28 octobre 2012
In another country, in another life
De passage dans une petite ville au bord de l'eau, où il n'y a rien à voir, une jeune fille trompe son ennui en écrivant de courts scénarios qui, joués à tour de rôle par les mêmes acteurs, donnent un film léger, juste et plein d'humour.
Un réalisateur ou une réalisatrice, une Française, un couple dont la femme est enceinte et le mari attiré par la Française, une jeune fille toujours prête à rendre service, un sauveteur en tongs, un parapluie, une tente, un barbecue et un phare introuvable : voilà les cartes chaque fois redistribuées. L'humour réside dans un rien : l'anglais très frenchy d'Isabelle Huppert, son trottinement sur talons, les ébrouements du sauveteur qui a la chair de poule mais pas froid, les gentillesses à n'en plus finir et à se créer des malentendus parce que l'on ne sait pas quoi dire ni comment le dire, ou encore les mimes pour essayer d'obtenir une réponse à cette question cruciale : « Where is the lighthouse ? »
Comme dans le roman de Virginia Woolf, rien n'est fixe, les consciences se superposent et se séparent sans s'être liées, les visages se souriant quand ils sentent un flottement. Les uns et les autres ne trouvent d'écho que dans les histoires successives, lorsque leur personnage précèdent a déjà disparu, si bien que la tristesse passe avant même d'avoir été nommée, légère, passagère, et laisse place à un subtil comique de répétition. Pas d'amertume, juste quelques vagues d'attendrissement au pied d'un phare qui ne nous éclaire pas – mieux vaut sourire pour faire bon visage et bon voyage.
Avec Palpatine.
11:08 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma
Redoublement avec mention
Une femme qui n'a pas bien vieilli est propulsée dans son passé, au moment des choix qui ont semble-t-il fait d'elle, trente ans plus tard, une actrice ratée, alcoolique, larguée par l'amour de sa vie. Le pitch de Camille redouble n'est pas d'une grande originalité mais la réalisation, parfaitement cohérente de bout en bout, confère au film une justesse pas si commune.
Ce n'est pas le comique né du décalage entre Camille jeune et Camille adulte que recherche Noémie Lvovsky, même si l'on sourit avec elle de (re)découvrir les fringues qu'elle osait porter à l'époque. Le parti-pris de faire jouer les deux Camille par la même actrice l'indique clairement : la continuité de la personnalité prévaut sur la rupture entre deux âges qui s'ignoreraient. On ne perd ainsi jamais de vue le sens de cette plongée dans le passé : une femme qui fait retour sur elle-même. Non seulement les autres personnages la regardent comme une fille de seize ans, mais chaque écart par rapport à l'histoire déjà vécue s'y intègre de manière à la consolider, voire à l'expliquer : l'émotion de Camille à retrouver ses parents vivants passe pour des « effusions de pochtrone » ; le détachement amusé de l'adulte à qui l'on prend son carnet pour y mettre un mot reproduit l'indifférence de l'adolescente en crise contre l'autorité ; quant à son talent d'actrice inné, il s'explique par des années de pratiques...
Lorsqu'elle croit faire dévier son histoire en repoussant l'amour de sa vie, qui ne la connaît pas encore, Camille ne fait que rejouer l'adage « Suis-le, il te fuit ; fuis-le, il te suit ». L'amour est présenté comme une attraction inévitable, contre laquelle il ne sert à rien de lutter. Seule échappatoire pour changer la course des astres : préparer dans le passé une rencontre (avec un passionné d'astronomie) qui, le présent venu, prendra le visage du destin. C'est qu'il aurait été impossible pour Camille de réécrire l'histoire qui l'a construite et qui seule lui permet de savoir ce qu'elle aurait voulu faire autrement.
Comme lui dit l'horloger, passeur entre les époques : il faut avoir « le courage de changer ce qui peut l’être, d’accepter avec sérénité ce qui ne le peut pas et de posséder le discernement nécessaire pour faire la différence entre les deux ». Ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous... On ressort de ce film avec la légèreté que l'on connaîtrait toujours si l'on savait vivre selon la sagesse stoïcienne – vivre sa vie tout en étant détaché, comme si on la vivait pour la seconde fois. Camille redouble et revit pour la première fois.
10:02 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : film, cinéma
21 octobre 2012
Dans le dernier Ozon
Une fois n'est pas coutume, je ne vous raconterai pas la fin. Mais c'est bien parce qu'il n'y en a pas.
Il y a toujours un moyen d'entrer... mais pas de (s'en) sortir, apparemment.
Dans la maison, il y a Raph, le Charbovary que Claude choisit comme camarade-cobaye, Raph, le père de Raph, qui, comme son fils, aime le basket et les pizzas, et Esther, la mère de Raph, qui a « cette odeur particulière des femmes de la classe moyenne » et passe ses journées le nez dans ses magazines de décoration. C'est bien connu, les femmes de la classe moyenne ne travaillent pas et les gamins de tous les collèges publics portent un uniforme à l'anglaise. L'irréalisme fait partie intégrante de la narration : il faut que Claude puisse fantasmer sur une famille pas comme la sienne et que le collégien en reste un en-dehors des heures de classe. Car tout l'intérêt réside dans les rédactions que Claude remet à son professeur de français, à partir de ce qu'il a observé en s'introduisant dans la maison de Raph. D'abord invité par son camarade pour l'aider en maths, Claude passe peu à peu de la chambre de Raph aux autres pièces de la maison, s'immisce dans la vie de la famille puis son intimité.
