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31 décembre 2007

Casse-Noisette, pas d'étoiles mais des flocons

        Nous avions décidé avec deux amies d’aller voir Casse-Noisette à l’Opéra. Il était moins une, c’était la dernière. Dans ma grande naïveté, je pensais que j’aurais des places de dernière minute (à visibilité réduite, vous savez, le truc où vous ressortez avec un torticolis, mais aucune importance, vous avez pu voir – à peu près) aussi facilement qu’à Garnier j’en avais eu pour la Dame aux Camélias. Mais les places debout à 5 € de Bastille ne sont pas à visibilité réduite. En soi, c’est plutôt une bonne chose. Seulement, cela se sait (pourquoi ne suis-je jamais au courant de rien ?). Donc lorsqu’on se pointe comme des fleurs une demi-heure avant l’ouverture des guichets, il y a déjà largement de quoi pourvoir les fameuses 62 places. Il faut dire que l’on cumulait : samedi soir de vacances et dernière (j’excepte la soirée du réveillon où les places sont exorbitantes et j’imagine complètes cinq minutes après l’ouverture des réservations) d’un des ballets les plus connus, les plus populaires et qui plaisent le plus aux enfants comme aux non-connaisseurs (rien que les costumes valent le déplacement), dernière également d’un ballet dont nombre de représentations ont été annulées à cause de grèves du personnel (oui, personnel est au singulier, même s’il y avait des techniciens au pluriel). Là, j’allais maudire ma naïveté, lorsque Melendili a aperçu dans la file d’attente une khâgneuse de notre classe. Qui, après l’échange de quelques courtoisies hurlées pour cause de séparation par escalier, a accepté de nous prendre des billets, chaque personne ayant le droit à deux places. La troisième copine qui devait nous rejoindre a accepté de rester sur Versailles, et ceci constitue le deuxième volet de nos aventures extraordinaire.
    [Ce n’est que partie remise, s’était-on dit. Nous irons demain voir Paquita au Palais Garnier. Mais avec notre sens aigu de l’organisation, nous avons réalisé quelque demi-heure avant le début de la représentation de matinée qu’il n’y avait pas de représentation ce soir-là. Et bien évidemment, c’était la dernière. D’où que nous nous sommes simplement vues à la maison. Mais mon sens de l’organisation désormais légendaire a cependant réussi à dénicher la cassette du ballet en question, dont je ne soupçonnais même pas l’existence.]

            Je reviens à Casse-Noisette. Figurez-vous que les places debout, dans des boxes au fond du parterre sont sans commune mesure avec les places à visibilité réduite de Garnier. Chose extraordinaire, vous voyez vraiment. Evidemment, être grande ne gâche rien, et les talons, s’ils aident à vous flinguer les reins, sont plutôt bienvenus pour voir par-dessus la tête du Russe qui fait le pied de grue devant vous. Toujours est-il que lorsque Noël commence sur scène, on est happé par le spectacle et que lorsque les lumières se rallument pour l’entracte, 50 minutes après le lever du rideau, Melendili me souffle « Déjà ? ». Je n’ai pas vu le temps passer non plus. 

Les flocons

            Finalement, être assez loin de la scène a aussi son charme. On cesse de se focaliser sur telle variation, de se pâmer devant la propreté du bas de jambe, de soupirer devant la hauteur des levers de jambe pour saisir la géniale chorégraphie du corps de ballet et les variations dans leur ensemble. Je ne sais pas si c’est le recul spatial ou temporel qui permet cela, toujours est-il que le ballet m’est apparu dans une plus grande lisibilité. L’habitude de la pantomime, de la musique et de la structure d’un ballet y aident sûrement. Quand vous êtes un môme de huit ans qui va à l’Opéra pour la première fois, l’ordre réglé du pas de deux, par exemple, vous échappe. Vous vous laissez emporter au gré des valses et des manèges – la tête vous tourne lors des fouettés. Puis, au fur et à mesure des représentations auxquelles vous assistez (et des cassettes que vous vous passez en boucle), le ballet cesse de faire un tout homogène : vous y distinguez les ensembles, les pas de trois,  les variations, et à l’intérieur, les pas, les reprises et finalement les thèmes qui caractérisent les personnages principaux. Arrive ensuite un moment critique où on se laisse hypnotiser par les chats 6 impeccablement battus, les développés seconde aux oreilles et les équilibres interminables. C’est la période de la danseuse amateur qui n’est pas assez connaisseur pour être amateur au sens noble du terme. Vous appréciez certes le spectacle, mais comme un juge, qui pour ébahi qu’il soit n’en oubliera pas moins ses maniaqueries du juge. Le ballet flirte avec la performance de cirque. Puis quand vous vous êtes quelque peu habitué à la surenchère de batterie, de levers de jambe et de coup de pieds démesurés, abreuvé d’exploits techniques sur U-Tube, vous pouvez alors devenir l’amateur qui aime simplement ce qu’il voit. Vous ne vous demandez plus ce que signifie tel geste de pantomime comme le novice, vous ne décortiquez plus (du moins plus systématiquement) la chorégraphie, mais au contraire, celle-ci fait sens. Des langoureux déhanchés de la danse arabe aux équilibres décalés de Clara tiraillée par ses visions cauchemardesques, tout est clair – brillant même.

            Et toujours en ressortant l’envie de danser, de travailler la variation de Clara après la valse des fleurs, celle avec les emboîtés retenus, presque retardés, comme si on avait remonté une horloge et qu’elle arrivait au bout de sa course, une fin de rêve qui s’étiole en douceur. Une étoile filante ; un vœu : après glisser comme une ombre dans le troisième acte de la Bayadère, je voudrais devenir un flocon. Des envies d’éphémère.

           

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