08 octobre 2009
Giselle 1/2
Un article pour que Layart se retourne dans sa tombe (tu peux lire la troisième partie qui n'est pas balletomaniaque - enfin dans son traitement, parce que l'objet, c'est tout autre chose !)
Le spectre de la blanche Giselle
C’était en 1997, me rappelle le programme de l’opéra, le plus à gauche de la rangée, que j’allais pour la première fois à Garnier voir un ballet. Une initiation des débuts, on pourrait presque dire, dans la mesure où Giselle, avec la Sylphide, est l’une des pièces les plus anciennes parmi celles qui sont régulièrement données.
Je me souviens n’avoir pas compris grand-chose à la pantomime du premier acte, ce qui ne m’avait pas dérangé le moins du monde, et ne pas avoir vu passer le deuxième acte, complètement hantée par les fantômes des Wilis, sauf lors des traversées en arabesque où le troupeau de pointes m’avait quelque peu tirée de ma rêverie - d’autant plus profonde que les menés de Myrtha dans toute la largeur du plateau étaient si rapides qu’à l’œil nu, les pieds semblaient de confondre : je vous aurais parlé à l’époque de déplacement sur roulette ; aujourd’hui, pour éviter la connotation découpe de pizza (comment ça, je suis trop allée sur le blog de Morpheen ?) assez peu approprié au romantisme de la pièce, je préférerais dire qu’elle glissait.
Il est assez amusant de constater que le souvenir m’en est encore très présent un peu plus de dix ans plus tard (si ce n’est pas étrange de pouvoir dire ça !). Je ne vous raconte pas cela dans le but de faire un billet 2 en 1, (pour ça, il y a le shampoing) mais pour pouvoir comparer les interprétations, tout en gardant en mémoire la différence de perception inévitable, puisque la fréquentation de ballets en donne une vision plus précise, à la fois plus technique et plus artistique. Quand on est plus petit et qu’on ne vous l’explique pas, vous ne vous apercevez même pas que l’ordre d’un pas de deux est codé ; je ne « découpais » pas les variations, n’ai vu aucune « scène » de la folie. D’une certaine façon, j’étais peut-être immédiatement plongée dans l’aspect dramatique de Giselle ; la danse était directement significative. Ne vous méprenez pas, elle l’est toujours – simplement, je suis à présent plus en mesure de déterminer en quoi.
Bref, en dix ans et des spectacles, le jugement esthétique se forme et acquiert plus de fermeté, et Giselle m’est beaucoup plus familière de ce que mon professeur de danse l’a montée il y a deux ans. Dans une version allégée, il va sans dire, sauf pour Giselle (mon professeur) et Albrecht (un garçon du corps de ballet de l’opéra). J’étais pour ma part bien contente de ne pas écoper des chats six de Myrtha. Mais pour simplifié que ce soit, cela n’empêche pas d’être initié à un style, de s’être imprégné de la musique, et de savoir où se situent les difficultés techniques (ou comment, du haut de mon coup de pied pas terrible et de mon en-dedans caractéristique, je vais jouer à la Wilis critique et implacable).
Déchiffrer un nom sur la tombe : et la gagnante d’un linceul est…
Retour en 2009, mardi dernier. 1ères loges de côté, c’est la contorsion assurée, mais également la seule manière de voir Aurélie Dupont quand on se réveille aussi tard que moi. Je croyais faire une overdose de Giselle, mais quelques billets de Palpat’ et d’Amélie, plus une vidéo de B#2 m’ont donné l’envie d’y retourner. La première fois que j’ai vu Aurélie Dupont, c’était également avec un billet sans visibilité (j’avais supplié le guichetier de me vendre une place : « mais vous n’allez rien voir » « mais si, c’est pas grave ». Effectivement, un torticolis et un replacement plus tard, j’avais manqué un tiers de la scène au premier acte et m’était replacée convenablement au second) ; heureusement que Le Parc est là pour m’assurer qu’il n’en sera pas nécessairement ainsi à chaque fois. A cela s’ajoute que la distribution indiquait à l’origine Agnès Letestu, qui, souffrante, s’est vue contrainte d’abandonner son mari à Aurélie Dupont. J’apprécie beaucoup Letestu (dans la Bayadère, wow !) ; son air froid aurait été parfait dans le second acte, mais je l’imagine assez mal dans le premier : le côté jeune fille minaudant s’accorde assez peu avec cette magnifique grande perche, qui doit quelque part le sentir, parce qu’elle arrondit curieusement les épaules (que, dans la vidéo de Paquita, j’ai envie de saisir à deux mains pour les remettre vraiment droites). J’ai donc été bien contente du changement de distribution…
La réincarnation de Myrtha en spectatrice