Heureux d'avoir déniché une plume prometteuse parmi ses élèves, Germain pousse Claude à continuer son récit et à travailler son écriture. La meilleure partie du film réside dans ces savoureux exercices de style où Germain essaye de faire prendre conscience à Claude de la nécessité de se forger un style et où celui-ci adopte tous ceux que son professeur croit deviner dans son feuilleton sur la famille Raph. La superposition de la lecture des rédactions aux images vécues par Claude donne corps à l'écart entre la réalité et sa vision, dont on finit par voir qu'elle est indissociable de cette prétendue réalité première. En effet, le jeu de la famille change selon l'angle de narration adopté : des attitudes et discours stéréotypés choisis pour donner raison au mépris initial de Claude (mépris sublimé en satire par Germain), on passe peu à peu à une expression plus naturelle à mesure que se développe l'empathie de Claude-narrateur (naturalisme pour Germain) pour finir dans le mélodramatique lorsqu'il se met à tout confondre, ses désirs avec ceux de Germain, le sentiment d'être proche de l'autre avec la manipulation d'un personnage, et pour tout dire fiction et réalité (mauvaise série B pour Germain, qui prend peur et refuse de continuer). L'idée est fort bonne, tout comme l'interprétation de Luchini en professeur réac qui déteste les œuvres d'art contemporain qu'expose sa femme presque autant que la médiocrité de ses élèves.
Là où cela se gâte, c'est que Claude n'a aucune idée de ce qu'il veut raconter et le réalisateur, pas davantage. Claude voulait seulement capter l'attention de son professeur ; on a bien volontiers accordé la nôtre au réalisateur qui, après avoir fait monter le soufflé, le tire soudain du feu et le fait retomber d'un coup (un soufflé, ce n'est pas la même chose que des marrons, zut, quoi). La narration du film s'est calée sur celle de Claude : n'ayant pas su s'en détacher au moment critique, elle souffre des mêmes défauts. Le lecteur-spectateur est balloté et finit par se lasser des brouillons de fins qui n'en finissent pas. On avait là la structure idéale pour un « thriller littéraire » – titre que le film aurait mérité s'il avait été jusqu'au bout –, le pouvoir de manipulation est à peine exploité : quelques esquisses de drames familiaux mal préparés dans les brouillons de fins et un sujet de maths volé par Germain, qui entraîne certes son renvoi mais avec une telle précipitation narrative qu'on a du mal à avaler l'hyperbole. Pas de secret de famille dévoilé, pas même un projet de vengeance à l'encontre du professeur : l'édifice narratif, dans lequel on est entré parce qu'il semblait prometteur, n'a en réalité aucun sous-bassement et s'écroule finalement comme un château de cartes – avec comme joker un désir de paternité contrarié. Très contrariant, en effet.
10:20 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, cinéma
18 octobre 2012
Like someone in boredom
Parfois, il ne faudrait pas laisser de seconde chance. Après un Copie conforme mi-figue mi-raisin, c'est carrément le pépin avec Like someone in love.
Une étudiante qui se prostitue se rend auprès d'un vieillard un peu spécial par rapport à ses clients habituels (dont on ne saura rien) : avec un pitch comme ça, je m'attendais à trouver une belle endormie. Elle a beau être belle et s'endormir dans le taxi, c'est raté. Il n'y a pas une once de sensualité dans ce film. De l'empathie, en revanche, il y en a à revendre : la jeune fille remuée de rater sa grand-mère venue passer la journée à Tokyo, le fiancé jaloux qui prend le vieillard pour le grand-père de sa moitié, celui-ci qui endosse le rôle sans moufter et elle encore, angoissé par le quiproquo qui ne peut pas bien finir (mais c'est quand même bien que ça finisse).
On passe du temps au restaurant, comme dans Copie conforme, mais encore plus en voiture, et je me prends à regretter le rythme effréné de Cosmopolis, autre huis-clos sur roues. Certes, la lenteur et la pudeur permettent de s'abîmer dans la contemplation de magnifiques reflets (le mac-business man qui se superpose dans la vitre à sa recrue, les lumières de Tokyo sur son visage à travers les vitres de la voiture, son corps dénudé flou sur l'écran de la télévision – vague idée du grain de la peau), mais la technique ne peut pas faire toute l'esthétique d'un film. Ni les gros plans réitérés sur les visages faire durer l'émotion.
On veut nous signifier je ne sais quelle profondeur ; on se heurte à la surface quotidienne des choses, des êtres et du temps. Car d'ellipses narratives, il n'y en a que très peu dans ce film – une nuit et quelques minutes d'un trajet, qui n'existent pour ainsi dire pas à la conscience de la jeune fille dans le sommeil. D'après Umberto Eco, il existe un moyen narratologique de définir le film porno : le temps du récit est exactement le même que celui de l'histoire. « Entrez dans une salle de ciné : si pour aller de A à B, les protagonistes mettent plus de temps que vous ne le souhaiteriez, alors c'est un film porno. » Like someone in love est un film porno. D'où la prostituée malgré l'absence de sexe. Reste à trouver quel est l'intérêt d'un porno sans sexe.
22:43 Publié dans Souris de médiathèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : film, ciné