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15 septembre 2011

Je suis une taupe

Une souris... une taupe... je ne verrais pas la différence. C'est pourquoi il me faut renouveler mes lunettes. J'ai une ordonnance posée, engloutie, retrouvée... posée sur mon bureau depuis six mois mais à présent que je passe toute la journée sur écran, il devient urgent de faire quelque chose. Malheureusement, mon zèle n'est pas plus fructueux que ma paresse et c'est très dommageable, parce que le chou blanc, ce n'est bon qu'avec des carottes râpées, quand ce n'est plus du chou blanc mais du coleslaw.

Affelou, Acrys, Générale d'optique, Grand Optical... c'est à peu près la même chose à chaque fois. Une fois que vous avez essayé une demi-douzaine de paires de lunettes, un vendeur s'approche de vous pour vérifier que vous n'êtes pas en train de vous livrer à une séance de Photoshop en 3D. Je lui explique donc que je ne me griffe pas avec les antivols pour le plaisir de me voir transformée en mouche/moustique/papillon sous LSD/folle du volant (ne rayez pas les mentions inutiles) et là, il pose la question fatale (sans savoir encore pour qui) :

 « Vous savez ce que vous cherchez ? »

Non, c'est pire : je sais ce que je ne cherche pas.

 

Je ne veux PAS (contrainte esthétique) des verres trop gros qui me donnent l'air des insectes précédemment cités.

Je ne veux PAS (contrainte technique) des verres trop petits qui incluent les montures en plein milieu de mon champ de vision. Vous êtes à l'opéra et, habitués à des verres larges, vous levez les yeux pour voir les surtitres mais ils sont barrés ; vous levez un peu plus les yeux, ils sont flous ; vous levez carrément la tête et ne voyez pas que le béni oui-oui que vous devenez ressortira avec un torticoli. Idem pour les gros verres implantés au ras des cils (j'ai les oreilles trop basses ou quoi).

Je ne veux PAS (contrainte technique) une monture lourde (plastic is fantastic).

Je ne veux PAS (contrainte esthétique) une monture fine voire invisible. Quand je chausse une de ces paires, soit j'ai l'impression de voir Amélie et c'est très perturbant de penser à quelqu'un d'autre en se regardant dans le miroir, soit j'ai l'impression de ressembler à une maîtresse d'école et c'est très décevant parce que ce n'est pas une institutrice dans le genre du petit rat.

Je ne veux PAS (contrainte de principe) de gros logo.

Je ne veux PAS (contrainte fantaisiste) de paillettes mais je tolère des strass discrets s'ils sont oranges (si, si, un strass orange peut être discret, Prada fait ça très bien).

Je ne veux PAS (contrainte psychologique) de petits cœurs ni de lunettes marron Lulu Castagnette qui me font remonter à l'époque où je ne pensais pas qu'à mes 23 ans, les T-shirts nounours seraient en passe d'être qualifiés d'indestructibles.

Je ne veux PAS (contrainte vestimentaire) de couleurs autres que noir, orange et violet. Oubliez les écailles de tortues : la souris n'est pas un chat et il n'y a de marron dans son armoire que lesdits T-shirts Lulu Castagnette.

Je ne veux PAS (contrainte psychologique) des plaquettes sur le nez. Déjà en primaire, j'avais horreur des « hélices » qui tombaient de l'arbre dans la cour de récré et que les gamins incisaient d'un coup d'ongle pour les faire adhérer de chaque côté du nez. Parce que bon, c'est mon nez, c'est pas un jouet.

Je ne veux PAS (contrainte hystérique) que les bords inférieurs encadrent mon appendice nasal de deux arrêtes droites car j'ai alors l'impression d'avoir un faux nez attaché à mes lunettes, un de ces gros nez sous lesquels il n'est pas rare de croiser une moustache de détective du dimanche et jours fériés. Et ça, c'est traumatisant parce que : c'est mon nez...


Ce que je veux ? Les petites lunettes oranges non criardes de chez GrandOptical (que pour la peine je veux bien prendre la peine de prononcer avec une liaison en « d » et non pas en « t ») en seconde paire des Tiffany's noires auxquelles un autre opticien aura fait subir une ablation de petits cœurs.

Quand j'arrive à cette conclusion imparable pour tout poète surréaliste qui respecte l'anaphore, curieusement, le vendeur a déjà trouvé une autre cliente.  

04 septembre 2011

Dark city

[À moins que vous n'habitiez cette dark city, ne lisez pas avant d'avoir vu le film - soit dit en passant, merci à ma DVDthèque privée de m'avoir conseillé ce que je n'aurais pas spontanément choisi de visionner.]

