Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22 décembre 2012

Ballett am Rhein

Photo de Gert Weigelt
 

Les abonnés du théâtre de la Ville à fréquenter assidument l’Opéra n’étant pas très nombreux, le programme du Ballet am Rhein ne pouvait récolter que des critiques mitigées : Forellenquintett affiche une joie de vivre qui a dû suffoquer les spectateurs du théâtre de la Ville, habitués à une certaine austérité, tandis que les balletomanes, enthousiasmées à la perspective de découvrir cette troupe néoclassique, ont été plombées par le côté sombre et tortueux de Neither. Descendant presque aussi souvent à Châtelet qu’à Opéra, j’ai non seulement été très amusée de ce choc des cultures chorégraphiques, mais j’ai apprécié l’intégralité du spectacle. Avec une légère préférence pour la première pièce, tout de même – je veux croire que c’est parce que mon tempérament est davantage perméable à la fantaisie qu’à la dépression, même si c’est seulement parce que j’ai découvert Giselle bien avant Jan Fabre.

 

Forellenquintettfantaisie schubertienne et Libertines pour lutins, bouches rondes et poète saoul

Des rectangles très allongés strient la toile de fond comme des octets de passage – couleur bois : voilà pour la forêt. De drôles de bêtes s'y croisent, rencontres improbables entre un mignon morpion qui saute sur le dos de son partenaire, un lutin en académique vert, à aigrette rousse, qui lutine joyeusement et une nymphe trimballée par un satyre improvisé qui lui tire des mimiques impayables – bouche ronde muette comme une truite. Eau boueuse oblige, on enfile les bottes pointes au pied tandis qu'une paire en or descend des cintres, trophée comique pour pêche miraculeuse – soit un bonhomme imbibé que récupère sa partenaire outrée. Un poète, nous dit le programme : il fallait s'en douter lorsqu'il a claironné au maître de ces lieux « Un verre de Bordeaux ». Tout un poème, que les habitants de la forêt suivent à la lettre, tenue devant eux comme une carte aux trésors mystérieuse. Rien à déchiffrer, c'est l'esprit farceur qui anime amourettes et bizarreries, ne laissant pas une seconde de répit aux danseurs. Quoique un peu en avance sur la musique dans les premières minutes, ceux-ci sont comme des truites dans l'eau : pointes cassées, mouvement repris sur jambe pliée, portés de patinage artistique, vitesse des entrepas... ils échappent au regard qui tente de les immobiliser et le temps nous file entre les doigts.

Pour essayer de les attraper, jetez votre filet à 0'58.

 

Ni une ni deux, Neither

Photo de Gert Weigelt

Après les académiques bigarrés (et même pas moches – un exploit) de Forellenqunitett, place à des pantalons et tuniques fluides bleus et blancs. La clarté des tenues, en opposition directe avec la noirceur de la pièce, transforme les danseurs en une foule d'âmes errant dans un espace confiné – patients-fous-amants-fantômes – tous enfermés en eux-mêmes. Mouvements de mains comme si l'on essayait de se débarrasser de quelque chose de collant : Neither exprime pour moi cette humeur pégueuse où l'on ne peut se résoudre ni à une chose ni à son contraire, où l'absence de choix nous plonge dans la même angoisse que l'une et l'autre option, et nous laisse dans l'incapacité de faire un choix – ce qui prolonge d'autant plus notre désarroi.

Il n'y en a pas moins de la beauté, ne serait-ce que dans les corps étonnamment divers des danseurs : de toutes les nuances de blanc et de noir, des fesses charnues, des cuisses musclées, des visages mûrs, d'hommes et de femmes à la personnalité bien trempée. J'ai du mal à m'empêcher de chercher ceux qui me fascinent le plus, au détriment parfois de la chorégraphie. Mais cela fait tellement de bien, de voir des danseurs dont le caractère semble avoir au moins autant façonné les corps que le travail. Rien que pour cela, il faudrait inviter davantage les compagnies allemandes. On aurait enfin l'occasion d'apprécier cette danse néoclassique que l'on ne connaît que par vidéos, et encore bien mal. J'avais bien entendu parler d'Uwe Scholz, par exemple, mais jamais de Martin Schläpfer...  

Vu avec Palpatine, mais allez donc aussi lire Pink Lady, qui m'a bien fait rire.