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05 mars 2010

'Tell us a story!' said the March Hare.

Here it comes, for « You might just as well say that "I see what I eat" is the same thing as "I eat what I see"! ». Montez la garde avec vos fourchettes, Mimy's in Wonderland, et planquez les couteaux, Alice à l'Assassin.

J'ai beau porter des collants transparents aux rayures violettes, qui me font ressembler au chat d'Alice au pays des merveilles, je ne suis pas certaine de maîtriser la disparition, alors je préfère ne pas apparaître du tout et attendre tranquillement aux tables de dehors. Seuls deux fumeurs s'y sont risqués. Calée entre la table, la vitre et quelque chose de végétal, j'ouvre la Prose du monde, très déséquilibré vers la droite, pour ce que je viens de l'acheter chez Gibert, me souvenant de l'enthousiasme de Lea entre l'étage littérature et critique critique littéraire. Je n'ai pas froid, ni faim, ce qui est assez rare pour recouvrir une explication, celle, aussi simple que gourmande, d'un goûter avec ma grand-mère chez Dalloyau – le chocolat chaud accompagnait cette fois-ci un palmier. Une salade suffira donc pour le chat du Cheshire qui, redevenu souris, piquera tout de même un carré de chocolat en rentrant. J'en oublierais de vous faire rentrer dans la tanière de l'Assassin (je soupçonne le cuistot, dans la cuisine, avec le couteau ses frites huileuses) : je vous en prie, passez devant, après Monsieur Gavroche qui est arrivé entretemps. On prend un bout de table, bientôt promu milieu de tablée par des arrivées successives. On se tasse, les assiettes tiennent de justesse, un jeune geek mange de la souris d'agneau, Palpatine me voit déjà à la casserole, à courir plusieurs lièvres de Mars, des zestes de citron flottent dans l'écume des bières, les gestes se contiennent, les langues prennent leurs aises, on ne rit pas la bouche pleine. Le chapelier fou se fait charrier sur sa mise, et prendre en photo avec Monsieur. Son interlocuteur, qui enfin le comprend, sosie vieilli d'un khârré, aux petites lunettes rondes, me conseille de poser les miennes, que je triture mécaniquement (j'ai déjà cassé le bracelet de ma montre en l'égrenant comme un chapelet – prière de ne pas rire). J'apprends par mon voisin de gauche l'existence d'un langage informatique Shakespeare, où toutes les variables portent des noms de personnages et les actions sont introduites par des sortes de didascalies, si bien qu'une gigantesque mise en scène peut être déployée pour un simple « Hello ». Le geek fait peur, mais le geek fait rire. Et puis, une fois deviendra peut-être coutume, Valerio travaille – Palpatine au corps ; mais le baisemain parodique l'a persuadé de partir sans lui rendre trop amplement ses hommages. En sortant mon téléphone à gousset (pas même élégant - ma montre est réparée, mais il suffit de quelques jours pour prendre un nouveau pli), je m'aperçois qu'il est effectivement bien tard, et on décampe comme des lapins blancs.

 

 

03 mars 2010

La vie comme un compte

 

Tout conte fait

 

Alors que la mode est aux airs langoureux et aux cuisses écartées, Hermès table sur un tout autre registre, celui des contes. J'ai d'abord – rendue sensible par l'engouement de Miss Red, à qui le conte est ce que le mise en abyme est à moi ?- été arrêtée par cette image-ci :

 

 

On reconnaît sans peine la princesse au petit pois, même si on met un certain temps à distinguer ce dernier (si, si, il y est, entre la main et la fin de la tresse qui nous y guide). Je trouve cette affiche particulièrement bien pensée : l'exigence de la cliente se métamorphose en sensibilité de princesse, et la finesse de la perception se confond avec celle de la soie.

 

Je suis alors partie en campagne (publicitaire - "La vie comme un conte") et n'ai pas tardé à croiser moults êtres féminins de l'univers des contes.

Êtres féminins, parce qu'il va de soi qu'on ne peut être charmée que par le luxe et que les princes sont tout justes bons à être vendeurs.

L'univers, parce que les origines sont très diverses : contes traditionnels (Anderson avec la petite sirène et la princesse au petit pois, Perrault avec Cendrillon) se perdant dans le folklore indéfini  (la jeune fille à couronne de fleur pourrait être une nymphe ou une dryade de n'importe quelle tradition),

 

 

contes orientaux (la lampe d'Aladin, pour éclairer quelques mille et une nuits) et littérature qui, pour merveilleuse qu'elle soit (Alice), n'a pas grand-chose à voir avec une tradition orale. L'ensemble est très hétérogène, mais on s'en soucie assez peu, dans la mesure où il est davantage fait appel à l'imaginaire collectif (assez Walt Disney sur le fonds) que référence à des œuvres particulières.

 

 

[La jupe n'a pas suivie lorsque Alice s'est mise à grandir soudainement...]

 

 

Invitation au voyage

 

L'évocation est si allusive que ces personnages de conte sont arrachés à leur contexte d'origine et rempotés dans un ailleurs indéfini, celui du voyage et de l'évasion. Nous ne sommes pas en terra incognita, mais bien sur une île déserte, coupée de notre monde mercantile (on vous vend une image -de marque-, pas des produits), où tout n'est que ciel et mer à perte de vue. Où tout est possible, y compris mettre ses carrés Hermès à 200 euros dans le sable. Où tout n'est que luxe, calme et volupté : vous pouvez avoir un petit pois dans le cerveau, du moment que vous n'êtes pas chiche, allongez-vous donc, chère princesse, faites comme au spa – le massage cardiaque n'est pas compris après réception de l'addition.

