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29 mai 2016

Les dessous des dessous

Malgré son sous-titre « A brief history of underwear », l'exposition Undressed n'adopte pas vraiment une progression chronologique. Mais on ne peut pas non plus dire qu'elle soit thématique. Ce parti-non-pris du mi-mi ou ni-ni ressemble assez, au final, à mes plans de commentaires de texte en hypokhâgne, et il faut souvent lire deux ou trois cartels d'objets exposés dans une même vitrine pour comprendre ce qui les relie, dans le temps ou la finalité (voire les deux, comme c'est le cas pour la recherche sur des sous-vêtements adaptés aux températures estivales… en pleine période coloniale). L'évolution de ce que désigne le terme même de sous-vêtement n'est pas clair : on laisse ainsi tomber comme de vieilles chaussettes les bas de chausse effectivement anciens par lesquels on commence, pour n'y revenir qu'à l'apparition des bas en nylon ; on passe sans transition du haut de chausse au slip, et l'évolution de ce que recouvre la culotte n'est pas bien claire (à cause de son absence sous les corsets ?). Le corset tire à lui toute la couverture, brouillant la ligne entre exposition historique-didactique sur les sous-vêtements et exposition fashion de lingerie (avec diverses marques d'aujourd'hui, tantôt sélectionnées pour un modèle emblématique d'une époque, tantôt pour leur déontologie de fabrication).

Petite déception : déception, car j'attendais mieux du Victoria & Albert Museum ; petite, car cela reste plein de bonnes choses. L'aspect un peu foutraque de l'exposition permet notamment de se rendre compte de ruptures (le soutien-gorge est le premier sous-vêtement à maintenir la poitrine par le haut, plutôt que de la comprimer-soulever par le bas) et de continuités, entre les périodes (les faux-culs d'hier, ancêtres des culottes gainantes exhaustrices de popotin d'aujourd'hui) et les sexes (les mecs aussi ont leur push-up pour mettre (et remonter) le paquet). Quant à la focalisation sur le corset, elle se comprend par le faisceau de domaines qu'il croise et met en lumière :

  • esthétique : le corset modèle les corps en fonction d'un idéal qui varie avec les époques, comprimant certaines formes et en soulignant d'autres ;

  • technique : les matériaux jouent un rôle non négligeable dans l'évolution des sous-vêtements. Je découvre à cette occasion que si les baleines s'appellent ainsi, c'est parce qu'elles étaient fabriquées avec… des os de baleine1, relativement malléables une fois chauffés2 ;

  • thermique3 : témoin, ce corset d'été, fait dans un tissu grillagé, pour laisser le corps respirer ;

  • médical : dans l'ensemble, le corps médical était pour le maintien du corps de la femme (maintien physique et contrôle social ?), mais réprouvait les excès de la mode, dont les ravages nous sont indiqués radios à l'appui. On constate en effet que le port du corset étroitement lacé atrophie la cage thoracique, et on comprend mieux toutes ces femmes qui, au théâtre et dans les romans, tombaient dans les pommes à la moindre occasion ;

  • moral : une femme bien corsetée, quelque part, c'était une femme qui savait se tenir… Ces mœurs étaient manifestement intériorisés par les femmes qui se sentaient nues sans leur corset – à tel point que lors des guerres mondiales4, alors que les métaux employés pour fabriquer les baleines étaient réquisitionnés pour servir d'armes, on a créé des corsets en papier !

  • érotique : cet aspect est évident aujourd'hui, où le corset est débarrassé de son aspect pratique, mais il vaut aussi pour les époques passées, ainsi que le suggère une superbe robe5 effet déshabillé du XIXe siècle, avec dessous dessus (contredisant quelque peu le cartel qui, quelques mètres plus loin, présente le dévoilement du soutien-gorge comme une audace de couturier moderne).

L'aspect hygiénique est également évoqué via la couleur du linge de corps : le choix du blanc (qui semble aujourd'hui aberrant à n'importe quelle fille pubère) s'explique par le fait que, contrairement aux tissus teints, le tissu brut pouvait être bouilli…

Au final, on s'horrifie, on glousse et on s'instruit un peu. Le sujet anecdotique s'avère plus riche que prévu : le sous-vêtement fait corps avec son époque. Du coup, restée sur ma faim mais mise en appétit, je me lancerais volontiers dans la lecture d'une histoire un peu plus structurée ; si vous avez des titres (de préférence en poche), n'hésitez pas à me les donner en commentaire.


