11 février 2017
Cathédrales sonores
S'il y a bien une chose qui tempère mon désamour de la Philharmonie, c'est son orgue. Là, ça vibre enfin. Pour l'essentiel caché derrière des volets qui pivotent pour libérer le son à sa pleine puissance, il se découvre avec une théâtralité certaine, renforcée dimanche dernier par des éclairages à dominantes orange et violette, qui évoquent autant une atmosphère pop rétro-futuriste que des vitraux d'églises. La sonorité est à cette image : beaucoup moins univoque et solennelle qu'on pourrait l'imaginer. Aux attendues envolées liturgiques se mêlent les glouglous de la Cathédrale engloutie, des caquètements nasillards qui me font mimer deux Daffy Duck avec les mains (sous le nez de Palpatine riant sous cape) et des dizaines d'autres bruits bizarres, dont on peut se faire une idée fantasmagorique au nom des jeux qui composent l'orgue : gemshorn, bourdon, unda maris, eoline, larigot, cromorne, septime, nazard, bombarde… (aux côtés de plus sages violon, quinte, flûte, clarinette, basson, hautbois, contrebasse…)
À la console (rien que le terme évoque le synthétiseur), Olivier Latry. Serendipity, qui a fait le déplacement exprès depuis la province, nous apprend qu'il s'agit d'une superstar de l'orgue, nommé titulaire à Notre-Dame de Paris à seulement 23 ans. Doublement profane, je fais ah, tandis que Palpatine en bonne groupie mondaine s'empresse d'aller faire signer son programme. Ledit programme mêlait transcriptions et œuvres composées directement pour l'orgue.
La Cathédrale engloutie de Claude Debussy (transcription) : ça glougloute majestueusement.
Sicilienne de Gabriel Fauré (transcription) : je me suis tournée toute surprise vers Palpatine : hé, mais je connais ! Quatre minutes seulement, mais rudement chouette.
Finale de la Symphonie n° 4 de Louis Vierne : les notes s'entrechoquent et les phrases musicales se marchent dessus ; on hésite entre le métro tokyoïte aux heures de pointes et le déluge biblique.
Symphonie gothique de Charles-Marie Widor : ça sonne gothique comme moi danseuse étoile, presque doux après le cataclysme de Vierne.
Prélude et Mort d'Isolde de Richard Wagner (transcription) : ça aurait pu être méga-impressionnant si tous les tuberculeux de la salle n'avaient pas décidé de donner un concert de toux à ce moment-là.
Fantaisie de Fugue sur Ad nos, ad salutarem undam de Franz Liszt : le plus long morceau du programme. En trente minutes, on a le temps de s'installer et de se laisser promener d'une pièce à l'autre : on ne sait jamais trop comment on est arrivé dans la dernière ni comment on a quitté la précédente, si bien qu'on n'est pris ni par surprise ni par l'ennui, c'est tout l'étonnant de la chose. En termes savants, il s'agit d'une œuvre "monothématique" : "cette rigueur de conception confère à l’œuvre une grande unité, et paradoxalement, Liszt en profite pour lâcher la bride de son imagination, dans une sorte de grande improvisation rapsodique" (Isabelle Rouard, note du programme). Particulièrement aimé les moments au creux de la vague sonore. Ça laisse rêver.
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30 janvier 2017
Un château en Hongrie
Soirée hongroise sans Klari avec l'Ensemble intercontemporain et l'orchestre du conservatoire de Paris
Lorsque la San Francisco Polyphony commence, on a l'impression d'entendre les instruments s'accorder dans la fosse avant un opéra - l'harmonie du chaos, que Ligeti compare à "différents objets jetés n'importe comment dans un tiroir ayant lui-même une forme précisément définie : le chaos règne à l'intérieur du tiroir, mais celui-ci est bien proportionné". Cela bruisse et tinte et s'écharpe, comme les breloque du mobile qui avait été installé l'été dernier (ou celui d'avant) dans le jardin des Tuileries (poule ou œuf : d'un coup, je vois tous les micros qui pendent à de longs fils immobiles au-dessus de la scène). Les ambiances sonores se succèdent par métamorphose : l'une est si aiguë que je dois me boucher les oreilles, mais plus tard les notes prennent la forme de bulles qui font éclater une conversation sous scaphandriers, et j'adore, j'ai une case de Tintin ; l'instant d'après, c'est une rumeur de marché ou de place publique dans une langue étrangère, et je vois bruire une foule de chapeaux chinois esquissés par Sempé. (Palpatine, lui, me soupçonne d'avoir été trop biberonnée à Fantasia.)
[Stèle] de Kurtág débute par "d'audacieux sol en octaves" (dixit le programme) ; j'imagine que c'est la vague d'O qui commence comme chantée par un chœur et finit en sirène de fin du monde. Passé cela, je ne me souviens que de la main de la harpiste : suspendue doigts écartés contre les cordes, elle projette sur le cadre de l'instrument une ombre de film d'horreur.
