09 décembre 2016
La Claire Chazal du violon
Non, mais c'est bien, il faut avoir entendu Anne-Sophie Mutter une fois dans sa vie.
…
Une fois.
21:17 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, violon, anne-sophie mutter, philharmonie, poulenc, saint-saëns, ravel, mozart, currier, lambert orkis
27 avril 2015
Cosmopolitisme new-yorkais
La Perse, la Russie, Vienne et le Bronx... le New York Philharmonic nous aura tout fait.
J'aime beaucoup Esa-Pekka Salonen à la direction ; il semblerait que cela soit également le cas à la composition. Pour son Nyx, j'ouvre grand les oreilles comme on ouvre grand les yeux dans le noir. A cause de l'homophonie avec le ptyx de Mallarmé, je me mets à imaginer un aboli bibelot d'inanité sonore posé dans le noir sur le manteau d'une cheminée ; la musique rôde autour, dans la pièce endormie, comme un chat qui se faufile entre des objets qu'il n'est pas censé côtoyer ; quelques notes dégringolent, patatra, et c'est la présence d'un escalier qui est révélée, au fond de la pièce, saturée de présence et d'obscurité au point qu'on se demande qui l'on aurait bien pu réveiller, qui n'aurait pas choisi de veiller pour entendre ce qui allait arriver.
La Shéhérazade de Joyce DiDonato ne m'aurait pas fait tenir 1001 nuits. Passée l' « Asie » initiale, sa diction devient du chinois – ou du persan, si vous préférez. J'ai beau m'être replacée au parterre en contrebande avec Palpatine (tout au fond, certes), sa voix me parvient mais ne me touche pas ; la découverte de cette mezzo-soprano aurait mérité une autre salle. À défaut d'avoir senti son grain de voix, j'aurai été témoin de sa générosité envers le public parisien, qu'elle salue d'un beau Morgen straussien en bis.
Après l'entracte, je me rassois à ma place usurpée et m'en fais déloger à la dernière seconde par son propriétaire légitime. C'est le jeu des chaises musicales : j'ai joué, j'ai perdu. Ce que j'ignorais, c'est que le propriétaire de la place n'était autre que Serendipity, lui-même délogé de celle qu'il avait occupée pour gagner quelques rangées. L'arroseur mélomane arrosé, l'ironie est assez savoureuse, il faut bien l'avouer. Après ces guignoleries qu'on avait bien cherchées, que dire des Valses nobles et sentimentales de Ravel ? Qu'elles sont aussi dansantes et qu'avec les fesses posées par terre sur l'escalier, ce n'était pas gagné ! (Avec ses mains papillon et ses pas de côté, le chef Alan Gilbert m'a rappelé les variations free movement1 de mes premières années de danse classique.)
À quelque chose malheur est bon : replacée en vitesse au huitième rang pendant le précipité, j'apprécie la suite du Chevalier à la rose comme je ne l'aurais pas pu derrière. Enfin, cela vibre ! La musique résonne en moi comme si j'étais la caisse des contrebasses auxquelles je fais face (le frisson lors de leur magnifique ploum ploum !). La musique de Strauss, cet opéra en particulier, m'émeut toujours autant. On croirait entendre le cœur de la Maréchale s'arrêter de battre puis, en l'absence de crise cardiaque, reprendre, entraîné par la valse qui bientôt se suspend à nouveau, la dissonance au bord des lèvres, et reprend inexorablement sa cadence. Étourdie et blessée par les amoureux, la Maréchale n'a plus qu'à s'effacer, dans une dégringolade répétée de vents, qui scintille encore du bonheur auquel elle a contribué et dont elle se voit privée.
La valse de l'acte I du Lac des cygnes est un délicieux bis à nous offrir. Non seulement la nostalgie de cette valse regorgeant de superbes regrets fait parfaitement écho à celle du Chevalier à la rose, mais le New York Philharmonic, jouant comme un seul homme, tourmenté à souhait, lui donne sa dimension tragique. Pas un instant la balletomane qui sommeille en moi ne regrette pas l'absence de ballet. Elle se met en revanche à danser lorsque l'orchestre américain offre sa spécialité et qu'un mini-jazzband cuivré commence à swinguer. On rit lorsque les musiciens se mettent à la queue-leu-leu et, lorsque le trombone a coulissé pour la dernière fois, on applaudit pour en redemander : le chef, mimant d'une main l'assiette dans laquelle l'autre vient chercher quelques bouchées puis délaissant la fourchette pour porter à sa bouche une main-gobelet, nous fait signe que c'est assez. J'espère qu'ils ont bien ripaillé après nous avoir régalé.
1 C'est une dénomination de la Royal Academy of dancing, entre le classical ballet et la character dance (§ Graded syllabus ; j'ai dû obtenir le grade 6 ou 7 avant d'entrer au conservatoire).