1
Dans la série je-tombe-de-l'arbre, je découvre que le terme crinoline vient du crin de cheval. Ne vous moquez pas, j'ai récemment appris à Palpatine qu'un pruneau était une prune séchée.
2 Je me demande combien de corset on pouvait fabriquer avec une baleine ; cela ferait un énoncé de mathématiques très oulipien…
3 En parlant de température : il serait temps de remettre au goût du jour le jupon matelassé comme une doudoune Uniqlo. #SortirAvecSaCouette
4 Dans le registre « guerre » était également exposée une espèce de robe de chambre-combinaison destinée à être enfilée vite fait en cas d'attaque nocturne. Après le bleu de travail, le marron de nuit.
5 Je l'aurais bien prise (avec le soutien-gorge aux multiples bretelles attachées au cou), mais il manquait une bonne trentaine de centimètres…

 

26 mai 2016

Dreams are dreams

Autant Emma Stone m'a ravie dans Irrationnal Man, autant Kristen Stewart, que j'aime pourtant beaucoup, m'a semblé déplacée dans Café Society. Une scène en particulier m'a laissée perplexe : on l'y voit faire une tête de dix pieds de longs alors que son amant annonce vouloir quitter sa femme ; manifestement, elle n'est pas réellement intéressée ou plutôt si, par son argent et ses relations. Lorsque l'homme lui fait remarquer que cela n'a pas l'air de lui faire très plaisir, elle plaide la surprise et l'émotion ; on se dit qu'elle lui doit bien ça, lui donner le change, puis on aperçoit la main-colibri, qui assure que son cœur bat vite, et surtout le sourire-néon qui l'accompagne. Doute : est-ce le personnage, Vonnie, qui joue trop bien ? l'actrice qui joue mal ? Ou pas assez ? Kristen Stewart racontait en interview ne pas aimer trop répéter, parce que cela minait toute spontanéité dans son jeu ; or il n'y a rien de moins spontané que le milieu hollywoodien perpétuellement enjoué dans lequel évolue son personnage, ni de moins naturaliste que la manière surjouée qu'a Woody Allen de le mettre en scène. Mais peut-être est-ce justement ce qui a plu au metteur en scène : lorsque Vonnie se met à jouer à la grande dame, on le perçoit comme un jeu, une attitude sociale. L'affectation est d'autant plus exacerbée que l'on n'associe pas l'actrice à la garde-robe légère de son personnage ; elle traîne avec elle un charme du garçon manqué qui nous fait inconsciemment penser que Vonnie serait beaucoup mieux à la cool avec Bobby, nouveau best friend aspirant boyfriend interprété par Jesse Eisenberg (qui, à l'inverse de sa partenaire, se fond parfaitement dans le décor allénien)…

Le triangle amoureux amant-Vonnie-Bobby donne au film sa dynamique, mais vaut surtout par son inscription dans un paysage plus large : d'une part, parce que cela donne une galerie de personnages secondaires magnifiquement caricaturés-mais-pas-de-fumée-sans-feu (le frère mafieux, impayable) et de pointes savoureuses (le judaïsme qui aurait plus de clients s'il vendait une vie après la mort), et d'autre part, parce que cela crée un effet de zoom out qui empêche l'identification prolongée avec Vonnie-Bobby et fait ressortir le caractère drolatique de la vie. Le focus n'est plus sur l'instant présent, mais sur le parcours d'une vie, de plusieurs vies même, qui font ressortir son caractère anecdotique. Un choix peut faire dévier une vie, il n'en reste pas moins essentiellement accidentel – et par là-même guère différent du hasard. C'est comme ça. Cela aurait pu être autrement, mais c'est comme ça ; il faut se rendre à l'existence, sans céder à la tentation de recourir au destin (embrassé ou manqué).

Si tout cela n'a pas de sens, il ne reste plus qu'à en rire ou à faire sens de cette absence de sens, c'est-à-dire à faire œuvre. Rien de plus esthétique que les rebuts de la vie. À ce compte, il n'y a pas plus belle histoire d'amour qu'une histoire manquée, avortée ou impossible : n'ayant plus rien de pragmatique, elle est tout entière disponible pour l'esthétique. Dans ces opérations de chirurgie narrative, j'ai toujours l'impression de me prendre un petit coup de blues-bistouri : je ne suis et ne serai probablement jamais la fille dont on rêve. Et c'est tant mieux : je suis celle avec qui l'on vit. Dreams will be dreams, boys will be boys, de ta boue j'ai fait de l'or, encore, encore !

 

25 mai 2016

Spectacle monstre

Julia Roberts et George Clooney à l'affiche, Jodie Foster à la réalisation : me voilà ! Moins coup de poing dans l'estomac que The Beaver, Money Monster est tout aussi bien ficelé. Un téléspectateur débarque en live sur le plateau d'une émission mi-boursière mi-bouffonne et prend en otage le présentateur (George Clooney), qu'il considère responsable de ses économies évaporées dans un investissement foireux. La prise d'otage fonctionne à merveille et on s'aperçoit seulement une fois le suspens retombé que c'était encore plus intelligent que divertissant.

