combien les correspondances synesthésiques, toutes personnelles et arbitraires qu’elles puissent être, sont un procédé bien ancré dans notre manière de lier les choses entre elles.

La trilogie des couleurs se retrouve au niveau des costumes, déclinés en tutus longs ou romantiques pour les émeraudes, sortes de bustiers à jupette courte pour les rubis, et tutus plateau pour les diamants – tous de Lacroix, magnifiques. Et pourtant, Dieu sait que je ne suis pas une fanatique de la paillette et du brillant ; mais là, tout scintille sans être clinquan.

Nous avons eu droit à une distribution de rêve, surtout pour les rubis et les diamants.

En émeraudes bien polies, dansaient Laëtitia Pujol et Clairemarie Osta ; en émeraude un peu lisse, Mathieu Ganio. La variation de Clairemarie Osta était très réussie pour la partie qu’il m’a été donnée de voir (loge de côté, un angle mort du côté cour, qui n’a posé de véritable problème que pour cette variation, puisque les solistes étaient assez centrés le reste du temps, et que l’on peut aisément reconstruire mentalement la symétrie escamotée). Laëtitia Pujol n’était pas mal non plus ; je l’ai en tous cas davantage appréciée que lorsque je l’avais vue dans le même rôle en 2002 – à moins que ce ne soit la chorégraphie, que j’ai trouvée beaucoup plus fine et ciselée que la dernière fois, où cette partie m’avait semblé un peu plate en comparaison des deux autres plus enlevées. A moins encore que ce ne soit la musique de Fauré. (Toute parfaite qu’elle soit en rubis, j’aimerais vraiment voir Aurélie Dupont dans les Emeraudes, elle serait capable de me les faire apprécier encore davantage).

Aurélie Dupont, Mathias Heymann et Marie-Agnès Gillot ont été tout feu tout flamme en rubis. Il faut dire que la chorégraphie, sur la musique de Stravinsky, s’y prête plutôt bien ; à tel point que Rubis est souvent donné indépendamment des autres pierres précieuses entre lesquelles il est serti, sous le nom de Capriccio (157 représentations, contre 75 pour le vert et 76 pour le blanc – je me demande si les Diamants seraient aussi beaux présentés bruts).

Marie-Agnès Gillot, qui domine bien d’une tête le corps de ballet féminin et qui paraît plus à son aise lorsqu’elle danse au milieu des hommes, avait quelque chose d’une splendide amazone, resplendissante dans son écrin de partenaires qui, la maintenant qui d’une jambe, qui d’une cheville, qui à la taille, la tournaient de tous côtés, comme le joailler oriente une pierre précieuse de manière à lui faire prendre la lumière et à multiplier les reflets qui en émanent. Cette espèce de pas de cinq n’est pas évidente, si l’on ne veut pas donner l’impression d’une manipulation chirurgicale et ne pas réveiller chez le spectateur le rêve pour la danseuse d’avoir un partenaire pour lui faire la grue et que ses jambes tiennent en l’air sans effort.

Aurélie Dupont était elle aussi parfaite, c’est peu de le dire. Ses équilibres lui permettent vraiment de jouer sur les terribles déhanchés de cette partie (avec la marche sur « pieds cassés » de Gillot, la chorégraphie en jette). Entre deux mimes de corde à sauter, elle paraissait en pleine complicité avec Mathias Heymann. Je ne l’avais jamais vu (en tous cas, pas en tant qu’étoile ou soliste), et suis tout à fait ravie de combler cette lacune. B#2 avait raison, il a un peu le ballon d’Emmanuel Thibault (c’est d’ailleurs lui que j’avais vu la première fois), patiné d’une élégance certaine. Pour que les sauts paraissent impressionnants alors que la vue en plongée a tendance à les écraser considérablement…

Bref, c’était terrible.

Après l’entracte et une tentative avortée de se replacer, on reprend place de pied ferme (oui, oui, au singulier, je me suis perchée sur le pied gauche –talonné- pour avoir une meilleure vue) pour la troisième et dernière partie, une rivière de diamants sur la musique de Tchaïkovsky. Plus de bras déliés et d’abandons romantiques, ni de déhanchés jazzy, le blanc n’est pas la couleur de la pureté pour rien. Du classique dans ce qu’il a de plus magistral, avec de belles lignes, qu’il s’agisse de celles parfaitement harmonisées du couple Agnès Letestu – José Martinez (the perfect cast), ou des alignements impeccables, quoique constamment ré-agencés du corps de ballet - qui pour une fois ne fait pas les potiches : ça défile, tourne et plonge (arabesque) sec. Une des filles du corps de ballet  (mais laquelle ? – il faudrait procéder par déduction, il ne me semble pas l’avoir vu dans les parties précédentes – ni dans d’autres ballets, d’ailleurs) est fascinante, son port de tête est d’une classe infinie, même lorsqu’elle ne danse pas et que les autres ont le charisme qui rabougrit le temps de reprendre leur souffle. Et puis, rien à faire, une pléiade de danseur qui pirouette d’un même élan, ça claque. Vous me direz, c’est souvent le but recherché à la fin d’un ballet – la tentation de l’apothéose, voilà tout (tant que c’est réussi, on en redemande).

On aurait bien imaginé continuer avec des saphirs en bonus, mais on ne déroge pas aisément à la sacro-sainte trinité.

Commentaires

Merci pour ton article (et tes commentaires à mes articles). Très sympa ton style très plaisant à lire. Je ne l'ai pas écrit mais moi j'ai trouvé le corps de ballet dans diamants un peu cata, bon à côté des deux diamants que sont Letestu et Martinez. Enfin surtout au début du coup j'ai pas remarqué cette jeune fille au port de tête... à surveiller donc!

Écrit par : Le petit rat | 27 octobre 2009

Cata ? trop endormie ou assez enthousiaste, cela ne m'a pas paru être le cas...

Écrit par : mimylasouris | 05 novembre 2009

Bonjour,
après avoir lu votre commentaire fort sympathique, je viens à mon tour explorer votre blog. Félicitations et peut-être se croisera-t-on sans le savoir dans les couloirs du Palais Garnier.

Écrit par : Laurencegallois | 06 novembre 2009

Les commentaires sont fermés.