Je dois faire le deuil, je crois, de mon premier Château de Barbe-Bleu de Bartók. Sans doute ne me retrouverai-je plus terrorisée-tétanisée-émerveillée, suspendue aux lèvres de Judith pour savoir ce qu'il y a là (ce qui se cache, ce qui se défend, ce qui se joue, ce qui se perd). Mais chaque représentation me fait découvrir un peu plus un peu mieux cet édifice trop sombre que la surprise rendait trop éclatant. À présent que j'en connais les pièces, il peut être re-visité. Samedi soir, le tour du propriétaire était assuré par John Relyea, un Barbe-Bleu si redoutable(ment terrifiant et séduisant) que j'en ai oublié de frémir pour sa Judith Michelle DeYoung : je n'ai vu que son château,
sa défiance initiale, crainte agressive, peur de se livrer,
sa fierté, aussi immense que ses domaines (comme la musique parcourt à ce moment-là !),
sa soif de puissance
et d'amour, sa reconnaissance envers Judith qui prend sur elle de faire la lumière sur, de ne pas être effrayée par,
et sa tristesse lorsqu'il sait déjà qu'elle ne sera pas capable d'entendre la réponse aux questions qu'elle lui a posées, auxquelles il a tenté par tous les moyens de ne pas répondre, pour l'épargner, mais c'est trop tard : elle a fait entrer tant de lumière qu'elle a mis au jour la nuit qui va l'enfermer. (Cette fois-ci, dans mes délires de mise en scène, j'imagine qu'un immense miroir* vient surplomber la scène pour transformer en astres ces épouses passées, qui auraient commencé à tourner sur elles-mêmes au moment où Barbe-Bleue les aurait nommées, et ne se seraient plus arrêtées ensuite, derviches tourneurs destin de Judith. Lumière noire, tissus phosphorescents.)
La beauté naît de la tristesse de Barbe-Bleue, une telle tristesse qu'il a lui, plutôt que ses anciennes épouses, rempli le lac de larmes où les bouts blancs des maillets viennent frissonner, l'un à côté de l'autre, l'un après l'autre, s'éloignant à chaque rebond-réplique de moindre amplitude (le mouvement du percussionniste dessine une vaguelette). Il y avait de quoi frissonner.
* Le même miroir qu'à la fin de Proust ou les intermittences du cœur.
20:31 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, concert, philharmonie, ligeti, kurtag, bartok, le château de barbe-bleue
09 décembre 2016
La Claire Chazal du violon
Non, mais c'est bien, il faut avoir entendu Anne-Sophie Mutter une fois dans sa vie.
…
Une fois.
21:17 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, concert, violon, anne-sophie mutter, philharmonie, poulenc, saint-saëns, ravel, mozart, currier, lambert orkis
29 octobre 2016
Dutilleux dûment dansé
Après les ciné-concerts, la Philharmonie propose des concerts dansés. Cette programmation hybride, qui exploite l'aspect théâtral de l'espace, est sans doute plus adaptée que la musique seule, laquelle, dans cette prétendue cathédrale, ne me fait toujours pas vibrer. Enfin adaptée… si vous n'avez pas un siège de côté au niveau de l'arrière-scène, juste au-dessus des danseurs (je n'avais pas vu lors de le commande que le spectacle était dansé). Un replacement au premier rang du premier balcon nous a assuré une vue imprenable – hélas sur un spectacle guère prenant.
Theorically, I am ready to go to anything – once. If it moves, I'm interested; if it moves to music, I'm in love, écrivait Arlene Groce, critique de danse au New Yorker, dont je lis actuellement un recueil. Je n'ai été qu'"intéressée" par le travail de Robert Swinston : à chorégraphier comme Cunningham, il traite la musique de Dutilleux comme si c'était du Cage. La grille rythmique sur laquelle il trace ses figures géométrique aplanit complètement la partition, et lorsque, par hasard ou par miracle, un mouvement colle à la tonalité de l'instant, la répétition assure qu'il tombe à côté à sa reprise. Comme pour Alban Richard, il y avait donc une raison pour laquelle je n'avais jamais entendu parler de Robert Swinston (même si le nom d'Anna Chirescu dans la liste des danseurs me laisse penser que j'ai dû apercevoir son travail dans le documentaire Comme ils respirent).
À la fin des Métaboles, j'étais dépitée et désolée d'avoir incité @phiriboff à récupérer la place de Palpatine. Heureusement, cela s'arrange (un peu) par la suite : on se débarrasse des académiques et les bustes commencent à onduler au lieu de n'être qu'un segment rigide reliant les membres, seuls à avoir le droit de s'articuler. Audace anti-moderne suprême : il y a de l'interaction voire, est-ce bien raisonnable, du contact entre les danseurs, notamment avec le coup classique, mais toujours efficace, du danseur-magnétiseur qui en aimante un autre-marionnette. Cela ne dure pas longtemps, mais fonctionne bien pour le Mystère de l'instant, où l'instant naît de notes comme aimantées, agglomérées en une brève durée avant de se disperser pour qu'un autre instant puisse émerger, sans que la discontinuité (vers la disparition dans le silence) entame la continuité (vers l'éternité du son immuable). Oubliant la danseuse qui se débat à côté de ce paradoxe, je repense à François Jullien : ce qui ouvre du présent, c'est le refus du report. Ce qui ouvre l'instant, ce sont les musiciens ou les pupitres qui sortent du silence pour entrer, débouler (bien plus que les danseurs) dans le jeu, dans l'instant. On y est.
Robert Swinston n'y est toujours pas, malgré de très bons danseurs. Dans L'Arbre des songes, je dérive vers mes souvenirs de The Winter's Tale au gré des anticyclones projetés en fond de scène par Patrik André (après la mer, noire, de nuages, comme vue d'avion, échographie d'un monde mouvant). Partagée entre le désir de donner une chance à la danse et celui d'entendre tout le relief de la musique, j'erre entre les musiciens, à peine éclairés par les loupiotes au-dessus des partitions, et la scène qui attire le regard sans réussir à le captiver. Le concert aurait peut-être gagné à n'être pas chorégraphié : au final, on a davantage entendu la danse (en imagination et… lors des réceptions de saut dans des passages piano) que vu la musique…
@philharmonie avec @grignotages #Dutilleux pic.twitter.com/6iIV2F32R9
— @phiriboff (@Phiriboff) October 24, 2016
11:33 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, danse, concert, philharmonie, dutilleux, cndc angers, orchestre national des pays de la loire