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03 mars 2010

L'amante en chair et en mouvement

 

Aurélie Dupont.

Aimée par Manuel Legris dans la Dame aux camélias.

L'aimant dans le pas de deux du Parc, appuyée sur sa bouche. Tendue dans la détente de l'abandon.

 

Et aussi son fils et Jérémie Bélingard, mais ce n'est pas le propos. Entre l'élève et les adieux à la scène – de son compagnon de scène- Cédric Klapisch dresse le portrait de l'interprète, pas de l'étoile plantée au haut de la hiérarchie comme la décoration filante au sommet du sapin (pas de visite du palais, pas d'explications, pas de plans interminables sur les pieds, c'est sa bouche qui en dit le mal), ni de la femme danseuse (sa vie privée le demeure). C'est juste magnifique. Elle, est magnifique. Les chorégraphies sont à tomber par terre. Ils tombent d'ailleurs souvent par terre, parce que pour une fois, on les voit au travail. Pas à celui, mécanique et musculaire, de la barre : à celui de l'interprétation qui ne se surajoute pas à l'exécution technique, mais réside dans le moindre mouvement, même celui de se mettre correctement à genoux (humour de la gamine par terre, qui se rit de la danseuse à terre – déséquilibre ou épuisement- : « il a fait beaucoup de choses dans sa carrière, mais ça... »). Elle se frotte les mains dans l'angoisse de s'échapper à elle-même, de ne pas maîtriser le parcours de l'intention dans son corps. Une courte scène d'une répétition du Lac, on lui fait remarquer qu'elle ne repousse pas son partenaire ; en effet, « Je ne l'ai pas fait, je ne savais pas si je le repousse » (et non pas « si je dois le repousser ») : elle sait ce qu'elle fait, ce qu'elle fait est pétri de sagesse.

 

C'est juste magnifique. Elle est magnifique. Les chorégraphies le sont aussi. C'est superbement filmé. D'une façon si juste, qu'elle déborde du cadre, prend la clé du hors-champ. Pas de gros plans sur des piétinements pour se hausser de quelques centimètres vers le haut. Lorsque les pieds sont filmés, c'est dans l'immobilité de l'équilibre, piédestal éphémère. La caméra remonte toujours, à la source du mouvement, dans l'intelligence de sa naissance, de l'émotion, vers son visage à partir duquel ses mouvements irradient et vers lequel toute sa danse converge, se ramasse et nous ramène. C'est la main et le doigt retenus dans Raymonda. C'est l'étreinte du corps de Legris dans le Parc. C'est l'absence qui la décompose dans la Dame aux camélias, et qui la fait s'évanouir hors du cadre à la fin du documentaire.

 

Au lieu de lever de grands yeux admiratifs devant l'étoile, Cédric Klapisch prend de la hauteur, embrasse depuis les cintres des corps déjà en prise l'un à l'autre et qui échappent au saisissement, il parvient à toucher ceux qui nous touchent, à rendre sensible la chair sous la main qui caresse en le cambrant le buste de l'autre, réconcilie l'abandon et la prise, et dépose le couple sur le lit de la scène – où meurent les personnages et où se délimitent les artistes. On ne nous entraîne pas dans les coulisses, on nous laisse observer depuis les coulisses, là où l'interprète se fait dans la fusion du personnage et de celui qui l'incarne. Qui ils sont ailleurs, ou après, c'est leur affaire, leur inquiétude. Hors temps. Ce qui nous importe, nous emporte, c'est le présent (qui n'exclut pas la durée de la maturation, de la recherche perpétuelle), le présent de la présence, de la densité et de l'intensité. Incarné, un instant dans l'espace. L'espace d'un instant. Dimension de l'espace où l'on évolue, portée du geste. Cela donne juste superbement envie. De danser, de sentir, de recommencer, de ressentir, de s'attacher, de caresser, de vivre, de désirer. Envie.

Auréliiiiiiiiiie.