 

 

Pour rejoindre ce paradis fiscal, c'est simple : vous n'avez qu'à voler ! On m'annonce dans l'oreillette qu'en l'absence de Wendy, cela pourrait être mal interprété. Il vous reste donc le choix entre le bateau, dont vous entendez peut-être déjà la petite sirène, ou l'avion – pourvu que vous vous y preniez avant minuit, vous devriez trouver chaussure à votre pied avec Air France qui fait la paire.

 

 

 

 

 

Marques de mythologie et mythologie de marque

 

C'est qu'on s'y connaît en voyage, chez Hermès, placé sous la tutelle du dieu éponyme. Quoiqu'invisible, apercevez sa présence ailée, qui talonne de près les fées. J'admets qu'un tel lien est un peu cavalier ; c'est pour ne pas oublier que la maison est à cheval sur ses origines. Réincarnation de l'écuyère, la princesse au petit pois se confond avec sa monture dont ce n'est plus la queue qui est enrubannée mais la tresse de sa cavalière.

 

 

Le petite sirène, quant à elle, n'a nulle envie de marcher, seulement de mettre le pied à l'étrier. Si le motif ne du foulard ne suffisait pas à faire passer le message, elle vous l'aurait délivré par courrier ; il attend dans sa sacoche qu'Ulysse passe par là. Si le dieu messager pouvait accélérer le passage et la perte du malheureux... parce que contrairement à son destin dans l'épopée mythique, le mari de Pénelope ne s'en sortira pas - avant d'avoir vidé son compte de fée. Elle vous en prie. N'est-ce pas merveilleux ?

 

 

L'amante en chair et en mouvement

 

Aurélie Dupont.

Aimée par Manuel Legris dans la Dame aux camélias.

L'aimant dans le pas de deux du Parc, appuyée sur sa bouche. Tendue dans la détente de l'abandon.

 

Et aussi son fils et Jérémie Bélingard, mais ce n'est pas le propos. Entre l'élève et les adieux à la scène – de son compagnon de scène- Cédric Klapisch dresse le portrait de l'interprète, pas de l'étoile plantée au haut de la hiérarchie comme la décoration filante au sommet du sapin (pas de visite du palais, pas d'explications, pas de plans interminables sur les pieds, c'est sa bouche qui en dit le mal), ni de la femme danseuse (sa vie privée le demeure). C'est juste magnifique. Elle, est magnifique. Les chorégraphies sont à tomber par terre. Ils tombent d'ailleurs souvent par terre, parce que pour une fois, on les voit au travail. Pas à celui, mécanique et musculaire, de la barre : à celui de l'interprétation qui ne se surajoute pas à l'exécution technique, mais réside dans le moindre mouvement, même celui de se mettre correctement à genoux (humour de la gamine par terre, qui se rit de la danseuse à terre – déséquilibre ou épuisement- : « il a fait beaucoup de choses dans sa carrière, mais ça... »). Elle se frotte les mains dans l'angoisse de s'échapper à elle-même, de ne pas maîtriser le parcours de l'intention dans son corps. Une courte scène d'une répétition du Lac, on lui fait remarquer qu'elle ne repousse pas son partenaire ; en effet, « Je ne l'ai pas fait, je ne savais pas si je le repousse » (et non pas « si je dois le repousser ») : elle sait ce qu'elle fait, ce qu'elle fait est pétri de sagesse.

 

C'est juste magnifique. Elle est magnifique. Les chorégraphies le sont aussi. C'est superbement filmé. D'une façon si juste, qu'elle déborde du cadre, prend la clé du hors-champ. Pas de gros plans sur des piétinements pour se hausser de quelques centimètres vers le haut. Lorsque les pieds sont filmés, c'est dans l'immobilité de l'équilibre, piédestal éphémère. La caméra remonte toujours, à la source du mouvement, dans l'intelligence de sa naissance, de l'émotion, vers son visage à partir duquel ses mouvements irradient et vers lequel toute sa danse converge, se ramasse et nous ramène. C'est la main et le doigt retenus dans Raymonda. C'est l'étreinte du corps de Legris dans le Parc. C'est l'absence qui la décompose dans la Dame aux camélias, et qui la fait s'évanouir hors du cadre à la fin du documentaire.

 

Au lieu de lever de grands yeux admiratifs devant l'étoile, Cédric Klapisch prend de la hauteur, embrasse depuis les cintres des corps déjà en prise l'un à l'autre et qui échappent au saisissement, il parvient à toucher ceux qui nous touchent, à rendre sensible la chair sous la main qui caresse en le cambrant le buste de l'autre, réconcilie l'abandon et la prise, et dépose le couple sur le lit de la scène – où meurent les personnages et où se délimitent les artistes. On ne nous entraîne pas dans les coulisses, on nous laisse observer depuis les coulisses, là où l'interprète se fait dans la fusion du personnage et de celui qui l'incarne. Qui ils sont ailleurs, ou après, c'est leur affaire, leur inquiétude. Hors temps. Ce qui nous importe, nous emporte, c'est le présent (qui n'exclut pas la durée de la maturation, de la recherche perpétuelle), le présent de la présence, de la densité et de l'intensité. Incarné, un instant dans l'espace. L'espace d'un instant. Dimension de l'espace où l'on évolue, portée du geste. Cela donne juste superbement envie. De danser, de sentir, de recommencer, de ressentir, de s'attacher, de caresser, de vivre, de désirer. Envie.

Auréliiiiiiiiiie.