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13 mars 2011

Une Cendrillon allumée

La pauvre Cendrillon de Massenet, avec feu sa mère, n'a pas dû bien finir son Œdipe : c'est son père1 qui lui tient lui de femme de chambre pour l'aider à se mettre en chemise de nuit, et c'est aussi lui qui la réveille d'un (chaste) baiser lorsqu'elle se met à jouer à la belle au bois dormant, après une scène assez délirante à la Ophélie, près d'un chêne sacré, où elle retrouve la chanteuse travestie qui lui tient lieu de prince charmant. Elles ils peuvent chanter d'une même voix, c'est très très plat platonique ; le prince ne prendra même pas son pied à la fin, la pantoufle n'étant pas dans cette version un instrument de reconnaissance (le souvenir près du chêne est assez fidèle forcément, un chêne... pour qu'ils s'identifient à vue) mais de dissimulation, qui permet à l'apprentie princesse de ne pas être démasquée par ses belles-sœurs et belle-mère. C'est à ces dernières, affublées de tics nerveux qui les font ressembler à des mouches épileptiques (et que je me gratouille la collerette), que va ma préférence. Pour leurs voix mais aussi parce que, quelle que soit la version, leur manège à trois me fait toujours rire. En prime, nous avons droit ici au père tétanisé qui hoquète « un jour, enfin, chez moi / Enfin, je finirai par être maître ! »

 

Allumée, Cendrillon l'est aussi de façon très littérale. Créé lors des débuts de l'électricité, l'opéra a été conçu comme une féerie et, pour tenter de nous restituer l'émerveillement d'alors, on n'a pas lésiné sur les ampoules. On passera sur celles qu'auront peut-être aux pieds les danseuses pataudes (on ne met pas de pointes quand on ne sait pas en faire, c'est juste bruyant), voire sur celles qui illuminent la robe de bal de Cendrillon (on dirait qu'on la lui a taillée dans les décorations de Noël des galeries Lafayette), pour retenir les étoiles-braises qui qui constellent le ciel lors du passage de la fée électricité marraine de la nuit (ah ah ah ah ah ah aaah), les lucioles qui gravitent aléatoirement autour des feux follets, et le chêne dont les guirlandes électriques font un saule pleureur. On a même une reconstitution de ce à quoi pouvait ressembler une danse de Loïe Fuller, grands draps blancs éclairés par en-dessous, et si on hésite d'abord entre la mite et le papillon de nuit, on imagine ensuite comment Mallarmé a pu y voir flocon, fleur et autres folies...


(Photos récupérées ici.) Et toujours profusion de tissus pour des costumes délirants, ridicules aigrettes et manches bouffantes comprises. Très bien travaillée, d'ailleurs, la dichotomie conte intemporel/opéra comique pour une société donnée : les costumes du bal apparaissent véritablement comme des costumes lorsque les personnages ôtent fanfreluches et perruque pour laisser apparaître des tenues très bourgeois du XIXe. 

 

Au final, il ne reste pas grand-chose de cette Cendrillon, mais on l'a consommée-consumée sans déplaisir, oubliant les élans de lyrisme niais pour se réjouir des aspects proprement comiques de l'opéra.

 

1Palpatine a même cru que Cendrillon, renommée Lucette (parce que « ma pauvre Lucette »), était l'ex-femme du père...