La soirée s’annonçait déjà bien grâce au spectacle ; il a été redoublé par la présence dans la loge d’une dame au caractère bien trempé. Grande, mince et nerveuse, on l’aurait dit professeur de flamenco si la sévérité n’avait pas remplacé la fougue. En traversant les années, elle a dû se dessécher sur place, toujours très droite. Elle fait sentir dans son maintien qu’elle est là dans son plein droit. Elle dégage une femme qui s’était collée à elle sans gêne, arguant d’un ton autoritaire que c’est là sa place et qu’elle a besoin de son espace vital. Cela ne l’empêche pas d’être charmante, mais avec qui elle veut et surtout quand elle veut. Elle m’informe de ce qu’elle est habituée, et qu’elle va se mettre là (elle tapote le rebord de la loge, sur lequel il doit effectivement être possible de s’adosser), elle connaît par cœur (les places de l’opéra ou le ballet, probablement les deux), on a une meilleure visibilité. Elle me propose donc aimablement son fauteuil, quoique toujours très directive : « vous attendez, vous vous mettrez là une fois que l’orchestre sera installé » (tant que la lumière est allumée, il convient de rester assise – et droite). Je n’accepte pas, j’obtempère ; une fois dans le noir et l’entrée du chef applaudie, je peux prendre place selon la procédure qui a été définie. Palpatine est invité à se rapprocher d’elle, à peu près à l’endroit d’où l’autre femme s’était fait dégagée.
Le spectacle n’occulte pas son personnage, bien au contraire. Elle est la première à applaudir les étoiles quand elles entrent (temps de réaction extrêmement court ; lorsqu’elle conduit, elle doit piler aux feux rouges), d’un claquement de mains qui lui est bien personnel : régulier, pas du tout emporté, mais extrêmement sonore – fracassant. Ses mains claquent bien plus qu’elle n’applaudit. Elle pourrait d’ailleurs lancer une claque sans grande difficulté : elle sait qui et quand applaudir, me menaçant de surdité (mon oreille est à la hauteur de ses mains) aux variations des étoiles, se gardant bien d’applaudir quand elle juge que cela nuirait au bon enchaînement, et omettant superbement de battre des mains, même de façon molle et conventionnelle, lorsque Emilie Cozette salue.
Ce qu’elle n’aime pas, elle l’ignore sans pour autant le laisser ignorer à ses voisins. On la sent complètement crispée lors du pas de deux des paysans, et chaque maladresse lui tire une réaction discrète mais ostensible (soupir, mouvement de la tête que je sens bouger au-dessus de moi mais vers laquelle je n’ose pas me retourner, mot de désapprobation). Le verdict du juge suprême est sans appel ; j’en ris presque, et hésite sur mon attitude envers l’accusé entre compassion et gratitude. C’est que Marc Moreau nous gâte : les atterrissages des tours cinquième se font en troisième dans le meilleur des cas, et notre angle de vision, nous le montrant de profil, ne lui laisse aucune chance dans ses entrechats, où tout son corps semble gondoler.
Pendant le deuxième acte, elle me tapote sur l’épaule et je retiens mon souffle en me demandant quel crime de lèse-majesté j’ai bien pu commettre, puisque je suis pliée en deux pour voir sans déranger. « Si vous avancez votre siège, vous n’aurez pas besoin de vous pencher ». J’avais préféré jusque là ne pas bouger : imaginez un peu que ce faisant j’ai shooté dans les pieds de ma bienfaitrice… déjà qu’à la fin de l’entracte deux dames s’étant trompé de loge s’étaient faite incendier pour s’être retirées un peu précipitamment : « la porte ! », avait-elle rugi d’une voix sans appel, un peu comme quand un passager peu philanthrope somme le conducteur de bus de ne pas lui faire manquer sa descente. Mais mes désirs sont des ordres… enfin, ses ordres comblent mes désirs, je m’avance.
Elle aurait du descendre sur scène, elle aurait été absolument parfaite en Myrtha.
12:19 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : danse, ballet, chorégraphie, garnier
Commentaires
Allier billet de réflexion sur un ballet, mise en perspective avec le souvenir que tu en avais, et considérations sur la "comédie humaine" incarnée cette fois-ci dans cette spectatrice si terrible - l'idée est non seulement excellente, mais aussi réussie, une fois de plus.
Jvais aller fureter dans le programme de l'Opéra de Lyon.
J'aime bien quand tes posts sont longs.
xoxo
Écrit par : Bamboo | 08 octobre 2009
J'ai juste été déçu qu'elle parte si vite, mais la prochaine fois, j'en fais mon amie ! :) (elle est trop terrible, ouais :p )
Écrit par : palpatine | 20 octobre 2009
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