15 février 2009
Suite en blanc/l'Arlésienne/le Boléro
Vendredi soir, histoire d’entrer de plein pied dans les vacances, sortie à l’opéra avec une amie-de-la-danse-élève-infirmière-future-presque-pilote-de-chasse (à côté de sa vie, la prépa est une petite promenade de santé), des discussions à la grande semaine, un tour à la Brioche Dorée avant le spectacle, et des tentatives pour retrouver certains mouvements dans le métro ensuite – merci de ne pas essayer de visualiser.
Au programme, une soirée en trois parties et trois sous-parties :
Suite en blanc, de Serge Lifar
Cela faisait plusieurs années que j’avais envie de le voir ; les photos de ce ballet sont si alléchantes… effectivement, il est chorégraphié de telle sorte que tous les mouvements présentent des architectures de poses, des symétries de groupe… bref, des compositions de tableaux qui doivent faire les délices faciles d’un bon photographe. Pas nécessairement des danseurs. Les ensembles du corps de ballet sont réglés comme du papier à musique, pas de fausses notes pour les hommes en croches noires ni pour les blanches ; en revanche, les solistes… Je sais que ce ballet est dur, extrêmement compliqué à danser, qu’il requiert une redoutable précision et une technique ciselé, je le sais. Mais justement, je ne veux pas le savoir. Il doit y avoir une bonne raison à ce que ce soient eux en scène. Je suis une spectatrice égoïste, enfoncée tranquillement dans le confort de son fauteuil de velours rouge, et je ne veux pas craindre pour l’équilibre de la soliste ou redouter avec elle un tour. Je ne veux pas le savoir. Je veux que l’on me donne l’impression que rien ne peut arriver – des pointes de fer, une énergie d’acier- quand bien même, à prendre des risques, on risque de ne pas tenir sur sa pointe : je préfère infiniment Myriam Ould-Braham, qui a certes eu un quart de seconde de défaillance dans le pas de cinq qu’elle a par ailleurs dansé avec brio, à la prestation extras non compris de Muriel Zusperreguy dans Sérénade (suspens pour savoir si elle va se décider à relever en attitude) ou de Mélanie Hurel dans la Flûte. (I know, je suis à peine partiale. Que voulez-vous, j’ai mes têtes dans les danseurs, au point de soutenir mordicus que Mathieu Ganio n’est vraiment pas top ou que Marie-Agnès Gillot n’a pas du tout l’air d’une grande gigue perdue dans un tutu et une chorégraphie archi-classique.)
Trêve de mauvaise foi : Agnès Letestu était classe, toute en volutes, dans la variation de la Cigarette (il y avait une espèce de détourné que j’adore – et qui lui arrachait à chaque fois un petit sourire, ce qui n’est pas du luxe chez elle) et nous avons pu constater avec Ombeline (ma copine-de-danse-future-presque-pilote etc.) que Jérémie Bélingard a une sacrée présence. Et j’adore la fresque des hommes en seconde décalée, au fonds au dessus des escaliers, ou des danseurs qui rentrent en avant-scène en sixième. Ou la soliste en pilier du manège des hommes ou la même qui déboule d’un duo d’homme en tour vers un autre en chat six (ou l’inverse, je ne sais plus), comme une bobine qui se déroule. Ou… je vais plutôt essayer de vous mettre une vidéo [ou pourquoi j’aurai passé la moitié de mon après-midi sur ce compte-rendu d’impressions].
A part Letestu dans la variation de la Cigarette, les vidéos de notre ami qui nous veut du bien youtube ne sont pas celles de la distribution que j’ai vue, et entre nous, vous ne perdez guère au change, et même, tout le contraire, puisque j’ai déniché Aurélie Dupont dans la Sérénade et Nicolas Leriche dans la Mazurka.