23:05 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, philharmonie, ravel, strauss, salonen
01 avril 2015
Paris – Dordogne – New-York
Sur la carte postale de l'Orchestre national de Lyon glissée dans le programme, on voit l'auditorium en enfilade avec deux collines (l'Auvergne et la Bourgogne), une rivière (l'Océan Atlantique) et, tout de suite, sur l'autre rive, une skyline légendée L.A., San Francisco, Detroit et N.Y.C. Voilà le programme en raccourci, sous l'égide d'Un Américain à Paris.
Mais d'abord, Samuel Barber, dont on nous présente la preuve qu'il n'a pas uniquement composé l'Adagio pour cordes. La Toccata festiva pour orgue et orchestre explose comme un vitrail dégoupillé, projetant ses pampilles de pupitres colorés et ses schrapnel d'orgue à l'éclat noir. Je m'attendrais presque à voir surgir de l'orchestre la main tambourinante du Frollo de Roland Petit, si la distance de l'île de la Cité à Boston n'était si audible.
Concerto en sol : les maillots rayés de Jérôme Robbins dansent quelques instants devant mes yeux, mais se dissipent vite sous les assauts de Stefano Bollani au piano, qu'on imaginerait plutôt au bar, une bière à la main, twistant du bassin et des genoux pour faire rire sa blonde. Catogan ébouriffé, jeans et chaussures de bowling : de dos, la ressemblance est frappante, on dirait... mon père ! Seule la chemise rose à motifs vient me rappeler que, non, mon paternel ne m'a pas caché une carrière de pianiste. Au milieu de l'orchestre en noir et blanc, tiré à quatre épingle, ça dépote ; ça swingue, même, et la similitude n'est bientôt plus qu'une part de l'amusement. Une part de l'émotion, cependant, lors du mouvement lent : la manière qu'a le pianiste de pencher sa tête en avant fait surgir le souvenir de cette virée en voiture où mon père, vingt-cinq ans après ma naissance, a découvert que je pouvais avoir de l'humour (à six ans, dès qu'on essayait de me taquiner, je répondais sèchement : je n'ai pas d'humour ; il fallait se le tenir pour dit). On allait chercher Palpatine chez un client, quelque part en Dordogne ; il y avait du monde sur l'itinéraire préconisé par le GPS ; mon père a voulu reprendre l'autoroute, malgré mon scepticisme : je ne me souvenais d'aucune sortie proche. Effectivement, une fois emmanché sur l'autoroute, plus moyen d'en sortir ; au lieu de nous énerver, comme nous aurions dû, nous nous sommes mis à plaisanter en boucle, dans une parodie de nous-même. Sans rien de drôle, on n'en finissait plus de rire, se fichant bien du détour que l'on était en train de faire, le détour devenant même la condition à la poursuite de notre hilarité. Je n'arrivais même pas à avoir mauvaise conscience vis-à-vis de Palpatine qui, peut-être, attendait dans le froid. « Je ne savais pas que tu avais de l'humour. » Et de m'imiter, petite, pincée, j'ai-pas-d'humour. Vexée et flattée tout à la fois, j'en rajoutais ; à chaque spasme de fou rire, la tête de mon père se penchait vers le volant, exactement comme le pianiste sur son instrument. Le souvenir s'est déroulé comme ces séquences de film où, remplacées par la musique, les paroles deviennent des articulations muettes ; peu importe ce qu'elles disent, elles ont été dites et c'est tout ce qui compte, savoir qu'elles ont été prononcées, derrière les vitres d'une voiture, avec le sourire, la vitesse et le souvenir de cet instant-là. Concerto en sol, road-movie périgourdin.
Gaspard de la nuit me ramène un peu plus loin, dans un village pittoresque de Dordogne, un soir de feu d'artifice : un lampadaire à l'ancienne, cage à lumière hexaédrique, diffusait exactement la lumière des poèmes d'Aloysius Bertrand – le genre de lumière à vous faire renommer phalènes les bestioles qui volent autour, pourtant prêtes à vous piquer comme une nuée de moustiques. La musique de Ravel est pleine de ces phalènes, elle aussi (à la harpe, au xylophone...) ; la qualification a beau précieuse, on n'en apprécie pas moins ces effets étranges, familièrement orchestrés.
Retour à Paris en compagnie d'un Américain qui n'a rien avoir avec le touriste en short que l'on se représente un peu trop facilement. Surprise de découvrir que j'ai dansé sur cette musique – une parodie de shopping-addict dans les grands magasins parisiens –, l'Américain à Paris devient une Américaine à la Samaritaine, au Bon marché, au Printemps, une silhouette de croquis de mode prête à danser le charleston. Mon imagination insiste pour faire porter le chapeau à Emma Stone. Tunique, sautoir en perles et chapeau cloche, c'est magic in the daylight dans les années 1920, talons-fesses et dos cambrés au tournant des grands escaliers en colimaçon.
