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03 août 2017

Déménagement

Pour ceux qui ne me suivraient pas sur Twitter : Blogspirit, c'est fini. 

Retrouvez-moi sur www.grignotages.com (encore un peu en chantier mais toujours moins moche qu'ici avec les bannières Photobucket).

Je reviendrai fermer définitivement ce lieu fin septembre - non sans une petite larme d'émotion, parce que, tout de même, douze ans entre ces murs orange…

06 juillet 2017

La ville anacyclique

Plus fort qu'une anagramme,
moins rigoureux qu'un palindrome.

Avant le Japon, juste avant : Rome. Roma. Alors que les souvenirs nippons menaçaient de s'oxyder rapidement, je sentais que je pouvais attendre pour Rome et que même, plus j'attendrais, plus cela deviendrait lumineux. Un trou noir lumineux. Qui efface peu à peu les souvenirs dans son éblouissement : je ne sais déjà plus exactement ce que nous avons fait, à part nous sentir bien à arpenter-déambuler dans la ville.

Immédiatement, dans la grande avenue de platanes, nous sommes chez nous et nous sommes nous : on se retrouve du bout des doigts, puis à pleines poches. Plaisir du contact de la peau et de l'air chaud. Soulagement des premières chaleurs, quand on est à nouveau surpris par les sensations, jambes nues. Le premier parfum de glace est évident dès que j'aperçois les cônes-cannoli siciliens et tout, en ce premier jour, a l'évidence de la ricotta.

 

 

Dans une lumière bleutée, que je retrouve sur les photos de mes dessins de souris, soudain repris, flotte et s'oublie le désagrément d'un réveil trop matinal, trois mètres sous le plafond. Malgré cela, j'aime l'Haussmannien romain, la cour immense devant laquelle nous buvons le pamplemousse décidément chimique du petit-déjeuner.

Il y a les platanes et les pavés, les volets et leurs jalousies à moulinette, et les crépis surtout : jaunes, ocres, qui tirent sur l'orange ou le rose, grattés, effacés, patinés-pâlis par le soleil. Je pourrais m'y frotter de les retrouver, comme dans les films les citadins égarés enlacent les arbres pour éprouver leur amour oublié de la nature. Ici, l'amour du temps et de la décrépitude heureuse.

 

Crevure

(C'est l'insulte complice de Palpatine quand je lui ai montré la photo sur l'écran de l'appareil : il y a une sorte de pacte de non-agression photographique entre nous, visant à préserver notre non-photogénie mutuelle. Cela nous vaut un nombre ténu de photographies-jalons, et j'ai de plus en plus envie d'en faire fi, mais ce n'était même pas ce qui motivait ici ma prise de vue : je voulais ce mur, il me le fallait vivant, et je persiste à trouver le résultat bizarrement émouvant.)

 

 

ll y a le foulard turquoise noué en turban pour se protéger du soleil, la crème achetée en plein cagnard et l'insolation que l'on cuve au milieu des cris de chauve-souris, installation de la philaharmonie. Dans la boutique attenante, climatisée, Yuja Wang a toujours sa chapka.

Il y a les supplis que l'on contemple extatique et la serveuse qu'on dévore à la dérobée, l'essayage de Palpatine chez le tailleur du pape et les rues dans lesquelles je me perds plus ou moins. Hypothèse à vérifier : je ne parviens pas à me repérer dans les villes traversées par un fleuve nord-sud ; il me faut un axe est-ouest, comme à Londres, comme à Paris. Les bords du Tibre, au cœur et comme en-dehors de la ville. Les rues s'enchaînent néanmoins, sans orientation, dans une habitude parfois fantaisiste, comme si le puzzle de la ville autorisait plusieurs combinaisons. Je me souviens, je concatène : des asyndètes géographiques.

Un prêtre à vélo double une femme en soutien-gorge à dentelle, qui étale ses courbes le long du bus. Et dans toute la ville ses lèvres de bimbo : pas de meilleur marketing pour assurer l'audimat des confessionnels.

Toujours pas d'artichaut, même si nous traversons le quartier juif. Il faut se ménager des prétextes pour revenir.

Palpatine prend un coup de fil pro dans le cloître de la galerie Doria Pamphilj. Irritée tantôt, je suis heureuse là, de rester là, dans le cloître de cette galerie que je n'ai pas envie de visiter parce que j'aime trop sa cour-cloître qui m'alpague chez chaque depuis la rue bruyante et me prend à la gorge avec sa lumière, ses volets fermés. De retour à Paris, à la FNAC, j'ai tiré un petit volume, Terrasse à Rome, du rayonnage et la quatrième de couverture m'a lue, exactement, ce moment-là :

Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le cœur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d'un bout à l'autre du monde et pour ne pas y tomber.

 

 

Le reste du livre était superflu.
(Pascal Quignard y écrit comme un burin : grave quelques images fortes, trop fortes pour un récit.)