Dark city débute par une sombre histoire d'assassinat, embrouillée au possible. L'obscurité n'est éclaircie que pour apercevoir le demi-visage d'une femme fatale, l'autre moitié retranchée derrière le rideau de tôle ondulée de ses cheveux de jais, ou l'ellipse d'un feutre incliné de manière à laisser le regard dans l'ombre. On avance à tâtons et, n'étant pas dans une salle obscure, j'ai la tentation d'éteindre la télévision. C'est alors que le film noir annonce la couleur comme une conséquence de la science-fiction : un groupe d'extraterrestres cherchant à comprendre l'âme humaine maintient la ville dans une nuit indéfiniment répétée. À chaque minuit, ils ouvrent un abîme entre hier et demain et y précipitent toute continuité spatio-temporelle. Les immeubles poussent comme des champignons et les existences des habitants sont manipulées. Tel couple de classe ouvrière est bombardé aristocrate, tandis que tel individu honnête se voit injecter en une seringue les souvenirs d'un meurtrier (John Murdoch – like the gothic novelist – as an occasional murderer). La permutation des existences permet au film de réaliser une belle expérience de pensée : un passif criminel fait-il de l'homme un meurtrier ? Plus largement : l'individu est-il déterminé par son passé ? Est-il possible de distinguer une vie de celui qui la mène ? Ou l'homme n'est-il que la somme de ses souvenirs ? Le film répond à sa manière lorsque Murdoch indique son front : ce n'est pas (uniquement) là, dans la raison et la mémoire, que loge l'âme humaine. Et de suivre son cœur pour organiser une nouvelle rencontre avec celle qui a perdu la mémoire après l'avoir aimé quand lui-même avait perdu le souvenir de leur histoire – la sensation contre l'illusion.

 

02 septembre 2011

La piel que habito

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[À teneur fortement réduite en spoilers. Du 0% avec astérisque.]

Analyser le dernier film d'Almodovar reviendrait à le dévisager. À défaire les scènes pour mieux les habiter, on finirait par perdre leur identité et se comporter comme Robert, chirurgien, qui traite chaque partie du corps de sa patiente séparément, jusqu'à en oublier l'individu auquel il fait peau neuve. Les marques qui délimitent les tronçons de membres auxquels s'étend chaque greffe tiennent tout autant des morceaux comestibles à découper dans le bœuf ou le cochon que des coutures de vêtement – déconstructions réassemblées. Détruire ou reconstruire, on hésite, à moins qu'il ne s'agisse de détruire pour reconstruire (une vie, une vraie, Vera, la patiente) ou de reconstruire pour mieux détruire (patient vient du latin patior, souffrir). L'identité de cette patiente enfermée chez le chirurgien a disparu non pas derrière mais sur son visage, qui, nu, en cache beaucoup plus que le masque de l'affiche.
 

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La beauté d'Elena Anaya rend le spectateur incapable de dévisager Vera, qu'elle incarne, et il ne peut que la contempler comme Robert contemple cette Venus sur son écran de surveillance devenu tableau, sans plus surveiller le déroulement des opérations.
    

 

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[Elle, allongée comme un nu]

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[Lui, spectateur de l'écran-tableau, y entre comme dans la toile des Ménines]

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[Rapprochements sûrement tirés par les cheveux. On trouvera beaucoup plus facilement des allusions à Titien (sa Vénus est accrochée dans l'escalier) ou Dali (Vera allongée sur une grosse balle comme une montre molle ; le fils de la domestique déguisé en tigre). Quoiqu'il en soit, les références picturales sont trop nombreuses pour être anodines : cette forte esthétisation contribue à suspendre le jugement critique du spectateur ; la morale est supplantée par l'esthétique. Le spectateur est alors libre d'associer et assimiler les rapports abracadabrants établis ou suggérés par le film.]


La vengeance de Robert est de toute manière trop folle pour qu'on puisse la deviner sous les traits profondément humains d'Antonio Banderas, et même lorsque le flash-back est assez avancé pour que l'identité effacée de Vera se laisse deviner sans difficulté, notre curiosité croit encore au suspens. La violence de cette vengeance s'apparente au viol et la personne privée de son identité prive aussi le spectateur d'une distinction claire entre victime et bourreau. Fasciné, on ne surveille ni ne juge plus ; il en va de même du spectateur avec le film que du chirurgien avec sa captive : il l'a dans la peau.