23:23 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, philharmonie, ravel, gershwin, barber
15 février 2015
La Philharmonie et les sortilèges
Après 12h de vol, 5h de sommeil et 16h d'éveil, ce n'est pas peu dire que je comptais sur l'aspect nouveauté de la Philharmonie pour ne pas m'endormir pendant le concert. Premières impressions sur la nouvelle salle :
- depuis le métro : oh, bordel, c'est quoi ces pavés anti-talons ?
- en montant à la salle : putain, ça caille ! Pourquoi les escalators ne sont-ils pas à l'intérieur ?
- dans le hall : où sont les toilettes ? Ah, il n'y a pas de toilettes dans le hall. Vider sa vessie ou retrouver ses amis, ils faut choisir.
- aux toilettes, après le contrôle : bon, ils n'ont toujours pas inventé l'eau chaude (ni l'eau potable).
- dans les couloirs : on se croirait dans un petit théâtre de banlieue, non ?
- dans la salle : oh, les beaux volumes ! Oh, les petits bouts de bois de déco1 qui donnent à la salle une acné juvénile soixante-dixarde !
Placée au premier rang de côté, juste au-dessus des contrebasse, j'ai une vue imprenable sur les crinières des crosses (sans bigoudis, contrairement aux lions de Hong Kong) et les épis des musiciens (figurez-vous que l'altiste Tintin est dégarni ; je ne m'en suis pas encore remis). Je ne sais pas encore si c'est dû à la place ou à la salle (les deux, mon capitaine), mais l'on entend chaque pupitre beaucoup plus distinctement qu'à Pleyel. Cela va être l'occasion de faire plus ample connaissance avec les vents, parce qu'en dehors de la flûte traversière, dont jouait ma cousine, comment dire... quelques lacunes – à combler quand j'aurai dormi. Pour l'heure, je m'en tiens aux voix nasillardes, pincées ou grooooosses voix des animaux des Ma mère l'oye (que je n'ai jamais lu, aussi les contes de Marcel Aymé y ont-ils suppléé dans mon imagination)... et aux mains des musiciens, toujours fascinantes à observer. Je remarque notamment celles, qu'on dirait de pianistes, du jeune percussionniste, alors que sa main gauche, d'un geste très ample, pour ne pas faire de bruit, tourne une page de la partition. Je suis toujours impressionnée chez les musiciens, notamment chez les violoncellistes, par la souplesse du poignet, presque mou, plus délicat encore que chez un danseur.
On retrouve ces mêmes mains chez Esa-Pekka Salonen : alors que beaucoup de chefs mènent leur orchestre à la baguette, lui dirige moins qu'il ne redirige, amplifie, atténue le son qui lui parvient et qu'il sculpte à mains nus – non pas un son de marbre, dans lequel il faut donner des coups de burin-baguette, mais un son d'argile, qui se modèle encore et encore. Esa-Pekka Salonen modèle une matière sonore pré-existante avec le sourire heureux de qui sait que tout cela lui échappe et le dépasse en l'embrassant. Il faut voir sa sollicitude lorsqu'il fait saluer les différents pupitres ; vraiment, il a le bonheur contagieux...
… jusqu'à ce que L'Enfant et les Sortilège, que j'avais adoré à Garnier, me fasse découvrir le défaut principal de la Philharmonie : les voix y passent très mal. Avoir les chanteurs de dos n'arrange rien. Sabine Devieilhe mise à part, je n'entends vraiment que ceux qui sont de mon côté, côté cour. Ce qui, renseignements croisés à la sortie, est mieux que dans l'angle du premier balcon, où l'on n'entend que Sabine Devieilhe, la fameuse Sabine Devieilhe, gaulée comme les déesses auxquelles elle prêtera son impressionnante voix. Car c'est indéniable : sa voix, tout comme sa plastique (très belle robe, au passage), est impressionnante. Mais elle ne m'émeut pas. Je prends beaucoup plus de plaisir aux roucoulades et miaulement de Julie Pasturaud tantôt bergère d'ameublement, tantôt siamoise ; ainsi qu'au jeu de François Piolino (était-ce bien lui en rainette ?), à la voix un peu précipitée, mais si enthousiaste ! Au final, je suis fière de moi et de l'Orchestre de Paris : je n'ai pas dormi ! Opération jet-lag réussie.
Mit Palpatine
1 @huyplh m'a appris que c'était pour absorber le son.
22:58 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : musique, concert, orchestre de paris, odp, philharmonie, ravel