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26 octobre 2011

Lullaby, avec Poésy

Au début du générique, une femme déboule par erreur dans la chambre d'hôtel de Sam ; à la fin du générique, ils sont mariés depuis un an ; au début du film, elle est morte. Sam arrose d'alcool sa triste liberté et attend à l'hôtel un signe téléphonique de la défunte. Alors forcément, quand une autre femme, blonde cette fois, déboule dans sa chambre pour échapper à son soupirant-poursuivant et s'enferme dans sa salle de bain, il ne s'étonne plus de rien et demande tranquillement à échanger leurs places pour aller pisser. Piss off.

La rencontre, contre la porte, est abracadabrante ; la relation s'installe dans l'invraisemblable, jeu indéfini dans lequel Pi, c'est la jeune femme, n'a de cesse de subtiliser les clés au gérant de l'hôtel pour aller s'enfermer dans la salle de bain de Sam. Sans savoir qu'il a abdiqué des talents de musicien depuis la mort de sa femme, elle lui demande de chantonner pour elle, pour sentir une présence sans risque d'être touchée. La berceuse apaise Pi ; elle endort aussi l'âme endolorie de Sam. Pi en profite pour se faufiler hors de sa cachette, ne laissant derrière elle qu'un polaroïd... de Sam endormi. Elle l'a pris, pris en compte. Et si l'amour naissant ne nous renvoie jamais que notre propre image, elle lui permet néanmoins de se retrouver. Car si la porte fermée est pour Pi prétexte à ne pas sortir du monde rassurant des fantasmes, elle permet à Sam de se reprendre en main. C'est une chance pour lui que leur ébauche de couple n'aille pas main dans la main mais dos à dos, comme deux prisonniers ligotés à leur passé, qui prennent appui l'un sur l'autre pour se relever avant de (se) faire face.

 

 

Face à face forcément violent, porte enfoncée, irruption d'une alterité imprévue, totale. Et pourtant, après le réflexe de la fuite, Pi revient vers l'inconnu. L'un et l'autre ne s'émerveillent pas de leurs points communs, que les amoureux énumèrent habituellement avec plaisir, comme s'ils étaient à l'origine de leur affinité ; ils découvrent avec bonheur (un peu de peur, aussi, peut-être) toutes leurs idiosyncrasies et leurs petites lubies, aiment directement leurs différences et leurs différents, tout ce qui démontre à chaque instant un amour qui pourrait très bien ne pas être. A l'image de la porte qui a construit leur relation, ils aiment ce qu'il y a entre eux, qui les sépare et les soutient. Second temps de l'amour qu'ils ne réalisent qu'en arrivant au premier, celui des visages et des étreintes. Mais alors, la façon dont Sam (Rupert Friend) la rapproche de lui dans le lit dont elle vient de tomber, petite cuillère qu'il prend soin de ne pas faire tinter... et le visage de Clémence Poésy, plus vélane que jamais, grands yeux ronds, ronds et brillants, ronds au-dessus de pommettes saillantes où se trouve un grain de beauté comme un des éclats de peinture sur ses mains. J'ai un faible pour les profils gauche à grain de beauté et pommettes saillantes. Petite lubie pour Lullaby.

 

25 octobre 2011

My Blueberry Nights

Dans ce film de Wong Kar-Wai, les nuits sont pleines de néons oscillant entre le bleu et le rose, entre blues et bluette. Nuits d'un bleu de myrtille écrasée où les sentiments tremblottent comme de la gelée. Blueberry : je pensais muffin, c'est en réalité de tarte dont il s'agit. Mais pomme, fraise ou chocolat, la myrtille vient toujours en second choix, celui qu'on ne fait pas. C'est ce sur quoi on se rabat, en se disant pourquoi pas. C'est ce qu'Elizabeth engouffre sans manières, mastiquant sous le regard de Jeremy, jeune patron d'un bar paumé qui a voulu lui remonter le moral ou peut-être le coeur, à grand renfort de chantilly. C'est ce que Jeremy continuera à préparer, et à jeter, chaque jour qu'Elizabeth (mais Norah Jones lui va beaucoup mieux) passera à errer dans sa propre vie. Jusqu'à ce que toutes les ruptures soient consommées, que le client alcoolique dont elle est la serveuse favorite soit quitté par sa femme et quitte la vie, que la joueuse de poker qu'elle a rencontré n'ait pas pris le temps de voir son père la quitter. Alors, alors seulement, elle peut renouer avec sa propre rupture ; alors, Jeremy a jeté le bocal de clés que des clients, qu'Elizabeth, lui avaient laissées. Des portes se sont fermées et l'on peut enfin en ouvrir d'autres sans être pris dans des courants de faux airs. La tarte aux myrtilles, dont personne ne voulait, trouve finalement une bouche de premier choix. Jeremy la préparait par habitude : il s'est habitué à Elizabeth. Pourquoi pas : pour toi.

04 septembre 2011

Dark city

[À moins que vous n'habitiez cette dark city, ne lisez pas avant d'avoir vu le film - soit dit en passant, merci à ma DVDthèque privée de m'avoir conseillé ce que je n'aurais pas spontanément choisi de visionner.]

Dark city débute par une sombre histoire d'assassinat, embrouillée au possible. L'obscurité n'est éclaircie que pour apercevoir le demi-visage d'une femme fatale, l'autre moitié retranchée derrière le rideau de tôle ondulée de ses cheveux de jais, ou l'ellipse d'un feutre incliné de manière à laisser le regard dans l'ombre. On avance à tâtons et, n'étant pas dans une salle obscure, j'ai la tentation d'éteindre la télévision. C'est alors que le film noir annonce la couleur comme une conséquence de la science-fiction : un groupe d'extraterrestres cherchant à comprendre l'âme humaine maintient la ville dans une nuit indéfiniment répétée. À chaque minuit, ils ouvrent un abîme entre hier et demain et y précipitent toute continuité spatio-temporelle. Les immeubles poussent comme des champignons et les existences des habitants sont manipulées. Tel couple de classe ouvrière est bombardé aristocrate, tandis que tel individu honnête se voit injecter en une seringue les souvenirs d'un meurtrier (John Murdoch – like the gothic novelist – as an occasional murderer). La permutation des existences permet au film de réaliser une belle expérience de pensée : un passif criminel fait-il de l'homme un meurtrier ? Plus largement : l'individu est-il déterminé par son passé ? Est-il possible de distinguer une vie de celui qui la mène ? Ou l'homme n'est-il que la somme de ses souvenirs ? Le film répond à sa manière lorsque Murdoch indique son front : ce n'est pas (uniquement) là, dans la raison et la mémoire, que loge l'âme humaine. Et de suivre son cœur pour organiser une nouvelle rencontre avec celle qui a perdu la mémoire après l'avoir aimé quand lui-même avait perdu le souvenir de leur histoire – la sensation contre l'illusion.