L’Arlésienne, de Roland Petit
J’avais déjà vu ce ballet il y a deux ans mais, soit que les interprètes n’aient pas été très bien choisis pour leur rôle, soit qu’ils aient été éclipsés par Abbagnatto/Leriche dans le Jeune Homme et la Mort (petit cri de groupie) ou Lucia Lacarra dans Carmen (petit soupir de groupie), le ballet ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable. Limite à me dire, dommage qu’il soit dans la programmation. Ce qui aurait été dommage, c’est de ne pas voir cela. Eleonora Abbagnatto faisait tout sauf blonde cruche comme les blés, en jeune paysanne essayant de ramener à elle – ou à la vie, plus essentiellement- son fiancé, qui, loin de sombrer dans une folie gratuite, comme j’avais pu le penser à la première représentation, nous entraîne à sa suite dans une démence poignante. Vraiment, Manuel Legris était dément : son visage qui ne rencontre jamais celui de sa fiancée que par un désagréable hasard, le regard toujours fixé droit, au loin, abstrait de son entourage qui le repousse toujours vers la jeune fille, tournant le dos, au propre comme au figuré, à tout public, face au décor tourmenté à la Van Gogh, en proie à un invisible mais profond malaise qui culmine dans le solo de la fin, tension accumulée, manège de l’esprit comme un lion en cage, diagonale d’attaque ultime en grands jetés – fleuret, pas d’échappatoire sinon par la sortie finale, par la fenêtre, hors-scène du monde, suicide.
Pourtant absent, il vient chercher chaque spectateur et l’entraîne à sa suite dans son destin, que l’on n’hésiterait pas à qualifier de tragique si ce mot n’était pas interdit aux paysans (un Dieu déguisé en berger, encore…) et ne traînait pas avec lui des restes de grandiloquence. Plutôt atrocement simple. Simplement grave. Quelque fêlure ou désaxé ou toute autre littérature qui vous viendra à l’esprit.
Pas étonnant donc que Manuel Legris ait récolté d’abondants applaudissement. Eleonora Abbagnatto reste un peu en arrière-plan, et son personnage, tout à fait en plan (I know, c’est nul, mais je ne peux pas m’en empêcher) ; non moins magnifique cependant (pourquoi n’a-t-elle toujours pas été nommée étoile, d’ailleurs ? alors que d’autres tout à fait incolores…). Tout de suite, la chorégraphie m’a bien davantage emballée que la première fois. Même, j’ai tout aimé, des ondulations champêtres de la ligne des paysans à la main figée de Vivette lorsque Frederi retire sa tête et s’éloigne. Parce que la pièce est tirée d’un drame de Daudet et que ruralisme et amour de nos campagnes éternelles oblige (à des noms pittoresques). En lisant dans le programme le nom de Mistral, j’ai eu une bouffée de poly, l’occitan littéraire, Mireille, Mauras, tout ça. Mais cela ne m’a pas dérangée une seule seconde, parce que, outre que le pittoresque est très épuré dans le ballet, je lis toujours le programmes après la représentation – sauf ballet explicitement narratif, avec moult reconnaissances, refus, trahisons et autres subtilités, que la pantomime ne me laisse pas toujours très bien comprendre (un peu comme lorsqu’on va voir une pièce de Shakespeare dans le texte, on essaye d’avoir une vague idée de l’intrigue pour suivre un minimum les travestissements divers et variés autrement qu’avec les yeux rivés sur le prompteur). Et, première découverte (les découvertes sont nombreuses pour les gens pas très finauds), si Frederi ne fait guère attention à Vivette, c’est que ses pensées sont toujours dirigées vers une Arlésienne – et tenez, voici un titre ! Gourde que je suis, je ne m’étais jamais posé la question, tout au plus postulant que ce devait être une musique particulière. Pas un seul instant je n’avais supposé que cet homme dégagé de la vie s’était simplement fait dégager par sa belle. Et, en narrant cette révélation au petit-déjeuner, seconde découverte (oui, vous pouvez dès à présent constater que je ferai mentir le proverbe) : l’arlésienne est la personnification même de l’Absente. Passé dans le langage familier en référence même à la pièce de Daudet (Larousse dit en référence à l’opéra de Bizet, mais comme la musique est venue après la pièce… si l’on doit en juger d’après ma nouvelle teinte de cheveux, il ne faut pas faire confiance aux rousses). Ce genre de découverte a toujours des allures de révélations ; un peu comme le jour où j’ai vu que le sigle de la SNCF a encerclé le tracé de la Seine car il reproduit un profil… on est certes loin de faire dans la révélation mystique. Il n’empêche que c’est très astucieux de ne définir qu’en creux l’Arlésienne : « Il n’y a pas d’Arlésienne dans ma pièce : il n’y a que son ombre. On en parle, on en meurt, mais on ne la voit pas. » Elle est cette fissure ouverte dans laquelle s’engouffre l’interprétation angoissée du spectateur.
