30 juin 2010
Tous Coupons Ecoulés
Le Théâtre des Champs-Elysées propose des chèques-cadeaux, ce qui est en soi une bonne idée. Ce qui l'est moins, c'est que les bons ne sont pas même valables un an, seulement la saison et ce, quel que soit le moment de l'année où vous les achetez. A Noël, la moitié des spectacles de danse étaient passés, d'autres à venir affichaient déjà complets, et par-dessus le marché Palpatine, désormais hors tarif jeune, a déclaré le boycott de cette salle. Du coup, il me restait six bons d'une valeur de dix euros chacun. Après avoir vérifié qu'il était également impossible d'acheter avant juillet une place pour la saison suivante, et que le dernier opéra donné, Sémélé, tiré des Métamorphoses d'Ovide, et dont les affiches m'avaient fait de l’œil dans le métro, durait tout de même trois heures, j'ai résolu de revendre mes bons. Autant vous dire que cela n'a pas été une mince affaire.
J'ai fait le guet devant le théâtre pour voir qui, des gens qui passaient, seraient susceptible de se rendre au guichet. Pas les simili-mannequins de taille 36 qui doivent avoir une prédilection pour l'avenue Montaigne. Ni les gens avec poussettes. Pas non plus la fille au sac Sephora. Ni le jeune étiqueté seizième arrondissement. Lorsque quelqu'un pose un pied sur le marbre (ou autre) blanc du perron (parvis ?), mon attention se met en alerte, c'est peut-être le moment de sauter sur ma proie. La plupart du temps, on s'aperçoit que les gens montent les quelques marches pour le pur plaisir d'être en hauteur ; visiblement, la plus courte distance d'un point à un autre n'est pas pour tout le monde la ligne droite. Fausse alerte.
Lorsque, enfin, vous trouvez quelqu'un qui se rend au guichet, et qui n'a pas choisi d'entrer par la porte qui en est le plus éloignée alors que je me suis rapprochée de la première porte après avoir loupé l'arrivée d'une mamie dynamique, l'affaire est loin d'être pour autant gagnée. La personne doit encore réunir un certain nombre de conditions :
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aller acheter une place ; et non pas en échanger (dommage, dame charmante)
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aller acheter une place pour cette saison ; et non pas pour la saison suivante, obstacle qui m'a poussée à instaurer pour première question : « excusez-moi, allez-vous achetez des places pour juin ou juillet ? ». Non s'empresse de répondre une bourgeoise pincée, sans que je sois bien sûre qu'elle ait même entendue la question, comme si la pauvresse que j'étais, en jupe et débardeur sans marque, allait chercher à lui extorquer son héritage.
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comprendre ce qu'est un chèque-cadeaux, et croyez-moi, ce n'est pas comme je le croyais pourtant une pratique entrée dans les mœurs : « Mais, c'est pour quel spectacle ? » ; « On est assis où avec ce ticket ? » ; « Cela donne droit à une réduction ? ». Dans la cas de ma première cliente, une touriste italienne à qui j'ai fait mon laïus en anglais, la langue n'a pas été l'obstacle principal – mais, peut-être parce qu'elle était la plus jeune, elle est de ceux qui ont le plus rapidement compris.
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ce qui implique en même temps d'apprendre pourquoi je les revends ; bons qui finissent cette saison, les spectacles qui me plaisent sont passés.
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être assez aimable pour bien vouloir rendre service ; je n'ai rien à à leur vendre, aucune valeur ajoutée, ce n'est pas une place pour un spectacle quasi-complet, ni une réduction.
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avoir la somme en liquide sur soi
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trouver une place pour le jour et dans la catégorie souhaités ; pas comme la très digne grand-mère anglaise avec sa petite-fille nattée, qui seraient déjà reparties, puisque « samedi » était bien « saturday ».
