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01 avril 2014

Bruckner power & stream of consciousness

Assister à un concert, c'est souvent écouter l'humeur dans laquelle on est ce soir-là. Sans qu'on s'en rende compte, l'œuvre passe en sourdine et ce n'est que lorsque notre stream of consciousness bifurque avec un peu trop brusquement qu'elle ressurgit soudain, comme composition méritant notre attention pleine et entière. La musique débride le flux des pensées et, la plupart du temps, le canalise : les idées éparses se suivent soudain avec la même évidence que ces notes qu'on a cessé d'écouter mais qu'on entend toujours, et celles que l'on ressassait en boucle sont enfin déroulées.

Inévitablement, dans le processus, on projette une partie de nos humeurs sur la musique. Brahms, qui ne m'enthousiasme toujours pas plus que cela avec son Premier concerto pour piano, en a fait les frais : cette douce résonance résignée, barrée de coups de percussions discrets mais perceptible, n'est-ce pas exactement le sentiment de se sentir prisonnier d'une vie qu'on a pourtant tranquille, et dirigé dans ce sens ? Vous entendez bien les accords sonores du pianiste (d'une force assez incroyable), ces éclats de frustration exaspérée ? Et cette douceur, soudain : peut-être l'apaisement ; une accalmie, en tous cas, assurément. 

Plus rarement, non seulement la musique calme le flux de conscience (en le rendant justement conscient), mais elle parvient aussi à le rediriger. Pour ça, il faut des moyens, il faut la puissance de Bruckner. Maussade, grincheux, euphorique... tout le monde est ramassé dans son tractopelle céleste. Le second balcon devient un vaisseau spatial, d'immenses bras mécaniques se déplient et nous avec. On se redresse sur son siège comme Lincoln sur son mémorial, la poitrine en plus, façon guerrière bardée d'une carapace ultra-sexy jouant dans un film ultra-nul. Et oui, le stream of consciousness n'échappe pas à la pollution des eaux ; des trucs bizarres y flottent, genre un plan des derniers épisodes de West Wing ou la photo illustrant un article de Trois couleurs sur le dernier rôle d'Eva Green. En deux temps trois mouvements, Bruckner a nettoyé ce dépotoir : la Neuvième, ça décolle (de l'humeur poisseuse) et ça dépote ! Manger du lion au petit-déjeuner < Écouter du Bruckner après le dîner.

22 février 2014

Alto ou tard

Cette grande fête de dix minutes, un carnaval ? Pourquoi pas. Je n'aurais pas apporté de masque mais j'ai volontiers participé à la sauterie de Dvořák en sautillant d'une fesse à l'autre.

Pendant que l'alto de Tabea Zimmermann tziganise avec Bartók (à moins que ce ne soit un effet de la robe, qui semblait être de la récup' de carrés Hermés plissés contrefaits), j'observe Christoph Eschenbach diriger. Le Voldemort de l'orchestre se livre à un magnifique duel : à chaque instant sur le point d'être gagné et débordé par la musique (la lumière rouge avance, touche presque sa baguette), il en reprend toujours le contrôle et la redirige (la lumière verte regagne du terrain).

Palpatine me prévient à l'entracte : Brahms, c'est de la meringue. Je m'attends à des arabesques d'apparence crémeuse dans tous les sens mais non : les notes s'évaporent avant même qu'on les ai goûtées. Ce sont les altos, eux-mêmes souvent oubliés entre les violons et les violoncelles, qui ont les plus beaux passages, de très beaux mouvements de l'âme, dont on se dit qu'ils seraient vraiment mis en valeur repris ailleurs, par quelqu'un d'autre, qui les organiserait différemment (oh wait, un compositeur). En l'état, Brahms a tout de la chantilly Dalloyau : une préparation qui rend délicieusement légères les pâtisseries qui l'incorporent mais relativement insipide en tant que telle. Je me fie donc aux gourmets mélomanes et à leur art de déguster, selon lequel, pour goûter Brahms, il faut somnoler.