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30 novembre 2015

Un Matt Damon et ça repart

En allant voir Seul sur Mars, je m'attendais à retrouver les thématiques de Gravity transposées sur la planète rouge. Si le héros, Mark, laissé pour mort sur Mars, se retrouve seul lui aussi, et condamné à court terme, le face à face avec la mort prend immédiatement la forme d'un affrontement. Pas le temps de d'envisager son sort ou de dévisager la mort, il faut agir, compter les plats au poulet qu'il reste sur la station, compter les pommes de terre sous vide prévues pour Thanksgiving (ce n'est pas parce qu'on est sur Mars qu'on n'est plus Américain, au contraire, plus que jamais), charrier des caisses de terre stérile, chier de l'engrais et inventer un dispositif pour produire de l'eau par réaction chimique. La serre de pommes de terre de Mark fait penser à la rizière de Robinson Crusoé, mais la comparaison s'arrête là (bon, allez, on peut inclure un peu de barbe sauvage, si vous y tenez), car non seulement Mark ne renonce jamais, mais il n'envisage même pas de devoir renoncer – il s'en sortira, à la force du poignet, de la science et de l'American dream, véritable cow-boy martien.

Au tiers du film, le héros a déjà rétabli la communication avec la Nasa et le psy de l'équipe a beau parler des conséquences de l'isolement extrême, on ne les voit pas ; Mark maintient continuellement la présence d'autrui en s'adressant aux caméras présentes dans l'habitat et le Rover, fanfaronnant et exprimant sa perplexité tour à tour. Le journal de bord qu'il enregistre ainsi tient moins de la boîte noire que de la chaîne YouTube (la webcam comme avatar narratif moderne de l'aparté, seule la génération selfie pouvait y penser).

Si c'est raté pour l'introspection, cela fonctionne en revanche à merveille niveau auto-dérision : le héros, loin de se prendre pour un superhéros (qui reste d'un autre univers, comme le suppose sa réplique alors qu'il s'apprête à percer sa combinaison pour se propulser : « I get to do Iron Man »), se place dans la droite ligne d'un MacGyver, pro de la bidouille. Exit les gadgets technologiques, place au scotch : pour coller les feuilles comptabilisant le nombre de pomme de terre dans chaque bac, pour attacher la bâche formant la serre et même pour colmater les brèches et empêcher l'oxygène de s'échapper de son casque d'astronaute. Mark ironise : tous les cerveaux du monde1 travaillent pour lui et la seule solution qu'ils trouvent est de... percer des trous et cogner avec des pierres.

L'informatique et plus généralement la technologie est reléguée à ce qu'elle est : un truc formidable quand ça marche, mais qui ne marche pas à tous les coups et devient vite obsolète – contrairement à la science2, représentée ici par la botanique. Car il faut bien continuer de croire en quelque chose : Seul sur Mars ne saurait démentir l'adage selon lequel quand on veut, on peut – avec un peu de chance et d'improbabilité, que l'on accorde à Mark à la fin quand on l'avait refusée dès le début au coéquipier de l'héroïne dans Gravity (la parallèle est difficile à ne pas faire tant la scène avec le câble donne une impression de déjà vu). L'épilogue, bien ricain, prête à sourire ; n'empêche, on aura bien frissonné avec Kate Mara et Jessica Chastain (que Palpatine mettra sans aucun doute à la place de Matt Damon dans son titre).


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 On notera d'ailleurs que les Russes ne sont plus dans la course : ce sont les Chinois qui proposent leur aide…
2 Quitte a l'escamoter quand cela pose problème : la problématique des réserves d'oxygènes dans l'habitat est vite abandonnée…

29 novembre 2015

Exposition sur les Tableaux d'une exposition

Première fois à Radio France : l'extérieur est moche, l'intérieur dans la plus pure tradition de l'impersonnalité administrative, et la salle, après cela, surprenamment chaleureuse, toute ronde, avec ses rondins boisés et ses lumières parsemées au plafond comme les points blancs d'une amanite tue-mouche - un champignon de conte de fées.

Première fois à un concert présenté par Jean-François Zygel : ce n'est pas pour les enfants. Ou alors les enfants de 27 ans avec un bonnet nounours. La chef d'orchestre, Marzena Diakun, ressemble à un farfadet parfaitement sérieux avec ses talons noirs et ses boutons de manchette, et ce n'est pas elle qui démentira ma théorie selon laquelle les femmes polonaises qu'il nous est donné de voir en France sont d'une classe infinie. Avec sa complicité -  et celle de tout l'orchestre -, Jean-François Zygel donne des clés historiques et surtout musicales aux Tableaux d'une exposition de Moussorgski : il demande au trompettiste de jouer le thème de la promenade* pour que l'on puisse le reconnaître d'entrée de jeu, explique sa transformation au piano, en la décalant d'une octave, puis en mineur/majeur, et demande à ce que les pupitres jouent séparément des partitions qu'il superpose peu à peu. Les graves d'abord, les vents ensuite, puis les graves et les vents, puis les graves et les vents avec tout l'orchestre... c'est l'équivalent musical des calques Photoshop, que l'on affiche et l'on masque en cliquant sur l'oeil pour comprendre comment l'image est composée.

