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26 octobre 2011

Picorage après midi

« Goethe, rapporte René Guy Cadou (1920-1951), estimait que tout ce qu’il écrivait était testamentaire. La posture romantique et la théâtralisation postume sont manifestes, qui souhaitent contrôler, même après la mort, l’image du poète, la fixer et rejeter les commentaires qui s’écarteraient de l’analyse de ses seuls écrits [...]. »
Pourquoi les morts nous écrivent-ils si souvent ?

Je pense au Goethe de L'Immortalité, aux Testaments trahis, au lyrisme et à la figure du poète au sujet desquels Kundera a exprimé la plus grande méfiance, et finalement à la manière (romantique, alors ?) dont il a barricadé l'interprétation de son oeuvre : conclure à un romancier paradoxal très agaçant ou à la permanence des illusions même après en avoir défait les mécanismes ?

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Maupassant, Préface de Pierre et Jean :
« Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence. [...]

Faire vrai consiste donc à donner l'illusion compète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession. »

Sinon cela donne Pérec : accumulation baroque de petits faits vrais, irréelle à force de réalisme.

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Les Raboteurs de parquet, G. Caillebotte

Pourquoi donne-t-on toujours Caillebotte comme illustration du réalisme ? Ne voit-on pas qu'il rabote le réel jusqu'à ce que des copeaux de parquets soient aussi volubiles que les arabesques d'un balcon en fer forgé ?

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C. D. Friedrich, Le Rêveur ou les Ruines d'Oybin en Allemagne

En miniature, l'évidence est grande, les romantiques ont fait de la nature leur divinité. Je me place de l'autre côté du vitrail : j'ai besoin d'un cadre bâti par l'homme pour apprécier la verdure ailleurs que dans mon assiette.

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Renoir, Caillebotte. N'y avait-il donc au XIXe siècle à Paris qu'un seul marchand de parapluies ?

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« Ornifle. — Et qu'est-ce qui vous prouve d'abord quevotre mère n'a pas eu d'autre amant que moi en vingt-cinq ans ?
Fabrice, doucement. — L'honneur. Maman avait beaucoup d'honneur. Et je vous ai déjà dit qu'elle se considérait comme mariée devant Dieu.
Ornifle. — L'honneur... L'honneur... C'est trop facile !
Fabrice, grave et un peu comique. — Non. C'est difficile. C'est même bigrement difficile, croyez-moi. Si vous vous figurez que je n'ai pas mieux à fare dans la vie, moi, que de vous tuer ! J'allais me marier et j'ai encore des examens à passer. »
Ornifle ou le Courant d'air, Anouilh

Antigone qui a appris le sens de l'humour.
Il faudrait que je lise les pièces grinçantes et les pièces roses d'Anouilh.

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« J'ai regardé devant moi
Dans la foule je t'ai vue
Parmi les blés je t'ai vue
Sous un arbre je t'ai vue »

Première strophe d' « Air vif », d'Eluard.

Je penche pour l'impression rétinienne.

Tentative d'épuisement d'un lieu de travail

C'est un bureau, mais je ne sais pas encore s'il s'agit d'une pièce ou seulement d'un meuble, on verra à l'usage. Le point focal est évidemment l'ordinateur, un Mac argent (non, je ne suis pas graphiste) à l'écran inclinable, comme le dossier du fauteuil à roulettes : le médecin du travail n'a rien à craindre pour mon dos. Un peu plus pour mes yeux : mes lunettes sont posées branches ouvertes sur mon badge-carte de cantine étiquetté de mon nom, des fois que je me perde.

Mais je m'y perds, justement : de part et d'autres des lunettes et du badge, des piles : de papiers, d'épreuves, plus exactement, de l'année dernière, plus précisément ; de manuscrits qui ne sont pas terminés, peut-être même faudrait-il dire ébauchés ; de livres qui ne sont pas lus mais ouverts à la page dictée par le professeur. Je ne sais pas si je dois préciser : la matière, le niveau, l'éditeur, l'illustration de couverture. J'oubliais aussi : deux cahiers d'exercices, grammaire et vocabulaire. Gentilhommière, vous connaissiez ? Sur la pile des manuels, un cahier à spirales dans lequel je n'ai pas grand-chose à noter et une calculatrice pour additionner tous les signes de tous les encadrés, espaces compris. Il n'y a pas de bouton pour l'éteindre, seulement pour l'allumer.

On fait vite le tour, nous en venons à l'agrafeuse, prête à mordre, aux étiquettes autocollantes au nom de l'entreprise, aux trois lots de post-its qui seraient moins livides s'ils accueillaient un mini-dessin animé, à la gomme, à la règle, au pot de deux crayons noirs, quatre stylos et un surligneur. Coup de téléphone de l'autre côté de l'ordinateur. Si seulement. Beaucoup plus de boutons que de chiffres, une hotline, un annuaire et tout le tintouin.

Voilà, on y est, j'y suis, prise au piège. Je pourrais reprendre par thématique. Les étiquettes : le numéro de mon poste collé sur le téléphone, le code barre de mon poste informatique et une étiquette à adresse jamais passée par la poste, collée sur un manuel : Ex. Ou bien... serait-ce tricher que de passer au meuble de rangement attenant au bureau ? Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas l'ouvrir, même s'il y a une mine de stylos ni bleus ni noirs, des trombones à pouvoir jouer du Wagner par-dessus un concert de rock, et des livres sans pages car les Anglais ne font rien comme les autres. Rien que le visible : une boîte à mouchoirs noire et une thermos, noire également, quoiqu'elle paraisse rayée à cause des tranches colorées des manuels qui s'y reflètent. Elle était là avant que j'arrive et me fait penser à chaque fois que je la vois que ça manque cruellement de bouilloire par ici. Ou de travail, tout simplement.