Il aurait suffit d'une seule place en orchestre. Évidemment, tous mes clients ont pris des places à 12 euros, même si parfois, ô bonheur, ils y allaient accompagnés. Le temps d'expliquer le comment et le pourquoi de la chose à une personne, j'en ai laissé passer une autre qui s'est révélée acheteuse de deux places au parterre ! Consolation : elle a dégainé son chéquier pour régler la somme. Et puis mon client était un monsieur simple mais élégant, qui portait lunettes et parapluie (!), et m'aurait presque fait regretter de revendre mes coupons tant il était enthousiaste : « - C'est fantastique, Semele, pourquoi n'y allez-vous pas ? - Je suis plutôt danse qu'opéra... - Mais justement ! Le baroque ! Cela danse ! C'est le fil directeur de Haendel ! ». Une fois la transaction effectuée (j'aurais du m'en douter, un ninja qui prenait une place à 12 euros en toute connaissance de cause), il m'a souhaité une bonne journée, et « n'oubliez pas, vous pouvez encore changer d'avis ! ».
J'ai démarché les gens pendant environ une heure et demie. A la fermeture des caisses, après qu'un monsieur au crâne rasé, amusé, ait eu pitié de moi (parler aux gens, surtout pour leur demander un service, m'épuise), j'ai envoyé un texto triomphant à Palpatine qui m'a répondu que je m'étais découvert une vocation de commerciale. J'aurais plutôt dit développé des techniques de mendicité ; j'ai vraiment eu l'impression d'importuner un monsieur un peu bourru et bougon, qui ne s'est déridé qu'après s'être fait confirmer par le guichetier que je ne cherchais pas à l'arnaquer (oui, il y a un nom sur le ticket, mais non, paradoxalement, ce n'est pas nominatif, je ne porte de toutes façons pas le nom de ma grand-mère qui y est inscrit). C'est là qu'on voit à quel point le système est crétin : je ne pouvais pas échanger mes bons, mais les manipulations auxquelles je me suis livrées n'ont posé aucun problème, s'il est vrai que je ne me suis pas cachée du guichetier et que celui-ci, au cinquième bon, a confirmé au monsieur réticent que c'était possible, et qu'en plus cela m'arrangeait (les ouvreuses du TCE sont parfois mal-aimables, mais grâce soit rendue au guichetier !). J'aurais très bien pu déposer les bons, qui auraient été comptés pour les places suivantes achetées en liquide, et récupérer l'argent. Dura lex, sed dura.
08:33 Publié dans La souris-verte orange | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : boulet power
Commentaires
Oh! Sémélé! Cette affiche aussi m'a fait de l'œil pendant un bout de temps dans le métro. Ou plus exactement, le nom de Haendel associé à cette photo d'un décors à l'air des plus "baroques modernisés" m'a fait trépigné pendant plusieurs semaines. Mais je n'ai pas cherché plus avant, savant à l'avance le prix des places au théâtre des Champs-Élysées.
N'empêche, le Monsieur avait raison. Et Haendel est un dieu. ^^
Écrit par : inci | 30 juin 2010
Je reviens de la première de cette Sémélé, qui était plus que chouette, et il y avait même un chorégraphe dans l'équipe de production... (mais pas de quoi enthousiasmer un(e) balletomane)
Écrit par : Joël | 01 juillet 2010
Inci >> C'est à toi que j'aurais dû refiler les bons, alors, mais mon neurone ramolli par la chaleur n'a pas connecté Sémélé - baroque- Inci.
Joël >> Vous cherchez tous à me faire regretter, ou quoi ? J'ai lu votre compte-rendu et je crois que l'idée d'un premier acte statique me fait un peu peur.
Écrit par : mimylasouris | 01 juillet 2010
> Vous cherchez tous à me faire regretter, ou quoi ?
Il y a peut-être un peu de ça. (De toute façon, il y a tellement de bons spectacles à voir qu'il faut bien en sacrifier quelques uns parfois.)
Écrit par : Joël | 01 juillet 2010
Ah ouais, ça me semblait bien l'ultime galère cette affaire, je suis vraiment fier de toi ! :p (et en multilingue, en plus ! :o )
Écrit par : palpatine | 07 juillet 2010
Joël >> Voilà. A la place, j'ai fait semaine russe avec le ballet de Novossibirsk et l'hommage de Preljocaj à Versailles.
Palpatine >> Gniiiii ^^
Bon, je te rassure, j'ai losé à me replacer au gala des étés de la danse.
Écrit par : mimylasouris | 10 juillet 2010
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