Je regrette de ne pas avoir découvert ces concerts-clés au début de mon initiation orchestrale, mais c'est peut-être pour le mieux : l'analyse n'est pas forcément la solution qui s'impose lorsqu'on a des difficultés à synthétiser ce que l'on entend. Autant Peer Gynt est très bien passé dès le premier concert, autant Mahler ou Schönberg ont été éprouvants (et d'une manière générale, tout ce qu'il est difficile de chantonner). Il m'a fallu entraîner mon oreille pour qu'elle tienne ensemble ces sons si divers (et passer de l'orchestre au balcon, où j'ai découvert avec étonnement que le son était déjà pré-mélangé). Aujourd'hui, en revanche, alors que je peine encore à identifier les instruments à l'oreille, c'est exactement ce qu'il me faut, moins fatiguant et plus efficace que courrir des yeux dans l'orchestre pour trouver d'où vient tel ou tel son (au risque de revenir bredouille auprès du chef d'orchestre). C'est parfait pour éduquer son oreille, et je me prends à rêver d'un équivalent enregistré sur support numérique, avec des pistes parallèle correspondant aux différents instruments ou groupes d'instruments, que l'on pourrait isoler et superposer à loisir pour comprendre la composition. 

L'écoute, sur un des tableaux, de trois orchestrations parmi la vingtaine existante est également une belle idée : cela rappelle, déjà, que l'oeuvre a été écrite pour le piano (j'aimerais beaucoup l'entendre en récital, du coup), et permet de mesurer ce que ces tableaux doivent respectivement à Moussorgski et à Ravel. Rien à voir, en effet, entre l'orchestration de Ravel (la version dans laquelle je l'ai entendue par l'Orchestre de Paris), celle d'un élève de Rimski-Korsakov (un peu lourd mais efficace) ou celle de Leopold Stokowski, qui a orchestré un Bach pour Fantasia (les pupitres prennent le relai en cascade, pour un "effet Technicolor"). Cela me donne l'impression d'être plus contrasté encore qu'une traduction littéraire… Bref, plein de choses à explorer, avec à chaque fois l'envie de transposer ce genre d'approche à la danse…


* Promenade entre les différentes salles ou les différents tableaux d'un musée… Les Tableaux d'une exposition ont en effet été composés d'après une exposition bien réelle, organisée en hommage à l'artiste Viktor Hartmann, ami de Moussorgski.

24 novembre 2015

Irrational joy

"Just what the world needs, another book about Heidegger and fascism."

Même si le nombre de ses films que j'ai appréciés doit commencer à équivaloir voire dépasser le nombre de ses films qui m'ont horripilée, je continue de partir du principe que je déteste Woody Allen. Il ne peut ainsi y avoir que de bonnes surprises : Midnight in Paris, Magic in the Moonlight et maintenant, poursuivant la logique allitérative, Irrational Man.

Alcoolique, débraillée, désabusée, la philosophie a sous les traits d'Abe Lucas une sale gueule. Les simplismes auxquels on s'attendait de la part d'un personnage de professeur de philosophie en deviennent paradoxalement assez savoureux - plaisir de junk-food que ces "McNuggets of Wisdom™" et "fortune cookie versions of the wisdom of Soren Kierkegaard, Jean-Paul Satre, and Simone de Beauvoir1". Du nawak en barre, juste assez spécifique, cependant, pour que la qualification de la philosophie comme masturbation intellectuelle soit moins perçue comme mépris que comme auto-dérision. Woody Allen n'essaye même pas : plutôt que d'allonger la longue liste des films présentant des cours de philo qui sonnent faux, il fonce direct dans la parodie, entraînant le personnage de Jill Pollard avec lui. La belle et brillante étudiante tombe donc instantanément amoureuse de son professeur à la réputation sulfureuse et aux paroles éblouissantes, peu importe que ses idées soient plus brouillonnes qu'hétérodoxes et qu'il bande mou (de toutes façons, les couilles molles, ce n'est pas ce qui manque chez Woody Allen).

