16 août 2015
Vertige estival
Summer est présenté comme une romance lesbienne. Ce n'est pas faux, hein, mais c'est très réducteur. Sangaïlé, maigrichonne taciturne spécialisée dans les scarifications, rencontre Auste, pin up like plus portée sur les gâteaux et les séances photos farfelues1. Mal-être et fantaisie : exit la niaiserie. Sangaïlé couche d'ailleurs le premier soir avec un ami d'Auste et, quand on lui demande ce qu'elle se verrait bien faire plus tard, sa réponse laconique est : pute. Ça, c'est fait. On croirait entendre Isabelle (Marine Vacth) dans Jeune et Jolie et voir Charlie (Joséphine Japy) dans Respire – l'adolescence, en somme. De fait, on a moins à faire à une romance qu'à un film d'apprentissage, où l'alternance des gros plans et de plans aériens, presque sans entre-deux, dit, plus que les dialogues, réduits au minimum, la difficulté à s'inscrire dans le monde – un monde pourtant à fleur de peau, tout de lumières, caresses et sensations. Au lieu d'anesthésier le propos, le parti-pris très esthétisant de la réalisatrice lui permet de l'évoquer avec pudeur, le tout heureusement secoué par la thématique de l'aviation : l'aérodrome fournit à Auste un job de serveuse ; à Sangaïlé, matière à rêver ; et au film, une métaphore filée qui permet d'aborder avec légèreté les mouvements les plus graves de la psyché.
Sangaïlé a le vertige : un vertige qui lui fait décliner le vol acrobatique gagné par tirage au sort à la kermesse de l'aérodrome, et un vertige existentiel qui la fait monter sur le toit de l'immeuble d'Auste et éclater en sanglots à un mètre du parpaing. Car le vertige n'est pas la peur du vide : c'est la peur de se jeter dans le vide – une peur de soi-même, de ce qu'on serait capable de faire, ne se sentant pas capable du reste. Voler de ses propres ailes ou se jeter dans le vide ? La voltige aérienne, parfaite synthèse de ces aspirations contraires, exerce une fascination sans pareille sur Sangaïlé.
La présence d'Auste va aider Sangaïlé à reprendre le contrôle sur ce vertige : elles passent un deal sur le nombre de scarifications restantes autorisées (pour arriver à 7 sur chaque bras, le chiffre porte-bonheur tiré à la loterie) ; Auste met en scène les aspirations suicidaires de Sangaïlé pour mieux les mettre à distance, derrière l'objectif (j'y ai cru un instant, à cette lame de rasoir dans la baignoire) ; Sangaïlé adopte les guêtres à bras qu'Auste lui a inventées pour aller avec sa robe sur mesure, et finit par très concrètement surmonter ses peurs en escaladant les pylônes des lignes à hautes tensions (celles sous lesquelles elle a fait l'amour – Eros, Thanatos, tout ça).
Voler de ses propres ailes ou se jeter dans le vide ? Sangaïlé choisit de se jeter dans les bras d'Auste pour finalement voler des ses propres ailes (oui, bon, par synecdoque avec l'avion). Double bonus au passage : pour Palpatine, avec Sangaïlé en combinaison de vol, et pour moi, avec le rêve d'élévation revu par le prisme de la danse. Qu'est-ce que ça fait d'être en scène ? demande Sangaïlé après s'être attardée devant des photographies de sa mère en Giselle2. Le père tressaille un peu en entendant la réponse. Pas la peine de jouer la carte de l'indicible : la scène donne la sensation d'être plus intensément vivant qu'on ne l'a jamais été. Tout comme l'avion, ou Auste, pour Sangaïlé.
1 Auste a une araignée chaise au plafond de sa chambre – si mon appartement avait une plus grande hauteur sous plafond, je crois que je lui piquerais l'idée. En y repensant, les chambres participent de la caractérisation des deux filles : celle d'Auste ressemble à une caverne d'Ali Baba, pleine de peaux de bêtes, de matériel de couture et de bric-à-brac plus ou moins identifiable ; celle de Sangaïlé, au contraire, est presque vide et nue, en bois, sous les toits (cela semblerait irréaliste si ce n'était pas une maison de vacances). Cette note de bas de page peut, je pense, être attribuée à la lecture récente de Chez soi, une odyssée de l'espace domestique, de Mona Chollet.
2 Sauf à jouer la carte de la génération Claude Bessy, le physique de la mère n'est pas crédible un seul instant.
17:52 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma, summer, alanté kavaïté