Je m'ennuie. 

Lullaby, avec Poésy

Au début du générique, une femme déboule par erreur dans la chambre d'hôtel de Sam ; à la fin du générique, ils sont mariés depuis un an ; au début du film, elle est morte. Sam arrose d'alcool sa triste liberté et attend à l'hôtel un signe téléphonique de la défunte. Alors forcément, quand une autre femme, blonde cette fois, déboule dans sa chambre pour échapper à son soupirant-poursuivant et s'enferme dans sa salle de bain, il ne s'étonne plus de rien et demande tranquillement à échanger leurs places pour aller pisser. Piss off.

La rencontre, contre la porte, est abracadabrante ; la relation s'installe dans l'invraisemblable, jeu indéfini dans lequel Pi, c'est la jeune femme, n'a de cesse de subtiliser les clés au gérant de l'hôtel pour aller s'enfermer dans la salle de bain de Sam. Sans savoir qu'il a abdiqué des talents de musicien depuis la mort de sa femme, elle lui demande de chantonner pour elle, pour sentir une présence sans risque d'être touchée. La berceuse apaise Pi ; elle endort aussi l'âme endolorie de Sam. Pi en profite pour se faufiler hors de sa cachette, ne laissant derrière elle qu'un polaroïd... de Sam endormi. Elle l'a pris, pris en compte. Et si l'amour naissant ne nous renvoie jamais que notre propre image, elle lui permet néanmoins de se retrouver. Car si la porte fermée est pour Pi prétexte à ne pas sortir du monde rassurant des fantasmes, elle permet à Sam de se reprendre en main. C'est une chance pour lui que leur ébauche de couple n'aille pas main dans la main mais dos à dos, comme deux prisonniers ligotés à leur passé, qui prennent appui l'un sur l'autre pour se relever avant de (se) faire face.

 

 

Face à face forcément violent, porte enfoncée, irruption d'une alterité imprévue, totale. Et pourtant, après le réflexe de la fuite, Pi revient vers l'inconnu. L'un et l'autre ne s'émerveillent pas de leurs points communs, que les amoureux énumèrent habituellement avec plaisir, comme s'ils étaient à l'origine de leur affinité ; ils découvrent avec bonheur (un peu de peur, aussi, peut-être) toutes leurs idiosyncrasies et leurs petites lubies, aiment directement leurs différences et leurs différents, tout ce qui démontre à chaque instant un amour qui pourrait très bien ne pas être. A l'image de la porte qui a construit leur relation, ils aiment ce qu'il y a entre eux, qui les sépare et les soutient. Second temps de l'amour qu'ils ne réalisent qu'en arrivant au premier, celui des visages et des étreintes. Mais alors, la façon dont Sam (Rupert Friend) la rapproche de lui dans le lit dont elle vient de tomber, petite cuillère qu'il prend soin de ne pas faire tinter... et le visage de Clémence Poésy, plus vélane que jamais, grands yeux ronds, ronds et brillants, ronds au-dessus de pommettes saillantes où se trouve un grain de beauté comme un des éclats de peinture sur ses mains. J'ai un faible pour les profils gauche à grain de beauté et pommettes saillantes. Petite lubie pour Lullaby.

 

25 octobre 2011

My Blueberry Nights

Dans ce film de Wong Kar-Wai, les nuits sont pleines de néons oscillant entre le bleu et le rose, entre blues et bluette. Nuits d'un bleu de myrtille écrasée où les sentiments tremblottent comme de la gelée. Blueberry : je pensais muffin, c'est en réalité de tarte dont il s'agit. Mais pomme, fraise ou chocolat, la myrtille vient toujours en second choix, celui qu'on ne fait pas. C'est ce sur quoi on se rabat, en se disant pourquoi pas. C'est ce qu'Elizabeth engouffre sans manières, mastiquant sous le regard de Jeremy, jeune patron d'un bar paumé qui a voulu lui remonter le moral ou peut-être le coeur, à grand renfort de chantilly. C'est ce que Jeremy continuera à préparer, et à jeter, chaque jour qu'Elizabeth (mais Norah Jones lui va beaucoup mieux) passera à errer dans sa propre vie. Jusqu'à ce que toutes les ruptures soient consommées, que le client alcoolique dont elle est la serveuse favorite soit quitté par sa femme et quitte la vie, que la joueuse de poker qu'elle a rencontré n'ait pas pris le temps de voir son père la quitter. Alors, alors seulement, elle peut renouer avec sa propre rupture ; alors, Jeremy a jeté le bocal de clés que des clients, qu'Elizabeth, lui avaient laissées. Des portes se sont fermées et l'on peut enfin en ouvrir d'autres sans être pris dans des courants de faux airs. La tarte aux myrtilles, dont personne ne voulait, trouve finalement une bouche de premier choix. Jeremy la préparait par habitude : il s'est habitué à Elizabeth. Pourquoi pas : pour toi.