Emma Stone prête des grand yeux de merlan frit à l'étudiante et n'hésite pas à déformer ses traits jusqu'à la laideur lorsque celle-ci finit horrifiée par son maître à penser – une expressivité qui peut attirer des critiques contradictoires : à la fin de la séance, une femme déplore que l'actrice mise tout sur sa plastique, tandis que je ne sais plus qui m'a dit la trouver laide. Je le vois davantage comme une beauté protéiforme, que rien, pas même les miroirs déformants d'une fête foraine, ne peut entamer – rions-en un coup et reprenons.

Woody Allen met en place le cliché narratif de l'étudiante amoureuse de son prof de philo... pour mieux le laisser tomber. Pas le twister ou le revisiter, non, non, le laisser tomber, comme une vieille chaussette, de côté. Car ce n'est pas de Jill que vient l'électrochoc qui va tirer Abe de sa dépression de philosophe alcoolique blasé, mais d'une conversation entendue par hasard en sa compagnie, l'histoire d'une femme désespérée parce qu'elle se voit retirer la garde de ses enfants par un juge véreux, ami de son ex-mari. Et là, Abe décide de tuer ledit juge. Comme ça. Pour le fun – qu'il recommence enfin à sentir. Et d'aller étrenner sa capacité renouvelée à bander avec la prof qui lui court après depuis un moment. C'est seulement après, après la résolution meurtrière, qu'il cède aux avances réitérées de Jill, quand l'intrigue amoureuse a été reléguée au second plan par la préméditation d'assassinat. Meurtre 1 – philosophie 0.

<spoiler intégral> Non seulement Abe commet le meurtre, mais il n'en éprouve pas une once de remord. Persuadé que, mieux que les idées qu'il a toute sa vie maniées, cet acte redonne sens à sa vie, il en profite pleinement. Si angoisse il y a, c'est uniquement de se faire attraper. Lorsqu'elle comprend qu'il est l'auteur du crime, Jill écoute son instinct, comme le lui demande Abe, mais, contrairement à lui, son instinct ne lui dicte que répulsion ; horrifiée, elle rompt avec Abe, sans toutefois le dénoncer. Instinct, impératif catégorique, justice, éthique... alors que, devant ce déballage contradictoire, le spectateur s'apprête lui aussi à devoir choisir un camp dans la question de savoir si cet meurtre est ou non moralement justifiable, Woody Allen lui coupe l'herbe sous le pied : Jill menaçant finalement Abe de le dénoncer pour blanchir le suspect retenu par la police, Abe s'apprête à la tuer, mais au moment de la balancer dans la cage d'escalier, il glisse sur la lampe torche qu'il lui avait gagné à la fête foraine et tombe à la place de sa victime. Premier meurtre moral ? Immoral ? Hop, seconde tentative de meurtre actée ; la question est réglée ; le jugement, suspendu. </spoiler intégral>

Tout cela, finalement, est bien moral – comme peuvent l'être, quelques part, les contes de Rohmer, où les décisions des personnages coïncident a posteriori avec la morale telle que le sens commun l'imagine a priori ; non pas parce que cette morale constituerait la raison à laquelle ils retourneraient, enfin raisonnables, mais parce qu'elle s'offre in fine comme le chemin qui leur permettra d'augmenter et de persévérer dans leur être. Pas une seule de leur errance n'est considérée comme telle : c'est une part du cheminement, qui, à ce titre, ne saurait être reniée ni considérée comme immorale. Abe en donne une preuve par l'absurde, tandis que Jill retourne auprès de son petit ami initial. Tout cela est bien moral, c'est-à-dire : tout cela est amoral ; l'art reprend ses droits.

Remember : « There is no such thing as a moral or an immoral book. Books are well written, or badly written. That is all. » En arrêtant de fanfaronner avec ses héros immoraux sans remord (Match Point) ou de larmoyer sur son exact opposé (Le Rêve de Cassandre, une daube qui m'a excédée), Woody Allen remet la création au centre, avec ses fausses pistes et ses échos narratifs qui miment et raillent à la perfection les coïncidences et les hasards de l'existence. L'art, mes enfants, l'art. Le reste n'est que littérature, ou philosophie – films précédemment cités compris. Forcément, je jubile et trouve ça génial : le réalisateur est d'accord avec moi pour dire contre lui que Woody Allen, c'est un peu pourri. Melendili, dépitée, a trouvé ce dernier film « tout moisi ». Normal, les fans ont de quoi se sentir un poil vexés. Woody Allen est détestable. CQFD.

Mit Palpatine

1 Marcus Hedahl dans « Philosophers on 'Irrationnal Man' », sur le site Dailynous, août 2015. L'article dans son ensemble est savoureux. 

