26 avril 2015
Gouaille gutturale
La semaine dernière, l'Orchestre de Paris nous invitait dans le Berlin des années folles. Wilkommen und bienvenue, welcome... on se croirait dans Cabaret. Heidi, Christina, Mausi, Helga, Betty, Inge... und Ute, aurait-on envie d'ajouter, tant Ute Lemper, micro à la main1, se fond dans ce décor hollywoodien de bas-fonds berlinois. Sa voix gouailleuse nous emmène dans un road-trip américain où chaque ville représente l'un des sept péchés capitaux. Surprenamment, le livret de Bertolt Brecht ne dépeint pas les péchés comme une tentation à laquelle l'individu tantôt résiste tantôt cède, mais comme une ornière dans laquelle la société le prend et le fait déchoir. Cynisme et naïveté donnent ainsi au ballet de Kurt Weill un ton étrange, étrangement entraînant ; l'adhésion est aussi inéluctable qu'un sourire en coin. J'adore – et goûte la joie goguenarde des mots allemands qui roulent sous la langue comme un gros bonbon et claquent comme une bulle de chewing-gum.
La suite de l'Opéra de quat'sous me plaît toujours autant, et je découvre avec un égal bonheur l'ouverture de Nouvelles du jour, de Paul Hindemith, ainsi que la Suite dansante d'Eduard Künneke, qui n'usurpe pas son nom. À un moment, le chef, pied droit, épaule droite en avant, abaisse tête et baguette d'un coup, comme un danseur de rap abaisserait l'index. Pour un peu, je me serais attendue à ce qu'il croise les pieds, face volte-face dans un détourné de chaussures cirées, queue-de-pie planante, et finisse dans un éclair sur pointes, genoux pliés, main sur le chapeau qu'il n'a pas, avec un Ouh ! à la Mickaël Jackson.
C'est le genre de soirée que l'on aurait envie de faire continuer indéfiniment, quitte à tourner soi-même la manivelle de l'orgue de barbarie. Comme celui qu'il y a sur scène ne joue pas de manière mécanique, c'est avec plaisir que l'on accueille les prolongations d'Ute Lemper et Thomas Hengelbrock, décidément pas avares en bis !
1 Heureusement sinon, placée de côté derrière elle, je n'aurais rien entendu. Les deux basses et deux ténors qui l'accompagnaient, pas ou moins sonorisés, étaient par moments difficilement audibles, alors qu'ils avaient l'air d'envoyer sévère.
12:54 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, philharmonie, odp, orchestre de paris, kurt weill, künneke