Montagne et bête au vent

Jeudi était un concert en demi-teinte. Ce n'est certes pas l'adjectif que l'on attendrait pour du Beethoven, mais outre que la Consécration de la maison a domestiqué toute velléité d'apothéose par ses dix petites minutes d'ouverture et que la quatrième symphonie n'était pas du genre bourrine, celle-ci était précédée par le concerto pour violon « à la mémoire d'un ange » : on n'en fera pas une montagne, juste un Berg. Tout comme pour Wozzeck, je suis bien incapable de savoir si j'ai aimé ou pas et ne puis aller au-delà du « malaise harmonique qui lui confère une poétique singulière ». Imaginez le doux brouhaha des instruments qui s'accordent dans la fosse avant un opéra : c'est comme cela tout du long et, si j'adore entendre cette effervescence un brin nerveuse avant que ne débute la soirée, cela me laisse assez perplexe lorsqu'elle en tient lieu. Par contrecoup, toute symphonie qu'elle soit, la quatrième de Beethoven, claire et haute (comme on parle à haute et intelligible voix)1, me plaît bien. Sans compter que j'ai un faible pour ce qui, n'étant ni tragique ni héroïque, est souvent délaissé – on n'a rien à dire du bonheur qui n'est pas allègre ou hystérique, et c'est tant mieux. Le voyeurisme des journaux télévisés est restreint aux malheurs ; les critiques ont disparus depuis que Kundera écrit en français, en bref, s'amuse ; le seul moment où la punition du « degré zéro des symboles », comme dit Sollers à propos de Fragonard, est déplorable, c'est lorsque le « pas d'interprétation » ne s'applique plus aux théoriciens mais aux artistes – pourquoi ne jouerait-on cette symphonie « que rarement » (par rapport aux autres, j'imagine, plus que par rapport à du Fauré ou du Arvo Pärt ) ?

1C'est amusant comme, à propos de Beethoven, on ne peut manquer de trouver le vocabulaire du massif : même quand le sourd n'est pas lourd, on souligne une certaine « carrure beethovénienne ».

08 mars 2011

Akramkhadabra

Il y avait une place devant, mais j'avais une place au rang Q et j'y suis restée – sur le cul. Je ne connaissais Akram Khan que de nom (et encore, sans l'orthographe) mais nom de nom, il aurait été dommage d'en rester là. Vertical road s'apparente à du contemporain sans le côté contempo, à du butô sans lenteur, à du hip-hop sans ouéch, à de la danse indienne sans délicatesse maniérée et à un art martial sans défaite. Cela ne ressemble à rien et ça a pourtant de la gueule, ce n'est rien de le dire.

 


Les mouvements très ancrés dans le sol, genoux pliés, tête souvent relâchée, explosent et libèrent une énergie qui confine à la violence. Pas de portés mais des jetés ; ici, quand on déboule, c'est au sol. Les secousses qui agitent le corps vont des à-coups de la pulsation cardiaque aux spasmes frénétiques de la transe, tandis que la musique, indissociable des corps, martèle dans un crescendo qui alterne avec des moments d'acalmie, des battements de coeur plus ou moins essoufflé et assourdissant. Cela part des tripes et vous y prend. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai le cou qui part en avant, une épaule qui se rabat ou les abdos qui se contractent, tant nous fait entrer en empathie avec les danseurs la musique dont on finit par ne plus trop savoir si elle part du corps des danseurs, accompagne leur effervescence ou n'est que la résonance très amplifiée de notre propre être intérieur.

On ne comprend pas toujours tout, mais on le vit. Ce n'est qu'en passant chez Amélie que j'ai pu reconstituer le fil d'un homme qui, d'abord séparés des autres derrière une bache translucide (effet d'ondes frappant), s'immisce à leurs côtés et cherche à prendre l'ascendant sur eux, jusqu'à ce qu'il se retrouve exclu, à nouveau séparé par la bache mais côté public cette fois, et doive tendre la main (poser la sienne sur celle des autres, en contrejour) pour faire tomber le rideau (cette chute... après la Prisonnière, le Funambule ou Kaguyahime, je ne m'en lasse pas, c'est toujours aussi beau).