La ville éternelle

(Cette ville est si lumineuse qu'on peut sans problème passer les photos en noir et blanc : non seulement on ne perd pas la chaleur du soleil, mais on perçoit encore mieux son incroyable luminosité…)

02 juillet 2017

Lightfoot, heavy heart

La triple bill du Nederlands Dans Theater 1 étant mon dernier spectacle de la saison, je peux le dire sans faire de plan sur la comète : c'était le spectacle de l'année.

Safe as Houses de Sol León et Paul Lightfoot s'ouvre sur trois Parques en costumes noirs, trois danseurs dont-une-danseuse qui, au bout d'un certain temps, mettent en branle un pan de mur blanc. Il pivote depuis le centre de la scène, comme l'unique aiguille d'une horloge aveugle. Elle égrène les danseurs en blanc, qui surgissent un à un sans que l'on sache jamais d'où, trop absorbé par le mouvement de celui qui tient son heure pour chercher à se gâcher la surprise. Le pan de mur, qui cause la disparition, autorise aussi le surgissement, en saut, en glissade, le temps comme fuite et comme appui, ça tourne, la vitesse venant non pas de la rapidité mais de la régularité, le pan de mur blanc tourne et fait surgir l'urgence qui court au cœur de la musique de Bach. Non pas les vides, le silence, mais la précipitation du vide et du silence qui arrivent, leur vertige. Safe as houses that are built and will collapse after us.

In the Event : dans le cas où, et en plein cœur de. Les danseurs sont massés autour d'un qui répète à toute vitesse toute saccade des gestes au-dessus du corps de la personne devant laquelle il est agenouillé. Catastrophe sans catastrophisme. La danseuse allongée s'est relevée-intégrée à la masse des danseurs dispersés-projetés-rassemblés en diagonale dans un éboulis de roche en fusion. La paroi rocheuse du fond ondule, parcourue de fissures orange-dorées, éclairs d'une tempête qui ne dit pas son nom, qui ne s'orchestre ni ne se bruite (curieuse musique d'Owen Belton). Cela se déchaîne dans la lenteur des corps courbés par d'autres, accableurs-protecteurs, dans l’œil du cyclone. (Et les canons jamais ne se font dominos, toujours s'entrechoquent, comme les particules d'une solution instable*.) In the event of a Crystal Pite's choreography, quicky book your ticket.

Stop-Motion. Je ne sais plus ce qui se passe avant que les danseurs descendent avec un long tissu blanc puis se mettent à courir en sens inverse en soulevant un voile de poussière blanche, blanche comme l'émotion, la voix, la nuit dans la justesse des confidences (l'absence lunaire de Shoot de moon : présence-absence, nostalgie du présent). Tout commence là, dans cette fosse bac à sable de farine, arène du mouvement**. Le mouvement se projette et se dessine dans l'espace, rémanence visuelle de ces corps qui résonnent au-delà du geste. Tomber dans la farine, tomber amoureuse. Parcourir ces corps qui vivent s'apparente à parcourir un corps bien-aimé et bien connu de caresses. Juste il y en a tant, tant de singularités qui ne s'épuisent ni ne se comparent, même si, inévitablement il y a des sensibilités qui résonnent davantage, des respirations dans lesquelles on se coule, des corps que l'on emprunte, que l'on habite un temps comme eux nous habitent***. C'est cette qualité de mouvement où les corps s'étirent davantage qu'ils sont plus ramassés, denses, denses, denses, à vous faire frémir d'un simple pied tendu, alors que l'autre reste flex, prêt à être reposé au sol par le partenaire qui ne porte pas tant qu'il étreint. Cela danse, beau, grand, mais c'est dans le tarissement du mouvement que tout renaît : plus c'est petit plus cela résonne profondément, infime-intime. Au creux de. Comme la poignée de farine qu'une danseuse porte avec application dans la coquille précaire de ses mains, pour aller la déposer près de son compagnon allongé en avant-scène, et repartir, et revenir, avec l'arbitraire et le sérieux d'un enfant qui construit un château de sable, avec la démarche aussi, un, deux, trois, quatre petits tas de sable blanc. Noir. Rideau. Stop-Motion. Please repeat.

 

(Je pose là comme aide-mémoire à mes démarches le nom des danseurs que je compte demander en mariage :

  • Prince Credell, dont je ne suis pas surprise d'apprendre qu'il est passé par Ailey (et chez Jacoby and Pronk, hey),
  • Roger van der Poel, définitivement mon favori sur scène (même si moins sur Instagram), vif, élastique, dense, magnifique couple avec Juliette Brunner,
  • Juliette Brunner, la danseuse aux tas de sable, d'une beauté ahurissante,
  • Jorge Nozal, le Georges Clooney de la danse, suave et intense,
  • Marne Van Opstal, qui danse encore plus grand qu'il est grand et confirme qu'il y a un truc avec les rouquins dans le monde de la danse.)

 

* Il faut montrer ça à Thierry Malandain.
** Et origine de tant de photos !
*** En avant-scène dans Safe as Houses, un danseur allongé danse immobile, tant sa cage thoracique se soulève et s'abaisse, haletante.