Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23 décembre 2013

Les enfants perdus

À la file indienne, indienne, indienne, tous à la file indienne... Ce n'est pas parce que vous avez aimé le Disney ni même le roman de James Barrie, où chacun en prend pour son grade, que vous apprécierez le Peter Pan du Berliner Ensemble mis en scène par Robert Wilson.

L'arrivée, déjà, n'est pas de bon augure : Wilson a récidivé avec sa putain de rampe lumineuse en néon. Dans la fosse créée par le retrait des rangées où Palpatine et moi nous trouvions pour The Old Woman, un des musiciens arbore des lunettes de soleil ; même s'il a grave le groove, je ne suis pas entièrement certaine que cela soit uniquement pour une question de style.

En moins de deux minutes, on est reparti sur l'humour clownesque, qui ne m'a jamais fait rire. Les servantes Nana aboient, le temps passe. Lentement. Je dois avoir perdu mon « âme d'enfant », comme on dit. « Quand on est un enfant et que l'on sait encore à peine parler, on comprend parfaitement le langage des poules et des canards, des chiens et des chats. Ils parlent tout aussi clairement que père et mère. » Sur cette bonne parole d'Andersen, on présente donc un spectacle en allemand et anglais, surtitré en français (tu ne sais pas encore lire ? Draußen !) et en anglais (pas encore en 5e, pas d'anglais LV1 ? Go to hell.). Les lost boys ne sont donc pas seulement sur scène : dans la salle, les parents s'improvisent interprètes – la magie des paillettes ne fait pas tout. La poudre de fée de Clochette, en revanche... Je n'ai pas manifestement pas été arrosée mais ça avait l'air d'être de la bonne.

N'ayant aucun moyen de planer, je me suis retrouvée le cul entre deux chaises, entre le pays imaginaire du personnage et l'humour bien réel de l'auteur. Pareillement écartelées, les voix des comédiens ne cessent de dérailler vers le rire faussement enjoué. Cette mue de l'adulte qui fait l'enfant qui fait l'adulte ne laisse que peu d'instants de répits : on entend alors, trop brièvement, le timbre clair de Sabin Tambrea, aussi pur que ses traits. Ces derniers m'ont donné quelques idées pour faire grandir ce garçon qui sursaute dès qu'on l'effleure – idées qu'entretient manifestement aussi le capitaine crochet et qu'il dévoile dans une scène où, se demandant quoi faire de son ennemi, son unique ami, il s'avise de ce qu'il en ferait bien un homme. Ajoutez à cela le passage où Peter Pan annonce préférer l'aventure de la mort (une autre forme d'éternité) à celle de la vie, qui le forcerait à grandir, et celui où le capitaine crochet s'inquiète de ce que le réveil avalé par le crocodile s'arrête et sonne l'heure de sa mort : voilà pour l'interprétation ! Le reste n'est que littérature en chanson.

Et la jungle fait : boum, boum, boum ;
Et le crocodile fait : tic, tic, toc ;
Et la jungle fait : boum, boum, boum ;
Et le crocodile fait : tic, tic, toc ;

Et la souris fait : pff, pfff, pffff.

Ni les visuels de Wilson, ni les magnifiques costumes (regrets éternels de Palpatine d'avoir laissé passer une veste semblable au perfecto so gay and so sexy de Peter Pan), ni les cheveux orange des garçons perdus ne parviennent à faire oublier que le spectacle n'est ni drôle ni intelligent. Je vais finir par croire que Pelléas et Mélisande était un gros coup de bol, et compte sur Einstein on the Beach pour m'en détromper.

Heureusement que Noël est là avec ses guirlandes lumineuses pour m'assurer que je peux encore m'émerveiller d'un rien.