Entre les deux, l'étranger arrive avec ses tablettes, qu'il pose droites comme les autres, d'abord immobiles et qu'il déplace comme des pions, soulevant au passage un nuage de poudre, entre poussière d'une tribu ancestrale et sable d'une contrée désertique (mirage d'Amagatsu). Quand ces être s'animent, ils sont possédés. Cela donne lieu à des scènes incroyablement fortes, notamment lorsque, oscillant sur les pieds et les mains, les genoux en l'air, ils avancent comme une armée de fourmis et colonisent la scène, ou se rassemblent en cercle, bras en l'air, battle sans idole. Dans cette étrange communauté où les filles ne se distinguent des hommes que par des chignons qu'elles portent très haut et qui les font ressembler à des mangas karatéka, on ne s'attire pas, on s'aimante. Et c'est alors un formidable combat où l'on porte atteinte à l'autre sans jamais le toucher (au summum de son pouvoir, les mains de l'étranger tournent autour d'une sphère imaginaire et c'est un autre qui, pris dans ce manège, s'en trouve malmené). Si les comparaisons n'introduisaient pas des connotations parasites, je dirais sans hésiter que des guerriers manga se battent à coup de champs magnétiques et finissent sans volonté aux mains de l'autre : sous imperium. Non moins fascinant est le moment qui suit où deux corps se retrouvent entremêlés plus qu'enlacés, dans un duo d'une sensualité ni suave ni animale, avant que la fille ne soit hissée sur les épaules de l'homme et que, genoux face à son torse, elle redresse son buste vers la lumière qui l'aspire, juste au-dessus d'elle. Moment de suspension. Et ça reprend - aux tripes, toujours. 

Pour les photos des saluts (quoique pas le même jour), voir chez Palpatine.

04 mars 2011

C'est trop forsythe


Ce n'est malheureusement pas le ballet de l'opéra de Lyon, mais cela permet de se faire une idée.

Plus qu'extrême, c'est extra – hors des mouvements ordinaires. Et excitant.
Quelque soit l'adjectif, il faut un X, cette inconnue qui rend fascinantes les extensions du corps. Il y a certes des jambes au plafond, mais rien d'excessif, on ne fait pas d'écarts. L'extension est ailleurs, désaxée : d'abord dans ces bras qui se tiennent presque toujours derrière les épaules et font des danseuses de gigantesques créatures, monstrueusement sexy (surtout la très grande, la plus grande, en justaucorps bleue, une fille terrible). Les danseurs, eux, épaules rondes, sont plus dans la suavité et c'est d'autant plus surprenant qu'on n'imagine pas de suavité sans lenteur. La rapidité, dans Workwithinwork, est pourtant affolante, affriolante en devient la danse dans son austérité. On appuierait parfois bien sur pause, pour mieux en jouir, mais c'est alors une pose (jambes campées de profil égyptien, avec un poignet cassé qui traîne derrière, virgule provocante), nouvelle forme de tension qui demande tout autant d'attention. C'est de la danse pure, comme de la coke, et je m'éclate, c'est jubilatoire : la rapidité me dit énergie, l'imprévu, séduction, et les extensions, intensité. On en ressort grandi, neurone aéré, colonne vertébrale étirée, démarche élastique, prêt à conquérir le monde qui grouille à l'entracte.

Quintett m'a fait l'effet d'une retombée ; alors que le public (dont Palpatine) semble l'avoir de loin préféré pour être « plus humain », j'y ai davantage senti une posture de chorégraphe contemporain qui fait son cinéma avec un escalier creusé dans la scène et un gros projecteur qui, braqué dans sa direction comme un canon, le fait ressembler à un abri anti-atomique. Deux couples et une pièce rapportée y évoluent, ou plutôt faudrait-il dire deux femmes et trois hommes, s'il est vrai que les couples sont à géométrie variable. Il y a de belles choses, mais c'est vain comme une après-midi interminable dans un motel désertique, plus vain encore s'il est vrai que les occupants désœuvrés ne sont pas des gens médiocres mais des êtres à l'intelligence et à la sensibilité aiguisée. On ne s'en sort pas, on ne sort pas du piège de la nostalgie, c'est toujours la même rengaine, en l'occurrence « Jesus' blood never failed to me yet » de Gavin Bryars, à peine une minute qui tourne en boucle. On ne s'en aperçoit pas jusqu'au moment où cela devient insupportable, la fois de trop ; et l'intolérable tristesse se mue en indifférence.

19:23 Publié dans Souris d'Opéra | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : danse, tdv