Ce n'est pas pour rien que le film porte le titre de l'émission : si syndrome de Stockholm il y a, le geôlier est moins le preneur d'otage que le film lui-même ou plutôt, le divertissement. En effet, la réalisatrice (Julia Roberts), ange gardien dans l'oreillette de Clooney, prend le pari fou de continuer l'émission1, allant jusqu'à demander au cameraman de s'avancer pour faire disparaître l'ombre du visage du preneur d'otage (Jack O'Connell) et l'équiper d'un micro. Il faut faire entendre ses revendications, faire la lumières sur les magouilles financières à l'origine de son coup d'éclat. La réalisatrice active son réseau, dépêche ses journalistes dans tout New-York pour que la vérité éclate avant la bombe et le film se transforme, semble-t-il, en enquête, sur les traces du patron qui a ruiné ses actionnaires.

On veut savoir le pourquoi du comment ; du moins le croit-on jusqu'à l'apprendre et comprendre qu'on n'a jamais vraiment voulu la vérité, seulement le spectacle de sa mise en scène. Vous vous en foutez, d'où vient l'argent, quand il y en a, lance le criminel en col blanc lorsqu'il est attrapé. Il a raison : on est, la société est, nous sommes profondément indifférents – des monstres d'égoïsme, des monstres d'argent, qui s'intéressent au malheur d'autrui comme à une bête de foire (le preneur d'otage comme pauvre hère de téléréalité). La boutade finale, « qu'est-ce qu'on va bien pouvoir trouver pour la prochaine émission ? », enfonce le clou : the show must go on, divertis ou crève.

Mit Palpatine


1
Pari fou auquel répond l'hypothèse folle du spectateur : et si cette prise d'otage était une mise en scène fomentée par le staff de l'émission pour booster l'audimat ? (J'ai eu le doute.)

Pour mémoire : le passage avec la petite amie du preneur d'otage est vraiment ultime.

 

Tout feu tout flamme

Toujours aussi rousse, toujours aussi folle, toujours aussi ouf, Patricia Petibon se produisait la semaine dernière avec l'ensemble Amarillis dans une soirée consacrée aux magiciennes. Médée et Circé sont les héroïnes récurrentes d'un jukebox baroque alimenté par Jean-Féry Rebel, Marin Marais, Jean-Marie Leclair (j'espère que ces noms vous parlent plus qu'à moi), Marc-Antoine Charpentier (que je connais peu mais apprécie bien depuis sa découverte un soir sur Arte) et Jean-Philippe Rameau qui, après l'entracte, squatte le box office malgré un lien à la thématique de plus en plus faible. Qu'importe, la vraie magicienne de cette soirée n'est ni Médée ni Circé, mais la soprano colorature et colorée qui, une fois de plus, assure le show.

La caverne d'Ali Baba ferait pâle figure à côté de sa malle à costumes et accessoires : divine robe verte, masque assorti, plumes multicolores pour battre du tambour, jeter des sorts, enjôler et fanfrelucher, lunettes tournesol pour une Folie fantaisiste de Rameau… La fantaisie, voilà ce que j'aime par-dessus tout chez cette artiste sérieusement timbrée. La fantaisie, c'est moins un nez à retroussette, des couleurs vives ou l'incongruité de se rouler en boule sur scène comme un chat (la chanson miaulait) qu'une manière d'articuler la musique et sa voix, de rouler le spectateur avec legato et de lui couper l'herbe sous le pied d'un o. Oh. La fantaisie, une grâce incongrue1. Ce n'est pas faire n'importe quoi, mais ce qu'on peut se permettre, sérieusement, sans se prendre au sérieux – derrière le grain de folie, le roc vocal, que rien ne peut ébranler. Placée avec Kalliparéos au premier rang de côté, je suis aux premières loges pour l'observer (à défaut d'être dans le « cône vocal »). Pour le spectateur assuré que l'on pourra prendre des chemins de traverse sans jamais faire fausse route, tout devient spectacle, tout devient joyeux : la flûtiste2 qui se hausse sur demi-pointe pour aller dans l'aigu, les soupirs d'une égyptienne3 et les percussions improbables manipulées par un toon aux distingués cheveux poivre et sel. Quand je serai grande, je raclerai le sol avec un maillet, je fabriquerai des alizés à la manivelle et les fouetterai à coups de verges-rameaux. Allons-y chochotte, chochotte, allons-y chochotte, chochotte, allons-y…


1
Vocale, en l'occurrence, et non gestuelle. Je suis toujours gênée de la relative maladresse dont font preuve les non-danseurs sur scène, et Patricia Petibon n'y fait pas exception, malgré son exubérance et son aplomb scéniques.
2 Je comprends seulement maintenant le pourquoi de la flûte à bec chez Kalliparéos : le baroque ! Épiphanie tardive. (J'en étais restée à Top Gun au collège, sur une flûte en plastique.)
3 « L'amant que j'adore / Allait former de nouveaux noeuds »