 


Edit

Melendili m'a pris flagrant délit de mauvaise foi intellectuelle. J'étais tellement de bonne foi dans ma mauvaise foi que j'ai mis un certain temps avant de comprendre… que j'avais objectivé mon ressenti et, qu'en attribuant au film ce qui relevait de ma perception, je faisais passer les fan de Woody Allen tous films confondus pour des gens peu regardant sur la qualité artistique. Alors que ce n'est manifestement pas le cas (sauf pour Le Rêve de Cassandre, quand même, faut pas déconner). Je citais Melendili parce qu'elle me semblait une amatrice au sens noble du terme. Je dois avouer regarder avec un peu d'envie les amateurs capables, contrairement à moi, de ne pas s'arrêter à la caractérisation morale des héros et à l'envie subséquente de leur coller des baffes. D'ordinaire, les personnages de Woody Allen me font le même effet que Julien Sorel : j'ai beau savoir que la boulette-attitude du héros de Stendhal est créée par un procédé de distanciation permanent, je me prends la dissonance narrative de plein fouet et ma détestation du personnage s'étend au roman. Je déteste Le Rouge et le Noir à cause de Julien Sorel, que je n'ai qu'une envie : étrangler. Cette détestation est pourtant une marque flagrante de la réussite de l'auteur : si j'ai envie d'étrangler un personnage de papier, c'est qu'il a réussi à le rendre plus vrai que nature ; son entreprise romanesque est un succès… que je suis incapable d'apprécier. Idem avec Woody Allen. Je vous laisse remettre dans mon texte des modalisateurs là où il devrait y en avoir ; le biais de cette chroniquette en dit autant que sinon plus que son raisonnement claudiquant (et puis, flemme oblige, les seules preuves que je prends soin de faire disparaître sont les crêpes ratées).

23 novembre 2015

Ciné-concert sine ciné

Alexandre Desplat ? Le nom ne me disait rien, et pourtant, le programme me révèle que j'ai vu nombre des films pour lesquels il a composé : sept sur les douze prévus pour la soirée (une bonne moyenne pour la médiocre cinéphile que je suis et, encore plus, que j'ai été). La Jeune Fille à la perle, The Queen, The Ghost Writer, Imitation game, The Grand Budapest Hotel, Harry Potter et les reliques de la mort, Le Discours d'un roi… que des bons films. Et pas un dont je puisse chantonner la musique (c'est John Williams qui me vient en tête quand je pense à Harry Potter). Pourtant La Jeune fille à la perle ou The Ghost Writer reposent essentiellement sur une ambiance, lumineuse et sensuelle pour celui-là, dense et tendue pour celui-ci. C'est même ce qui continue à me faire dire que The Ghost Writer est un bon film alors même que je ne me souviens plus du tout des tenants et aboutissants de l'intrigue. Or la musique joue pour beaucoup dans ce que l'on désigne sous le terme vague d'ambiance. Alexandra Desplat doit donc être un bon compositeur de musique de film. Très bon, même. Trop bon, en tous cas, pour être joué en concert : il s'adapte si bien à la spécificité de chaque film que, sans ce film, la musique tombe… oui, désolée… à plat. Pleine de harpe, de célesta et de flûte, elle est du genre à vous faire remarquer les lumières de secours sur les escaliers de la salle, que l'on imaginerait bien s'allumer aléatoirement comme dans l'effort de scruter un ciel étoilé pour y repérer des constellations.

Cela viendrait-il à l'idée de quelqu'un de présenter une variation de Casse-Noisette sans la musique de Tchaïkovsky ? La dépendance est de cet ordre-là. Les images projetées pour certains extraits soulignent cette dépendance plus qu'elles ne la prennent en compte : il ne s'agit pas, en effet, des passages accompagnés par la musique dans le film, mais de montages qui réussissent l'exploit, outre de comporter moult spoilers, de ne pas coller au rythme (plus d'une fois les images s'arrêtent avant que l'orchestre ait fini – c'est particulièrement dommage pour Godzilla, où l'explosion de cymbales arrive après le champignon nucléaire). Au cas où on aurait encore un doute, voici la preuve que la bande-annonce est tout un art.

C'est bon, mais bon comme un sandwich : les garnitures ont beau être différentes, après un sandwich jambon-beurre, un sandwich thon-crudités, un sandwich au fromage, un sandwich au saucisson et un sandwich poulet-crudités, tout ce qu'on retient, c'est qu'on a avalé beaucoup de sandwichs et, même si individuellement, ils sont fort bons, on mangerait bien autre chose. Ou rien. Parce qu'il faut bien l'avouer, on est un peu gavé. Mais la prochaine fois, sans faute, au ciné.