Le ballet est intégralement visible, mit Manuel Legris (dont l’interprétation a cependant largement mûrie depuis cette vidéo un peu ancienne – ça veut dire allez donc le voir danser en chair et en os pendant qu’il en est encore temps ; il doit être proche de la retraite si je ne m’abuse).
Le Boléro, de Ravel/de Béjart (difficile ici de ne pas enchaîner le nom du compositeur)
Tout le monde connaît la musique. Beaucoup ont aperçue la chorégraphie de Béjart dansée par Jorge Donn dans les Uns et les Autres de Lelouche. Certains l’ont peut-être regardé interprété par Nicolas Leriche à Noël, sur la 3 (voire enregistré pour certaines^^). Une fille de la classe a été le voir et, quêtant une approbation/explication, m’a dit avec de grands yeux choqués « Mais, c’est sexuel ». Je veux bien admettre que, l’ayant vu dansée par une femme (si ça se trouve elle a eu la chance de voir ce que rendait Gillot dedans), la scène se charge d’encore plus d’érotisme et que cela ne soit pas dans l’horizon culturel d’une versaillaise type, mais enfin… quelle danse ! (vous avez le droit de remplacer cette banale exclamation par la suite de juron de votre choix, qui, dans votre vocabulaire personnel, exprime l’intensité de votre admiration) Oui, c’est de l’énergie à l’état pur, oui, on la dirait animal, oui, c’est sensuel, érotique, si vous voulez, mais c’est aussi une force pas possible, une joie lancinante, un charisme qui se déchaîne et s’offre sur une espèce de scène-estrade-trampoline rouge, entouré d’hommes toujours plus nombreux. Avec un danseur sans présence, ce doit être absolument vide de sens, ne provoquer aucune sensation. Sans parler du crescendo de la danse/musique et de l’endurance qu’il requiert, il faut avoir une présence de malade un regard pour soutenir les premières mesures où la lumière n’éclaire que les mains, qui peu à peu façonnent et laissent deviner le corps du danseur quasi-immobile.
Je n’aurais pas parié sur José Martinez – et j’aurais perdu. (Même si j’aurais aimé admirer Leriche ou faire monter sur l’estrade Karl Paquette qui dansait juste devant, pour voir ce qu’il donnait là-dedans, s’il aurait pu tenir la pièce. Oui, parce que, « en vrai », on remarque davantage les danseurs que dans toutes les prises de vue, forcément centrées sur le soliste – et cela lui donne encore plus de vigueur )
Pleins de versions différentes versions sur youtube : celle du film est peut-être la plus abordable pour des non-fans de danse, vue qu’elle est bien filmée, avec le décor grandiose fourni par la Tour Eiffel ; mais aussi avec les danseurs de Béjart, la version en noir et blanc, magnifique de Jorge Donn… une qui est un habile montage des versions masculine et féminine avec dans cette dernière Elisabeth Ross (vous pouvez également ajouter un petit cri d’admiration pour cette géante dotée d’un charisme à sa taille) … et aussi Maya Plysestkaya (orthographe non garantie)
J’ai été un peu longue, je vous l’accorde, et encore, j’aurais pu m’extasier un peu plus sur Bizet ou vous faire part de mes récriminations concernant la façon dont est filmée la danse, mais je réchaufferai cela dans un autre post. En attendant, bon visionnage !
17:53 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : danse, ballet, opéra
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