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17 juillet 2015

Rohmer et Leibniz en Corée

Il m'en faudra plus pour retenir l'orthographe de Hong Sang-soo, mais deux de ses films suffisent à lister ses ingrédients : du saké, un parapluie, de la maladresse, des discussions qui prennent comme un feu de bois humide, le tout répété à l'envie. In another country rebootait régulièrement avec redistributions des rôles et glissements de situations à chaque fois que la scénariste en mal d'inspiration recommençait son brouillon. Dans Hill of freedom, Kwon, la femme que Mori était venu retrouver, éparpille les lettres qu'il lui a écrites en ne la trouvant pas ; les épisodes du film se suivent au hasard des feuilles ramassées.

Ah, la cliente d'à côté n'était pas encore repartie, tiens, Mori n'avait pas encore fait la connaissance du neveu de l'aubergiste, héhé, il ne se doutait pas à ce moment-là qu'il finirait dans le lit de la serveuse, Young-sun. On s'amuse d'indices mais, au final, la chronologie importe peu et les répétitions inclinent parfois même à penser qu'il s'agit de variations. On ne compte plus le nombre de fois où Mori rapporte son chien à la serveuse, ni celles où l'aubergiste coréenne se félicite de ce que les Japonais sont propres et polis. On ne cherche pas non plus à savoir où en est Mori de sa lecture ; son livre sur le temps est le plus souvent fermé – ça, c'est fait. Peu importe ce qui vient avant ou après – avant ou après quoi, d'ailleurs –, ce qui compte, c'est la sédimentation des instants – l'ambiance, l'atmosphère, si vous voulez, la vie, quoi.

Au final, tout ce qui se sera passé dans Hill of freedom, du nom du café où travaille Young-sun et où se succèdent Mori et Kwon, restera une parenthèse. Les sédiments passés (sous silence) sont plus conséquents ; l'amour ancien de Mori pour Kwon reprend son cours et il repart au Japon avec elle, dont on ne sait rien. On dirait ce Rohmer (mais lequel ?) où le héros repart à Paris avec la fille qu'il a laissée de côté tout l'été. Chez le maître des dialogues comme chez le maître des balbutiements-bégaiements, on ne fait pas de choix, ce sont eux qui s'imposent à nous1, en dépit des hasards qui, déjà, nous entraînaient ailleurs.

 

1 Incliné mais pas nécessité (la formule de Leibniz se rappelle à moi), on a le choix... de réaliser son destin. On se rappelle qu'on a le choix – on laisse intervenir le hasard, on a une aventure rien que pour ça – pour rester fidèle à soi-même.