20 février 2016
Songe de brise, songe fiévreux
Pneuma : souffle ou esprit aérien auquel, dans l’antiquité, certains médecins attribuaient la cause de la vie, et, par suite, des maladies (d'après Wikipédia).
Jeudi après-midi, fièvre et frissons, je préviens Melendili que je ne serai probablement pas en état d'aller au spectacle le soir et, vu qu'elle a récupéré tardivement la place de Palpatine et qu'elle est un peu crevée, je lui vends de refiler les places à Mum et son amie-qui-kiffe-Carolyn-Carlson. Sauf que Mum s'avère injoignable et qu'il n'est plus temps ensuite de courir à Paris pour Melendili. En sortant de chez le médecin (qui me confirme que c'est une grippe), je me dis que je vais *juste* passer devant le théâtre pour essayer de revendre les places – après tout, la ligne 6 est directe jusque chez moi.
C'est toujours la même histoire : une fois que le Doliprane fait effet, j'ai l'impression de péter le feu. Petite, lors de l'une de mes innombrables angines, j'avais supplié pour qu'on m'emmène à la danse, *juste* pour regarder et ne pas prendre de retard dans l'apprentissage de la chorégraphie. À l'heure dite, le Doliprane ayant fait effet, j'avais oublié que j'étais là en observatrice et shaké mon booty – pour ensuite prendre un bon sermon plein de staphylocoques…
20 ans plus tard, je passe à Chaillot *juste* pour essayer de revendre mes places. Une jeune fille brandit déjà une place à bout de bras, mais je suis confiante : couples ou amis, les gens en cherchent souvent deux d'un coup. Je dégaine mes billets et, voyant cela, la meuf déplie un éventail de QUATRE places, genre tu peux pas test. Ouais, mais moi je suis plus proche du métro, d'abord. On n'a pas l'air connes, toutes les deux : il y a zéro acheteur. JoPrincesse arrive ; j'achète une crêpe au Nutella et ce qui devait arriver arriva, sur le mode : maintenant que je suis là, autant entrer non ? Je vais *juste* m'asseoir et regarder, ce n'est pas fatigant.
Évidemment, je n'ai pas pu m'en empêcher ; évidemment, je n'aurais pas du : après avoir passé la première partie du spectacle dans une vague culpabilité envers Melendili, la fièvre est remontée et les frissons sont revenus, au point que je me suis demandé si mes tremblements n'allaient pas gêner mon voisin de derrière. Dans ma tête, Melendili penchait la tête : « Je ne vais pas te dire que je te l'avais bien dit, mais… *soupir*. » Le parfaite incarnation de l'onomatopée tsk, tsk.
Quoiqu'étant restée jusqu'au bout (en priant pour que ça se termine vite – un comble pour un bon spectacle), je dois bien avouer ne pas avoir une très bonne d'ensemble de la soirée. Mais je peux vous en faire un compte-rendu fiévreux. Parce qu'il y a vraiment beaucoup de choses dans Pneuma…
… un ange noir avec de grandes ailes de corbeaux…
… la fée Clochette, s'il-vous-plaît, avec un chignon qui a pris le vent, une robe qui rappelle celle de la Folie dans Platée, des chaussures futuristes transparentes et un sceptre de bergère littéraire assorti, qui ressemble à une immense touillette à grenadine…
… des hommes en veste blanche allongé sur des rectangles de gazon, qui font remonter des images bauschiennes (pitié, pas un remake de 1980)…
… des mouvements migratoires de beaux gosses, qui traversent la scène en temps levés, sans bras, très Lucinda Childs spirit…
… des pantalons et des interactions fluides dignes de Trisha Brown…
… des traversées de portés sublimes, avec des développés au ralenti, qui semblent d'autant plus irréels que le déplacement du partenaire est relativement rapide – les danseuses flottent comme des chevaux de bois, des Pégases aquatiques…
… des calligraphies de chevelures – j'adore quand robes et cheveux se soulèvent délicatement sous la brise mécanique des hommes qui font de grande moulinets avec leur veste à bout de bras (j'imagine en revanche que tu as interdiction de te couper les cheveux 6 mois avant le spectacle)…
… des moments d'absence à robes noires, à compter le nombre d'heures écoulées depuis mon dernier Doliprane…
… trois tutus tortillant du cul, faisant ressembler les danseuses à d'adorables (et impayables) autruches Louis XIV…
… des derviches tourneurs tout blanc, à géométrie variable…
… des baudruches dégonflées et une dernière envolée…
… des robes agitées par les garçons-alizés, vagues hé dis…
… un arbre tiré par les cheveux branches, une lampe descendue du ciel et un bateau volant (comme dans Lady Blue !)…
… et une souris ratatinée sur son siège, qui est rentrée fissa se mettre au lit, pour découvrir, deux jours plus tard, qu'il y avait du Gaston Bachelard dans l'air, rêve du vol, poétique des ailes, chute de l'imaginaire, toutes choses aériennes par ailleurs.
Pneuma : une heure vingt de danse inspirée, après quoi l'on respire mieux.
22:46 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, carolyn carlson, chaillot, pneuma, ballet de l'opéra de bordeaux